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Merci à Al Faraby pour cette information

Désinformation à l’israélienne

par Mohammed El Oifi

dimanche 13 novembre 2005

[ M.E.M.R.I. ]
( Middle East Media Research Institute )

( , jeudi 10 novembre 2005 )

Fondé en février 1998 par le colonel Yigal Carmon, ancien membre des services de renseignement israéliens, le Middle East Media Research Institute (Memri), installé à Washington, est un centre de traduction des médias, essentiellement arabes et iraniens, vers les langues européennes. Son site Internet indique qu’il « crée un pont entre l’Occident et le Proche-Orient au moyen de traductions de médias en arabe, en hébreu et en farsi, et d’analyses originales des tendances politiques, idéologiques, intellectuelles, sociales, culturelles et religieuses de la région (1) ».

Son objectif serait donc d’« apporter des éléments d’information au débat sur la politique américaine au Proche-Orient. C’est une organisation indépendante, non partisane, à but non lucratif. Elle a des bureaux à Berlin, Londres et Jérusalem. Elle fournit des traductions en anglais, allemand, espagnol, français, hébreu, italien, russe et turc ». Ce service est envoyé gratuitement de manière régulière et massive aux médias, aux institutions et aux responsables politiques occidentaux, notamment les membres du Congrès des Etats-Unis.

En outre, Memri TV Monitor Project « surveille » les principales chaînes de télévision arabes et iraniennes. L’institut réalise de manière ponctuelle le sous-titrage et la distribution de courts extraits, soigneusement sélectionnés, de ces télévisions, qu’il fournit gratuitement aux chaînes occidentales.

Toute l’opération tient dans la sélection des textes et des séquences que l’institut choisit de traduire. Il a tendance à présenter comme majoritaires des courants d’idées très minoritaires dans la presse et les médias arabes. Ainsi, le lecteur non arabophone qui se contenterait de la lecture de ces traductions aurait l’impression que les médias arabes sont dominés par un groupe d’auteurs fanatiques, antioccidentaux, antiaméricains et violemment antisémites que combattraient quelques braves mais rares journalistes, que le Memri qualifie de « libéraux ou progressistes ».

C’est pourquoi, à plusieurs reprises, des auteurs arabes ou quelquefois européens ont présenté le Memri comme une arme de propagande au service du gouvernement de Tel-Aviv, du Likoud et de leurs groupes de pression. Il est vrai que, lors de sa création, sur six membres de son équipe, trois étaient d’anciens membres des services israéliens (2). Depuis sa fondation, l’institut a réussi diverses opérations.

C’est lui qui a lancé, en 2001, une campagne de dénonciation des manuels scolaires palestiniens, largement infondée (3), pour faire croire que ceux-ci attisaient l’antisémitisme. En 2004, il réussit, avec notamment le relais du site Proche-Orient.info (qui a, au moins provisoirement, cessé ses activités en juillet dernier), à exploiter les « dérapages » de la télévision du Hezbollah, Al-Manar (4), pour faire interdire celle-ci en France, suscitant des protestations de l’association Reporters sans frontières. Il a activement participé à la campagne qui a abouti à la fermeture du centre Cheikh Zayed aux Emirats arabes unis (5).

Plus largement, le Memri sert la stratégie israélienne de mise en cause des relations entre les Arabes et l’Occident (6). Invité dans une émission d’Al-Jazira, le colonel Carmon rétorque à ses accusateurs que le Memri poursuit un objectif scientifique : transmettre à l’Occident la lecture que les médias arabes font des événements au Proche-Orient (7).

Il ne faudrait pas accepter cette affirmation sans réserves : si le conflit israélo-arabe tourne autour du contrôle de la terre de Palestine, il est inséparable de la lutte symbolique que mènent les protagonistes pour influencer les opinions publiques et légitimer ainsi leur propre lecture des événements. Les rapports de forces n’obéissent que partiellement à une logique locale, et le soutien extérieur s’avère décisif, notamment pour la partie israélienne. D’autant que, depuis la guerre du Liban et la première Intifada (1987-1993), l’image internationale d’Israël s’est fortement dégradée. Pour tenter de regagner une partie du terrain perdu, le Memri cherche à noircir les Arabes et les musulmans aux yeux des Occidentaux, en les présentant comme haineux et fanatiques.

D’autre part, avec le développement des télévisions satellitaires arabes, les opinions publiques se sont émancipées, et les dirigeants du Proche-Orient ont perdu une partie de leur contrôle sur les médias. Cette nouvelle configuration a poussé les autorités israéliennes à s’intéresser directement aux médias arabes et à leur contenu. C’est ce qui explique en grande partie la création du Memri, un an et demi après le lancement d’Al-Jazira.

Des lettres de menaces

Le colonel Carmon dispose d’un solide ancrage en Israël. Arabophone, il a conseillé en contre-terrorisme deux premiers ministres, M. Itzhak Shamir et Itzhak Rabin. Il bénéficie de surcroît de solides soutiens à Washington - il s’est d’ailleurs associé avec Mme Meyrav Wurmser, une ancienne du Memri, qui dirige le département Proche-Orient au Hudson Institute, proche des néoconservateurs américains. Le Memri bénéficie enfin de nombreux donateurs, parmi lesquels la Lynde and Harry Bradley Foundation, la plus importante fondation de la droite américaine.

Le Memri a pris en otage les libéraux arabes en construisant l’étrange catégorie de « journaliste arabe libéral ou progressiste ». Pour appartenir à cette dernière, il faut : se prononcer contre toute forme de résistance armée dans le monde arabe, et en particulier en Palestine et en Irak ; dénoncer le Hamas et le Hezbollah ; critiquer Yasser Arafat ; plaider pour le « réalisme », c’est-à-dire l’acceptation du rapport des forces et donc de la domination étrangère ; se montrer favorable aux projets américains au Proche-Orient ; inciter les Arabes à faire leur autocritique et à renoncer à la « mentalité du complot ».

Le candidat à cette étiquette doit aussi afficher une hostilité sans faille au nationalisme et à l’islam politique, voire son mépris pour la culture arabe. Sa critique doit viser avant tout les religieux et, plus généralement, les sociétés qui seraient en retard par rapport à des dirigeants arabes éclairés. Il lui faut faire l’éloge des libertés individuelles, sans toutefois insister sur les libertés politiques et encore moins sur la souveraineté nationale. Quand il traite de la réforme politique, le « journaliste arabe libéral ou progressiste » visera avant tout les régimes républicains, en particulier l’Irak d’avant l’occupation américaine, la Syrie ou l’Egypte : pas question, en revanche, d’évoquer la réforme politique en Arabie saoudite. Rien d’étonnant à cela, considérant que la majorité des professionnels chers au Memri s’exprime essentiellement dans la presse financée par certains princes ou hommes d’affaires saoudiens (8).

L’institut est souvent attaqué sur la qualité - parfois même l’honnêteté - de ses traductions. Ainsi, après les attentats de Londres du 7 juillet 2005, il a traduit des extraits de l’émission « Plus d’une opinion » d’Al-Jazira à laquelle participait M. Hani Al-Sebai, un islamiste vivant en Grande-Bretagne. Ce dernier a déclaré, à propos des victimes : « Il n’existe pas de terme dans la jurisprudence islamique pour désigner les “civils”. Le Dr Karmi [un autre invité] est avec nous et il a l’habitude de la jurisprudence islamique. Il existe les catégories de “combattant” et “non-combattant”. L’islam est contre le meurtre d’innocents. Selon l’islam, un innocent ne peut être tué. » Traduction du Memri : « Le terme de “civil” n’existe pas dans la loi religieuse musulmane. Le Dr Karmi est avec nous et je suis là et je connais la loi religieuse. Il n’existe pas de “civil” au sens occidental moderne du terme. Les gens appartiennent ou non au dar al-harb. »

On notera l’introduction de cette formule contestée de dar al-harb (littéralement : la maison de la guerre (9)), que l’intervenant n’avait pas utilisée. En pleine bataille antiterroriste en Grande-Bretagne, cet ajout induit l’idée que, dans la « maison de la guerre », tout serait permis. Au passage, le Memri a supprimé de sa traduction la condamnation par M. Al-Sebai de tout assassinat d’innocents...

Le professeur Halim Barakat, de l’université Georgetown (New York), aux Etats-Unis, a fait, lui aussi, les frais de ces méthodes. L’article qu’il a écrit dans le quotidien londonien Al-Hayat sous le titre « Ce monstre créé par le sionisme : l’autodestruction » a été reproduit par le Memri, explique son signataire, sous « un titre incitant à la haine : “Jews Have Lost Their Humanity” [Les juifs ont perdu leur humanité]. Ce que je n’ai pas dit... Chaque fois que j’écrivais “sionisme”, le Memri remplaçait par “juif” ou “judaïsme”. Ils [le Memri] veulent donner l’impression que je ne suis pas en train de critiquer la politique israélienne et que ce que je dis, c’est de l’antisémitisme ». A peine cette traduction mise en ligne sur le site du Memri, l’auteur a reçu « des lettres de menaces » dont « certaines disent que je n’ai pas le droit d’enseigner dans les universités » - il a enseigné plus de trente ans -, « que je n’ai pas le droit d’être professeur et que je dois quitter les Etats-Unis... (10) ».

En juin 2004, le Memri a déclenché une violente campagne contre la visite à Londres du cheikh Al-Qardaoui. Pour en avoir le cœur net, le maire, M. Ken Livingstone, a commandé une étude, au terme de laquelle il a conclu que cette offensive s’inscrivait, « à l’évidence, dans une vague d’islamophobie visant à empêcher un dialogue entre les opinions de musulmans progressistes et l’Occident ». L’étude demandée, précisait-il, a couvert « les 140 ouvrages que le Dr Al-Qardaoui a écrits. Et les résultats furent très choquants. Presque tous les mensonges qui déformaient les sermons du Dr Al-Qardaoui proviennent d’une organisation appelée Memri, qui prétend être un institut de recherche objectif ». Or, concluait M. Livingstone, « nous avons découvert que cet institut est dirigé par un ancien officier du renseignement israélien, le Mossad. Et il déforme systématiquement les faits, pas uniquement ce que dit le Dr Al-Qardaoui, mais ce que disent beaucoup d’autres savants musulmans. Dans la plupart des cas, la déformation est totale, c’est pourquoi j’ai publié ce dossier (11) ».

Le sérieux de l’institut peut aussi être mis en doute, tant ses erreurs factuelles sont nombreuses. Ainsi, selon les « experts » du Memri, Abdel Karim Abou Al-Nasr est de nationalité saoudienne pour la seule raison qu’il est éditorialiste dans un journal saoudien ; or il s’agit bien d’un journaliste libanais connu (12). De même, écrire, dans une longue analyse sur l’Arabie saoudite, que son prince héritier Abdallah Ben Abdel Aziz (devenu roi en août 2005) appartient à la branche Soudayri de la famille régnante étonnera ceux qui connaissent ce pays (13).
L’efficacité du Memri tient à la coordination très étroite de ses activités avec les acteurs qui mènent les campagnes de propagande sur le terrain. Les listes des journalistes arabes qu’il loue ou qu’il dénigre constituent un système de récompense et de sanction. Ainsi les « journalistes arabes libéraux ou progressistes » se voient invités aux Etats-Unis dans des centres de recherche amis : on leur facilite l’obtention de visas ainsi que l’accès aux médias et aux autorités américaines. Quant aux sanctions contre ceux que le Memri désigne comme « prêcheurs de haine », elles risquent de s’alourdir depuis que le célèbre éditorialiste au New York Times Thomas Friedman a fait référence à l’« expertise » du Memri et de son fondateur. Et de recommander : « Le département d’Etat américain doit publier un rapport trimestriel avec les noms des dix premiers prêcheurs de haine et ceux qui trouvent des prétextes ou le justifient (14). »

Quoi qu’en pense Thomas Friedman, il reste à prouver que les membres anciens ou présents des services de renseignement israéliens sont les meilleurs architectes du « pont » à (re)bâtir entre le monde arabe et l’Occident...

Par Mohammed El Oifi, Politologue. Le Monde diplomtaique de septembre 2005
http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=2622

Notes :

(1) http://www.memri.org/ , avec pour principales rubriques : projet d’étude sur le djihad et le terrorisme, les Etats-Unis et le Moyen-Orient, réforme dans le monde arabe et musulman, conflit israélo-arabe, relations interarabes et projet de documentation sur l’antisémitisme.
(2) Brian Whitaker, « Selective Memri », The Guardian, Londres, 12 août 2002.
(3) Lire Elisa Morena, « Les manuels palestiniens sont-ils antisémites ? », Le Monde diplomatique, avril 2001.
(4) Al-Manar avait notamment diffusé, en octobre 2003, un feuilleton antisémite reconstituant, entre autres, un « crime rituel », ce que la chaîne avait ensuite regretté.
(5) Pour un article rédigé par le Memri qui résume l’affaire, voir « La fermeture du centre Zayed », 15 septembre 2003.
(6) Lire Guy Bachor, « La stratégie d’Israël dans ses relations avec l’Europe : montrer que les musulmans sont une menace », Yediot Aharonot, Tel-Aviv, 25 février 2004.
(7) Emission « Min Washington », « Le Memri et l’image des Arabes en Occident », 13 septembre 2002.
(8) Bilal Al-Hassan, La Culture de la capitulation, Riad El-Rayyes Books, Beyrouth, 2005. Ce livre résume bien l’idéologie de ces auteurs, mais sa vision reste partielle et injuste envers certains d’entre eux. On lui reproche également d’avoir mis l’accent exclusivement sur les journalistes d’Al-Hayat, sans jamais citer l’autre quotidien saoudien Asharq al-Awsat, qui représente on ne peut mieux l’idéologie que l’auteur dénonce.
(9) Le monde serait divisé entre la dar al-islam (maison de l’islam) et la dar al-harb (maison de la guerre) dont la population ne s’est pas convertie.
(10) Emission « Min Washington », voir note 7.
(11) Al-Jazira, 20 janvier 2005.
(12) Le quotidien Al-Watan (Arabie saoudite), 13 décembre 2004.
(13) Memri, « Arabie saoudite : l’organisation de l’oligarchie royale », 12 septembre 2002. Les Soudayri comprennent notamment le défunt roi Fahd, le prince Sultan, le prince Nayef, etc., qui sont justement opposés à Abdallah.
(14) Thomas L. Friedman, « Giving the hatemongers no place to hide », The New York Times, 22 juillet 2005.

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=2622