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Démocide à Gaza

par Alain Joxe - CIRPES - Mercredi, 8 avril 2009 - 17h32

mercredi 8 avril 2009

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Bilan stratégique :

La destruction de Gaza ne pouvait être qu’un succès vu l’asymétrie totale des forces mais ce n’est pas plus une victoire que la guerre du Liban. Par son excès, va-t-elle conduire à un retour au droit ? On essaye, avant toute prévision, de répondre à deux questions distinctes : I. comment désigner le but stratégique de l’expédition punitive disproportionnée d’Israël contre Gaza et définir ainsi le crime de guerre éventuel . II. Quelle est la source politique et militaire profonde de l’extrémisme israélien, qui s’isole actuellement du consensus mondial

Y a t il crime de guerre ? le démocide.

L’ONU mais aussi un collectif d’avocats palestiniens, se proposent de déposer plainte pour crime de guerre auprès de la Cour Pénale Internationale (International Criminal Court) contre le commandement militaire israélien sur un certain nombre de faits avérés, dont il reste à prouver qu’ils sont liés à la stratégie du gouvernement, à la mission confiée à chacune des trois armes, à la doctrine d’emploi des forces au contact de l’ennemi et aux instructions tactiques occasionnelles du commandement au cours de l’opération.

Seule une analyse stratégique et tactique complète, qui admettra la traçabilité clausewitzienne des critères politique jusqu’à sa transcription en critères militaires opérationnels, permettra la mise en forme de cette procédure.

Le dossier est assez bien rempli au départ, car le double discours tenu par le gouvernement pendant la phase de préparation affichait, avec une certaine complaisance électorale, à la fois des objectifs militaires limités (mettre fin au tir des fusées Qassam sur les bourgades israéliennes proches) et des objectifs bien plus généraux, supposant l’existence d’un plan de destruction soigneusement mis au point, cette fois, pour restaurer stratégiquement l’image militaire de Tsahal et effacer l’échec de la guerre du Liban contre le Hezbollah. Le bombardement puis l’invasion ont touché inévitablement la population civile qui ne pouvait jamais fuir bien loin pour chercher abri, les zones d’impact ayant été réparties sur toutes les zones habitées de la bande de Gaza et le feu continu, jour et nuit, les obligeant à rester chez soi.

Les « bavures » massives étaient donc inévitables, ce qui pose la question de la finalité de l’opération .

L ‘abandon de l’objectif affiché « fin des tirs de Qassam » lors de l’accord de « trêve unilatérale » négocié en Égypte, montre que l’objectif militaire réel était la destruction sociétale globale. Dans quel but ?

Militairement parlant, le rapport des forces était à ce point asymétrique qu’on peut dire qu’il s’est agi d’un bombardement à distance, comme à l’exercice et nullement d’un combat. Rien de sérieux n’est venu troubler l’exercice, car (on l’a compris lors de l’assaut final) le Hamas, sans armes antitanks modernes, est pratiquement désarmé (contrairement au Hezbollah au Liban sud ou aux milices sunnites de Falloudja en Iraq). Dans la phase n°1 il n’y avait pas de « foyers de résistance » car pas de contact direct ; dans la phase n°2, tout avait été déjà détruit y compris les zones refuges de l’ONU (hôpitaux école) et les combats sporadiques se déroulaient en pleine zones habitées, dont la population n’avait jamais pu être évacuée.

En installant des postes de tir dans des appartements privés, ce sont les Israéliens qui prenaient en otage la population civile et non l’inverse. Le recueil de témoignages sur les détails opérationnels montrent qu’ il s’agit de tactiques précises planifiées qui n’ont pas été créées par la dialectique du combat, mais par des consignes fixées pour une progression sans risques

Malgré l’interdiction faite aux journalistes de couvrir l’opération à Gaza même, les témoignages permettent d’élucider rapidement, par la description des effets de destruction, quels sont les critères de feu et les modes tactiques de déploiement qui ont régulé l’action de l’armée israélienne - qui est loin d’être une bande indisciplinée de guerriers déchaînés. ce déchiffrage versé au dossier influencera sans doute une définition des responsabilités qui remontera jusqu’au commandement.

Politiquement, l’opération était bien orientée vers la destructions (sociale et économique) du pouvoir du Hamas mais aussi par des bavures symboliques il y a eu mise en cause les prérogatives de l’ONU qui doit protection aux réfugiés dans la zone, depuis 1948. La destruction programmée visait tous les édifices localisables du pouvoir politique social et religieux du Hamas mais aussi de l’Autorité palestinienne (ministères, services techniques, commissariats, mosquées) La cible Hamas recouvre un parti politique majoritaire, une organisation sociale et caritative, et un pouvoir d’état coordinateur au niveau de tous les services publics et des ONG de la zone assiégée depuis plus d’un an. b) Des opérations destructives spécifiques ont visé les industries, la production d’électricité, l’eau, et des zones agricoles entières ravagées c) Les destructions d’hôpitaux et d’écoles créées par l’ONU et servant de refuges sont des opérations explicites de « non-reconnaissance » de l’ONU, une expulsion symbolique du droit international onusien de l’enclave.

Ce triple plan de destructions n’est nullement centré sur les stocks de fusées Qassam ou leurs postes de tirs elle cherche à détruire la fonction politique de protection de la société civile elle même : l’économie de base, la société politique, la politique sociale, d’une population déjà très affaiblie par le siège. En conclusion, si on ne peut pas définir l’opération comme un génocide c’est surtout parce qu’elle s’attaqua à un peuple politiquement organisé plutôt qu’à un groupe ethnique. Comme de plus la circonscription électorale de Gaza avait voté à la majorité absolue pour le Hamas, l’opération visait à punir le peuple pour son vote.

Si cet objectif stratégique mérite un nom on pourrait l’appeler démocide : tentative de destruction d’un peuple et d’une démocratie. Le sort particulier de Gaza y compris l’encerclement et le blocus n’est pas essentiellement différent de celui de toute la Cisjordanie. Le démocide palestinien balisé par des massacres ponctuels, est un processus lent dans le temps long.

II Les sources idéologiques de l’action de démocide : L’école stratégique de l’Irgoun.

Une question stratégique, profondément politique demeure posée, quelle est la source constante de l’extrémisme israélien ce qui l’empêche toujours d’aboutir à la Paix ?. Comment expliquer que l’État d’Israël se soit engagé dans cette opération, dont l’utilité politique est complètement négative pour l’avenir du peuple israélien, qui se voit une fois de plus entraîné vers des représentations militarisées extrémistes de sa sécurité et s’oppose à toute solution pacifique ?

Il est très important de comprendre que la stratégie mise en œuvre par Israël et légitimée par Tsahal n’est ni cachée ni hypocrite et que sa description n’est pas du tout une diffamation. C’est le simple exposé d’un système de croyance et d’une vision autiste de la légitimité des actions militaires offensives devant contribuer à l’élargissement du territoire contrôlé par Israël.

D’où vient cette démesure ? comment s’est elle fixée dans une représentation du monde qui domine l’inquiétude sécuritaire et le colonialisme archaïque d’une partie dominante du sionisme israélien ? . Le paradigme stratégique unilatéraliste offensif reproduit bien la vision première du parti sioniste « révisionnistes » c’est à dire du parti organisé entre 1925 et 1948 d’abord contre la cession par la Grande Bretagne de la Transjordanie au roi Abdallah, et qui lutta pour la révision du contrat avec la Grande Bretagne donc la création, hors protectorat d’un état national juif conquérant autonome.

Cette stratégie est intégrée profondément dans la culture militaire de Tsahal car ce code date de ce qu’on peut appeler le collage ou l’hybridation stratégique fondatrice qui réunifia la Haganah et l’Irgoun autour de l’opération d’élargissement du territoire israélien au delà des limites du plan de partage de l’ONU. Cela se fit par massacres terroristes déterminant la fuite des populations de 400 villages en 1947-48.

La Haganah, armée social-démocrate des Kibboutzim, l’Irgoun, commandos terroristes fascisants, auteurs de la tuerie de Deir Yassine, sont deux branches du sionisme très opposées politiquement, mais qui ont néanmoins unifié leurs traditions au sein de la continuité militaire institutionnelle israélienne.

L’Irgoun dissoute par Bengourion s’est réincarnée dans le parti Hérout fondé en 1948 par Menahem Begin, qui réclamait encore la conquête de toute la Palestine et de la Jordanie pour Israël. Le parti Hérout fut la base du parti Likoud actuel. L’armée est demeurée depuis lors le lieu d’une hybridation légitime entre des stratégies militaires qui auraient du rester incompatibles en raison de leurs fins politiques divergentes. Les justifications, et même le panégyrique de l’opération de Gaza, s’inspire de la tradition violente de l’Irgoun mais ils viennent de tous les partis politiques du centre gauche à l’extrême droite.

L’éloge de l’opération prononcé par le travailliste Shimon Peres (à l’indignation du premier ministre turc) à Davos n’a rien de marginal. Les discours électoraux du Likoud et ceux des franges plus extrémistes encore sont ouvertement en train de préconiser la répétition des expéditions punitives et pensent toujours à l’expulsion de tous les Palestiniens de l’espace de la Palestine du mandat , et absolument pas à la liquidation des colonies illégales de Cisjordanie et aux deux États.

En fait après Gaza, c’est la Cisjordanie et ses vingt bantoustans encerclés par les routes militaires et les chapelets de colonies qui risque d’être la cible d’un nouvel épisode de démocide si la pression sur Israël ne se fait pas plus claire de la part de l’Europe et des Etats Unis Dans le non-dit qui est autorisé, ou même imposé aux institutions militaires, le schéma du sionisme « révisionniste », c’est à dire la conquête territoriale complète d’Eretz Israel, persiste comme une représentation légitime. Il y a toujours une petite formation politique plus extrémiste, que le Likoud, indispensable à la formation d’une majorité parlementaire, pour afficher cette conviction et peser sourdement sur le maintien de cette légitimité. Mais le lieu réel de reproduction de cet imaginaire c’est bien l’institution militaire.

Cette question stratégique est maintenant visiblement portée sur la place publique en Israël même. L’état d’irresponsabilité globale, revendiquée par Israël, met en effet en cause, en pleine crise économique globale, les efforts fournis, y compris aux Etats-Unis, pour éloigner la « guerre mondiale » préemptive et unilatérale souhaitée naguère par le Président G.W.Bush jr.

Source : http://www.cirpes.net/article257.html