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Une désinformation à la hauteur de l’embarras de l’occident devant la vérité (ndlr)

Durban II, délire et désinformation

par Alain Gresh - Le Monde Diplomatique - Jeudi, 23 avril 2009 - 12h14

jeudi 23 avril 2009

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Rarement une conférence des Nations unies aura donné lieu, en Occident, à une campagne aussi puissante de désinformation, de fantasmes et de mensonges.

Libération, le 21 avril, titre à sa Une : « Un antisémite à l’ONU ». Avec, en explication : « Après le discours du président iranien, qui s’en est pris à Israël avec une rare violence, la conférence Durban II est mal partie ».

Le président Ahmadinejad est un personnage peu recommandable. Il a fait des déclarations négationnistes. Il dirige un régime qui poursuit les opposants, restreint les libertés, accapare les richesses du pays. Faut-il, pour autant, refuser de négocier avec ses adversaires ? Ce n’est en tout cas pas ce que pense le président Obama : «  Iran : Obama veut continuer l’effort de dialogue malgré les propos d’Ahmadinejad. »

Faut-il déformer ses propos ? On peut lire son intervention intégrale : « President Ahmadinejad’s speech at the Durban Review Conference on racism ». Reprenons la phrase qui a déclenché les polémiques. « A la suite de la seconde guerre mondiale, ils (les pays vainqueurs) ont recouru à l’agression militaire pour transformer toute une nation en peuple sans abri sous le prétexte de la souffrance juive et ils ont envoyé des immigrants d’Europe, des Etats-Unis et d’autres parties du monde pour mettre sur pied un gouvernement totalement raciste en Palestine occupée. Et, pour compenser les terribles conséquences du racisme en Europe, ils ont aidé à amener au pouvoir le régime le plus cruel et le plus répressif en Palestine. » Dans tout le discours, on ne retrouve aucune des négations de l’holocauste dont le président s’était fait le porte-parole. Il a supprimé de son discours, à la demande du représentant des Nations unies, une phrase qui disait que l’holocauste était « ambigu et douteux » (« Ahmadinejad Anti-Israel Speech Was Toned Down : UN », par Bradley S. Klapper et Alexander G. Higgins, The Huffington Post, 21 avril).

La prestation du président iranien fait débat dans son pays, où certains s’interrogent sur les risques d’isolement (« Reactions to Ahmadinejad’s Geneve performance », par Rasmus Christian Elling, 21 avril).

Marc Semo, l’envoyé spécial de Libération, dans un reportage audio : (« Durban II : “Le président iranien avait fait venir sa claque” »), affirme qu’Ahmadinejad a parlé de « la souffrance exagérée du peuple juif ». C’est un mensonge. Le texte dit, simplement, « la souffrance des juifs ». Comme d’autres commentateurs, le journaliste ne semble avoir entendu que ce qu’il voulait entendre. Les droits de l’homme, conclut Semo, sont devenus l’objet d’un bras de fer entre l’Occident et les pays du Sud, en premier lieu les pays musulmans.

Cela est vrai. Une vraie fracture Nord/Sud existe, qu’il faudrait interroger sérieusement, comme il faudrait essayer de comprendre pourquoi nombre de pays du Sud ne supportent plus les leçons venues de pays du Nord qui mènent guerres d’agression et politiques hégémoniques. Ce discours permet aussi à des dictatures de justifier leurs pratiques au nom de la lutte contre l’Occident.

La France, comme d’autres pays occidentaux, s’est battue, à juste titre, contre l’idée qu’il faudrait, dans le texte de la résolution finale de Durban, appeler à la défense des religions diffamées ou limiter la liberté d’expression. Mais la volonté de l’Occident de vouloir s’exonérer de toute critique pose problème. Comme pose problème le refus de toute mention des crimes israéliens, sous prétexte qu’il ne faut dénoncer personne.

Ainsi que l’a déclaré au Figaro Bernard Kouchner : « Nous avions fixé une ligne rouge à ne pas dépasser : la réouverture de la polémique sur Israël. Voilà pourquoi les 23 délégations européennes présentes dans la salle l’ont quittée dès qu’Ahmadinejad s’est lancé dans sa diatribe contre l’État hébreu. » (« Durban II, une perte de crédibilité pour l’ONU », 21 avril.)

Un éditorial paru le 20 avril, à la veille de l’ouverture de la conférence, dans le quotidien panarabe de Londres, Al-Quds al-Arabi, explique qu’Israël a déjà gagné la bataille sans y avoir pris part et que, comme d’habitude, les Arabes ont perdu, malgré leur participation et « malgré le fait que la plupart des participants appuyaient leurs demandes. Ainsi, toute référence à Israël et à ses pratiques racistes dans les territoires occupés a été éliminée ». L’éditorialiste rappelle que ces concessions ont été acceptées par la délégation palestinienne sous la pression des Etats-Unis et de l’Europe. Et, finalement, la résolution finale de Durban II fait silence sur Israël, les crimes de Gaza et l’oppression des Palestiniens.

Pour comprendre le contexte, il est important de remonter à la déclaration finale de la Conférence de Durban de 2001. Rappelons quelques-uns des points de cette résolution, dénoncée par certains comme antisémite :

« 58. Nous rappelons que l’Holocauste ne doit jamais être oublié. (...)

61. Nous constatons aussi avec une profonde inquiétude la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie dans diverses régions du monde, ainsi que l’apparition de mouvements racistes et violents inspirés par le racisme et des idées discriminatoires à l’encontre des communautés juives, musulmanes et arabes. (...)

150. Engage les États, dans leur lutte contre toutes les formes de racisme, à reconnaître la nécessité de lutter contre l’antisémitisme, le racisme anti-Arabe et l’islamophobie dans le monde entier, et prie instamment tous les États de prendre des mesures efficaces pour empêcher la formation de mouvements fondés sur le racisme et des idées discriminatoires concernant les communautés en question. »

Quant au conflit israélo-arabe, après avoir rappelé ce qui suit, qui pourrait dire que ce texte est unilatéral ? antisémite ? anti-occidental ? Citons :

« 63. Nous sommes préoccupés par le sort du peuple palestinien vivant sous l’occupation étrangère. Nous reconnaissons le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et à la création d’un état indépendant, ainsi que le droit à la sécurité de tous les États de la région, y compris Israël, et engageons tous les États à soutenir le processus de paix et à le mener à bien rapidement

151. En ce qui concerne la situation au Moyen-Orient, La Conférence préconise la fin de la violence et la reprise rapide des négociations, le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, le respect du principe de l’autodétermination et la fin de toutes les souffrances, pour permettre à Israël et aux Palestiniens de reprendre le processus de paix, ainsi que de se développer et de prospérer dans la sécurité et la liberté »

En réalité, les dérapages bien réels qui ont eu lieu lors de Durban étaient le fait d’organisations non gouvernementales et n’ont eu aucun effet sur le texte adopté par les Etats.

Dans un article du Monde diplomatique publié en octobre 2000, « L’avenir du passé », Christian de Brie, citant Aimé Césaire, écrivait à propos de la première conférence de Durban : « “Ce que le très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle (...) ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.” Tant il est vrai que, tandis qu’officiaient, à Nuremberg, les juges américain, soviétique, britannique et français, la ségrégation raciale restait légalisée aux Etats-Unis, le goulag tournait à plein régime en URSS, Grande-Bretagne et France traitaient à la bombe et au napalm la volonté d’émancipation des peuples colonisés qu’ils venaient de mettre durement à contribution pour leur propre libération. »

Et il concluait :

« Partout où les inégalités économiques, sociales, juridiques et statutaires se développent et perdurent, finissent par prospérer le racisme, la justification idéologique de la supériorité des uns et de l’infériorité des autres, maintenus sous dépendance, humiliés et persécutés. Le sort fait aux Palestiniens par Israël depuis des décennies en est l’illustration tragique. S’il a acquis une telle importance sur la scène internationale quand celui de tant d’autres peuples reste méconnu, ce n’est pas parce qu’il sert de prétexte à la manifestation d’un antisémitisme toujours vivace, ouvertement exprimé par certains à Durban. C’est qu’il apparaît comme un condensé, en modèle réduit, de l’injustice archaïque qui préside aux rapports entre les êtres humains et comme une préfiguration de ce que pourrait être le monde de demain : un retour au passé. »

Ce caractère emblématique de la Palestine explique pourquoi, à travers le monde, des millions de gens se mobilisent en faveur de ce peuple (« De quoi la Palestine est-elle le nom ? »).

Revenons sur le racisme en Israël. On peut discuter de la formule du président iranien qualifiant le gouvernement israélien de« totalement raciste ». On peut aussi contester la légitimité de certains Etats, de l’Arabie saoudite à l’Iran en passant par l’Egypte, à dénoncer le racisme alors qu’ils le pratiquent à l’égard de leurs minorités. Mais, rappelons-le, la majorité des pays de l’ONU, de l’Inde à l’Afrique du Sud, en passant par l’Indonésie, sont aujourd’hui des démocraties, et il n’existe pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, de majorité automatique. D’autre part, la justesse de la cause palestinienne ne dépend pas de chacun de ses soutiens – hier, le régime de l’apartheid était dénoncé par des régimes africains dictatoriaux et corrompus...

Mille et une preuves existent de ce que le racisme contre les Palestiniens est puissant, y compris au sein du gouvernement, y compris dans la politique menée depuis des années par ses gouvernements successifs — nous publions, dans le numéro de mai du Monde diplomatique, une enquête de Dominique Vidal et Joseph Algazy sur les Arabes israéliens. Avigdor Lieberman, le nouveau ministre des affaires étrangères, est-il autre chose qu’un fasciste ? Yossi Sarid écrivait, dans Haaretz du 30 janvier 2009 : « Centrists must unite to block fascist Lieberman’s march on J’lem » — les centristes doivent s’unir pour bloquer la marche de Lieberman sur Jérusalem —, une allusion directe à la marche de Mussolini sur Rome en 1922. (Sur l’influence de cet idéologue d’extrême droite dans la jeunesse, lire Yotam Feldman, Haaretz, 7 février 2009 : « Lieberman’s anti-Arab ideology wins over Israel’s teens »).

Autre membre de la coalition au pouvoir, Moshe Feiglin, l’un des dirigeants du Likoud et admirateur d’Hitler : « Il avait même jadis trouvé qu’Hitler était un “génie militaire”. Il avait aussi déclaré dans un entretien en 1995 qu’Hitler “aimait la bonne musique, qu’il était peintre” et que “l’Allemagne a eu droit à un régime parfait avec un système judiciaire qui fonctionnait et l’ordre public”. » (« L’affaire Feiglin », blog de Denis Brunetti, correspondant de TF1 à Jérusalem, 11 décembre 2008.)

Rappelons, en conclusion, que l’Union européenne avait décidé en 2000 la création d’un cordon sanitaire contre le gouvernement autrichien qui incluait Jorg Haider, à la tête d’un parti d’extrême droite.

Rappelons aussi que l’Union européenne et les Etats-Unis ont décidé de boycotter le gouvernement du Hamas après la victoire de ce dernier aux élections législatives de janvier 2006. L’Union européenne avait posé trois conditions à toute négociation : la reconnaissance par le Hamas de l’Etat d’Israël ; la renonciation à la violence ; la reconnaissance de tous les accords déjà signés. Or, nous avons un gouvernement israélien qui refuse de reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat, qui prône le recours à la violence et qui refuse de reconnaître les accords déjà signés comme le peu contraignant processus d’Annapolis. On attend la réaction des gouvernements européens...