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Pour se tromper, comme pour danser le tango, il faut être deux ; il y en a un qui trompe et l’autre qui veut être trompé

Biberman & Co

par Uri Avnery - Mardi, 7 avril 2009 - 22h58

mardi 7 avril 2009

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Que fera le nouveau gouvernement, cette coalition hétéroclite qui rassemble autour du Likoud les travaillistes et l’extrême droite ? Ses membres ont tout au moins un point d’entente, juge Avnery. Ils sont « d’accord pour empêcher la création d’un véritable état Palestinien. Ils sont tous d’accord pour ne pas parler au Hamas. Ils soutiennent tous l’extension des colonies. »

Mais, face à Obama, qui a inscrit la résolution du conflit parmi les objectifs de son mandat, les apparences devront toutefois être préservées, en entretenant un semblant de négociation, en application de ce vieux précepte, inscrit en toutes lettres dans la Bible : « tu auras recours à des ruses pour mener ta guerre. » Obama acceptera-t-il d’être le dupe de ce stratagème ?

S’agit-il du gouvernement de Biberman (Bibi Netanyahou et Avigdor Lieberman) ou bien de Bibarak (Bibi et Ehud Barak) ? Aucun des deux. C’est le gouvernement de Bibiyahou. Benyamin Netanyahou a prouvé qu’il était un fin politicien. Il a réalisé le rêve de tout politicien (ou spectateur de théâtre), une bonne place au centre. Dans son nouveau gouvernement, il peut monter les fascistes à droite contre les socialistes à gauche, les laïcs de Lieberman contre les orthodoxes de Shas [1] . Une situation idéale.

La coalition est assez large pour être à l’abri du chantage de chacun des partis la composant. Si des travaillistes cassaient la discipline de la coalition, Netanyahou aurait toujours la majorité. Et si l’extrême droite posait problème. Ou si les orthodoxes essayaient de lui planter un couteau dans le dos.

Ce gouvernement n’est engagé à rien. Ses règles de base - un document signé par tous les partenaires du nouveau gouvernement israélien - sont complètement nébuleuses. (De toute façon, des règles de base n’ont aucune valeur. Tous les gouvernements israéliens ont bafoué sans sourciller leurs règles de base. Elles se sont toujours avérées être des chèques en bois).

Tout ceci fut acquis à bas prix par Nethanyaou - quelques milliards de promesses économiques qu’il ne rêvait pas de tenir. Les caisses sont vides. Comme un de ses prédécesseurs premier ministre, Levy Eshkol, qui a prononcé ces fameuses paroles : “j’ai promis, mais je n’ai pas promis de tenir mes promesses”.

Il a aussi accordé sa confiance comme ministre à tous sans exception. Ce petit pays aura 27 ministres et 6 secrétaires d’état. Et alors ?

Si besoin, Netanyahou donnera un fauteuil ministériel aux 74 membres de la coalition.

LE CLOU FINAL fut l’enrôlement du parti Travailliste dans son gouvernement.

Tout d’un coup il transforma son gouvernement de parias, que le monde entier aurait vu comme une bande de siphonnés, ultra-nationalistes, racistes et fascistes, en un gouvernement du centre, sensé et équilibré. Tout ceci sans changer les individus.

Le plus ardent supporter de cette extension fut Lieberman, le nouveau ministre israélien des Affaires Etrangères. Ce raciste convaincu, frère spirituel du français Jean-Marie Le Pen et de l’autrichien Jörg Haider (j’espère que chacun, le vivant et le mort, ne se sentiront pas insultés), était très anxieux sur ce qui l’attendait. Il s’imaginait tendant la main à Hillary Clinton qui laissait sa main retomber dans le vide. Se penchant en avant pour embrasser Angela Merkel, et la voir lui tourner le dos avec horreur . Désagréable.

L’ajout du Parti Travailliste résout tous les problèmes. Si les sociaux-démocrates se joignent au gouvernement, toutes ces rumeurs de fascismes tournent court. Il est évident que Lieberman a été mal compris. Il n’est absolument pas un fasciste, Dieu l’en garde. Il n’est pas un raciste. C’est simplement un démagogue de droite qui exploite les émotions primitives des masses pour engranger des votes. Quel politicien élu pourrait y objecter ? En fait, Ehud Barak a déclaré casher tout le gouvernement. Il poursuit la tradition glorieuse du Parti Travailliste : la prostitution politique. En 1977, Moshe Dayan est entré au gouvernement de Menahem Begin et l’a déclaré casher, alors que le monde entier considérait Begin comme un dangereux nationaliste. En 2001, Shimon Peres entra au nouveau gouvernement d’Ariel Sharon, et lui donna le certificat de conformité casher, alors que le monde entier voyait Ariel Sharon comme le responsable des massacres de Sabra et Chatila.

POURQUOI est-ce que Barak a fait ça ? et pourquoi est-il soutenu par la majorité du Parti Travailliste ?

Il s’agit d’un parti de gouvernement. Il n’a jamais été rien d’autre. Dès 1933 il l’a emporté sur le mouvement Sioniste, et depuis lors il a toujours dirigé le Yishuv (la communauté Juive en Palestine avant 1948) et l’Etat sans interruption jusqu’à l’arrivée de Begin au pouvoir en 1977. Le Parti Travailliste a été au pouvoir sans interruption pendant 44 ans et a régné sans partage sur l’économie, l’armée, la police, les services de sécurité, les systèmes d’éducation et de santé, et l’Histadrut, le syndicat très puissant à l’époque.

Le Pouvoir est inscrit dans l’ ADN du parti. C’est plus qu’un sujet politique, c’est son caractère, sa mentalité, sa manière de voir le monde. Ce parti est incapable d’être dans l’opposition. Il ne sait pas ce que c’est, et encore moins comment agir en opposant.

J’ai observé les Travaillistes à la Knesset, pendant les brèves périodes où ils étaient dans l’opposition. Ils étaient abattus et mélancoliques. Des douzaines d’entre eux erraient dans les couloirs, comme des fantômes, perdus. Si ils montaient à la tribune, ils s’exprimaient comme s’ils étaient des membres du gouvernement. Le Likoud souffre d’un syndrome opposé. Leurs prédécesseurs ont été dans l’opposition pendant toute la période Yishuv et pendant les 29 premières années de l’état d’Israël. L’opposition est dans le sang des Likoudniks. Et même maintenant, après de nombreuses années au pouvoir (avec interruptions), ils se conduisent comme l’opposition. C’est toujours des victimes de la discrimination, misérables et amers, des gens qui regardent depuis l’extérieur, pleins de haine et d’envie. Ehud Barak personnifie le syndrome de son parti. Tout lui est dû. Le pouvoir lui est dû, le Ministère de la Défense lui est dû. Je n’aurais pas été étonné s’il avait fait ajouter une clause à l’accord de coalition pour que le Ministère de la Défense lui soit attribué à vie (et pour son acolyte Shalom Simchon, le Ministère de l’Agriculture à vie). Les gouvernements passent, les gouvernements cassent, mais Ehud Barak doit être le Ministre de la Défense - que le gouvernement soit de droite ou de gauche, fasciste ou communiste, athée ou religieux. Peu importe comment il tient son rôle, il a toujours droit au moins à la mention très bien .

ALORS que fera ce gouvernement ? que peut-il faire ? En ce qui concerne les grandes lignes, il y a unanimité complète. Lieberman, Netanyahou, Barak, Ellie Yishai du Shas and Danny Hershkovitz du parti “Jewish Home” sont tous d’accord en ce qui concerne les Palestiniens. Ils sont d’accord pour empêcher la création d’un véritable état Palestinien. Ils sont tous d’accord pour ne pas parler au Hamas. Ils soutiennent tous l’extension des colonies. Pendant que Barak était aux manettes comme Premier Ministre, les colonies se sont développées beaucoup plus vite que sous Nethanyahou. Lieberman est lui-même un colon, le parti de Hershkovitz représente les colons. Ils pensent tous que la paix n’est pas nécessaire, que la paix n’est pas bonne pour nous. (Après tout, c’est Barak, et non pas Netanyahou ou Lieberman, qui inventa la phrase “Nous n’avons pas de Partenaire pour la Paix ”.) Alors quelle sera la véritable plateforme de ce gouvernement ?

En cinq mots : Tromperie pour la mère patrie. Sur la voie choisie par ce gouvernement, il y a un gros bloc de rocher : les Etats-Unis d’Amérique. Alors qu’Israël a fait un grand bond vers la droite, les Etats-Unis ont fait un grand bond vers la gauche. Il est difficile d’imaginer un plus grand contraste qu’entre Benyamin Netanyahou et Barack Obama. Ou entre les Bara(c)ks - Barack Obama et Ehud Barak Netanyahou est conscient du problème, plus peut-être qu’aucun autre leader israélien. Il a grandi aux Etats-Unis après que son père, professeur d’histoire à Jérusalem, ait été démis de ses fonctions académiques à cause de ses vues d’extrême droite, puis il partit en Amérique. C’est comme ça que Benyamin alla dans une high-school puis à l’université. Il parle couramment l’anglais américain des hommes d’affaire.

S’il y a une chose qui réunisse presque tous les israéliens, de droite ou de gauche, c’est la conviction que les relations entre Israël et les Etats-Unis est fondamentale pour la sécurité de l‘Etat israélien. Le souci principal de Netanyahou est donc de prévenir une trop grande distorsion entre les deux pays. C’est précisément pourquoi Barak a été admis au gouvernement, pour éviter ce genre de clash. Netanyahou veut aller en visite à la Maison-Blanche avec Barak, pas avec Lieberman. Le clash semble inévitable. Obama veut instaurer un nouvel ordre au Moyen-Orient. Il sait que le conflit Israélo-Palestinien empoisonne l’atmosphère et dresse les Arabes contre l’Amérique, en fait même l’ensemble du monde musulman. Il veut une solution au conflit ; c’est exactement ce que Netanyahou et ses partenaires ne veulent à aucun prix, sauf si le prix était une rupture avec les Etats-Unis.

Que faire ?

La solution est écrite dans la Bible (Proverbes 24:6) : “Car tu auras recours à des ruses pour mener ta guerre."

(Dans la version du roi James, le mot hébreu Takhbulo est traduit par « sage conseil ». En hébreu moderne, il signifie « ruses, trucs, stratagèmes », et c’est ce que comprennent tous ceux qui parlent hébreu aujourd’hui. DEPUIS l’origine du Sionisme, les leaders ont compris que leur vision nécessitait une bonne communication. Il est impossible d’occuper un pays habité par un autre peuple sans voiler le but, détourner l’attention, cacher les actions sur place derrière des paroles fleuries. Bien sûr, tous les états mentent. Il y a 400 ans, un diplomate britannique, Sir Henry Wotton, a déclaré : « Un ambassadeur est un honnête homme envoyé à l’étranger pour mentir pour le bien de son pays. » En raison des circonstances particulières, les Sionistes ont du employer la tromperie peut-être un peu plus que de coutume. Maintenant il s’agit de présenter au monde, et plus particulièrement aux Etats-Unis et à l’Europe, une fausse vision, prétendant que notre nouveau gouvernement souhaite ardemment la paix et agit pour la paix, fait tout pour rechercher la paix - tout en faisant exactement le contraire.

Le monde va être l’objet d’un déluge de déclarations et de promesses, accompagnées de grimaces et de postures, de conférences et de meetings.

On entend déjà Netanyahou, Lieberman et Barak s’amuser avec l’ « initiative de paix arabe » Ils vont en parler, l’interpréter, l’accepter ostensiblement tout en lui joignant des amendements qui la videront de son sens. Le grand avantage de cette initiative est qu’elle ne vient pas des Palestiniens, donc ne requiert pas de négociations avec les Palestiniens. Comme feu « l’option Jordanienne » et autres du même genre, elle sert de substitut au dialogue avec les Palestiniens. La Ligue Arabe inclut 22 gouvernements dont certains coopèrent en coulisses avec le pouvoir israélien. On peut compter sur eux pour ne rien laisser émerger de concret.

Mais pour se tromper, comme pour danser le tango, il faut être deux ; il y en a un qui trompe et l’autre qui veut être trompé.

Netanyahou croit qu’Obama voudra être trompé. Pourquoi voudrait-il se disputer avec Israël, se confronter au tout-puissant lobby pro-israélien au congrès US, alors qu’il peut se contenter des paroles rassurantes de Netanyahou ? Ignorer l’ Europe, divisée et culpabilisée par l’Holocauste, avec un Tony Blair pathétique déambulant comme un fantôme qui ne peut trouver le repos. Est-ce qu’Obama est prêt à jouer, comme presque tous ses prédécesseurs, le rôle de l’amant trompé ? Le gouvernement de Biberman/Bibarak/Bibiyahu croit que la réponse est un Oui retentissant. J’espère que ce sera un Non retentissant.

Publication originale Gush Shalom, traduction Contre Info

Notes :
[1] ndt : dirigeant du parti anciennement nommé The Worldwide Sephardic Association of Torah Keepers

Uri Avnery est un écrivain israélien et un activiste de la paix du mouvement Gush Shalom (Bloc de la Paix). Il a participé au livre collectif de CounterPunch “The Politics of Anti-Semitism”.