Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Archives > Actualités Israël-Palestine > Terre Sainte ou enfer sur terre ?

Ecocide en Palestine

Terre Sainte ou enfer sur terre ?

( Ethan Ganor, Septembre 2005 )

samedi 1er octobre 2005

Pollution, Apartheid et Manifestations en Palestine occupée

De la Vallée du Jourdain et du bassin de la Mer Morte, à travers les hautes terres centrales comprenant le cœur peuplé de la Cisjordanie jusqu’aux collines fertiles encadrant Israël, des rapports récents de Palestine occupée révèlent une crise de l’environnement qui s’aggrave. Un labyrinthe de colonies, de zones industrielles, de décharges, de camps militaires, de routes fortifiées, de barrières électrifiées et du Mur massif en béton, tout cela installé par Israël en Cisjordanie depuis 1967 et intensifié depuis 2000, est en train de vider de vie de cette terre ancienne.

Des actions destructives de colons et de soldats, des déchets d’usines et de colonies, les confiscations de terres afin d’étendre les colonies et les routes, le pillage de l’eau, le déracinement en masse ou la destruction par le feu d’arbres, la structure rampante qui éclipse le soleil connu par les Palestiniens comme le « Mur de l’Apartheid » provoquent la détérioration de l’écosystème autrefois riche de la Cisjordanie.

L’impact cumulatif sur l’hydrologie de la terre, la couche arable, la biodiversité, l’assurance de la nourriture et sur sa beauté naturelle, est sévère. Plus connue en tant que « Terre Sainte » abondante « où coule le lait et le miel » (comme décrit dans les textes religieux et les mémoires) l’environnement de la Palestine est devenue une arme de guerre, désignée délibérément à transformer la vie de ses habitants en un enfer.

Le désengagement israélien de la Bande de Gaza tant vanté tout en montrant que la décolonisation est possible, est en même temps un rideau de fumée qui distrait l’attention de l’escalade de la violence en Cisjordanie. Faire toute la chronique de la dévastation actuelle en Palestine remplirait plusieurs volumes ; ce qui suit ne représente que quelques instantanés.

Empoisonnement de la terre

En mars dernier, des bergers de Tuwani et de Mukafara, des villages palestiniens près de Hébron au Sud-Ouest de la Cisjordanie, ont découvert des étranges petites boulettes bleues étalées sur tous leurs pâturages. En soupçonnant que ces graines étaient la cause possible de douzaines de morts de chèvres et de moutons qui s’étaient produits la semaine précédente, les villageois les ont fait analyser. Les tests ont confirmé ce qu’ils soupçonnaient : les boulettes étaient faites d’orge mélangé à de la fluoroacetamide, une mort aux rats produite seulement en Israël et qui est illégal dans beaucoup d’autres pays à cause de sa toxicité aigüe.

Non seulement les rongeurs mais aussi les gazelles, les oiseaux migrateurs, les serpents et autres animaux avaient été empoisonnés. Les fermiers palestiniens ont été obligés de mettre leur troupeau en quarantaine et d’arrêter de vendre ou d’utiliser leur lait, fromage et viande. Le 8 avril, de nouvelles boulettes empoisonnées roses teintées par du brodifacoum, une autre mort-aux-rats anti-coagulant très toxique a été trouvé dans la zone de pâturage sur une colline près de Tuwani. Plus tard dans le mois, Amnesty International a émis un communiqué de presse condamnant les autorités israéliennes pour n’avoir pas nettoyé les produits chimiques toxiques des zones touchées et de n’avoir pas mis en accusation les responsables.

Les Palestiniens locaux blâment les colons israéliens de Maon et de Havat Maon, deux petits postes avancés proches au Sud de Hébron, et dont les membres masculins sont connus pour avoir agressé les enfants de Tuwani alors qu’ils passaient devant les colonies pour se rendre à l’école. Des activistes solidaires ont filmé sur vidéo un des officiels de Maon qui a reconnu savoir que les colons de Havat Maon avaient introduit les poisons.

Pollution industrielle et décharges

Alors que de tels empoisonnements semblent être le fait d’attaques isolées de colons crapuleux, d’autres formes de pollution en Cisjordanie sont systématiques et permanentes. Le paysage est maculé d’usines israéliennes. Situées principalement sur les collines dans les colonies israéliennes et dans des zones industrielles sur les zones frontalières, les usines fabriquent des produits allant de l’aluminium, le plastique et de fibres de verre jusqu’au piles, détergents, pesticides et articles militaires.

Du fait que les propres lois israéliennes sur l’environnement, généralement rigoureuses et réglementant les procédures industriels et les décharges de déchets, ne sont pas imposées dans les territoires occupés, la Cisjordanie est devenue une zone sacrificielle. Beaucoup des usines n’ont pas de mesures de précaution et rejettent des déchets solides en plein air, de l’eau usée qui coule dans les bassins hydrographiques ou des déchets dangereux déversés et enterrés dans des sites extérieurs. Les terres au pied des zones industrielles sont particulièrement vulnérables. Une des zones les plus importantes, Barqan près de Naplouse, renferme 80 usines et génère 810.000 m3 d’eaux usées par an. Les eaux usées coulent dans un Wadi ( dont le canal est sec sauf pendant la saison des pluies) et polluent les terres agricoles de trois villages palestiniens.

Le 5 juillet, des activistes d’ISM (International Solidarity Movement) se sont joints aux Palestiniens pour manifester contre les industries Geshuri, un usine israélienne de pesticides et de fertilisants. Situé à l’origine dans la ville de Kfar Saba en Israël, jusqu’u moment où les citoyens ont obtenu de la Cour un ordre de fermeture à cause de violations de pollution, Geshuri a déménagé en 1987 sur le site actuel en bordure de la ville palestinienne de Tulkarem. La pollution provenant de l’usine a abîmé les agrumes, Sali le sol et l’eau souterraine, provoqué des maladies respiratoires parmi les habitants voisins et contribué au fait que Tulkarem a le plus haut taux de cancers de Palestine. Ce printemps, un nouveau Mur (qui annexe de grandes surfaces de terres agricoles) a été construit autour du complexe. Les manifestants, portant des masques chirurgicaux bleus pour éviter d’inhaler les fumées, tenaient des pancartes et ont peint des messages sur le Mur : « Enlevez l’usine de mort », « Eloignez votre poison de nos enfants » et « Ceci est du terrorisme ».

Les décharges illégales sont un autre problème chronique. Le 11 avril, plus de 200 personnes appartenant à Anarchists Against the Wall, Green Action Israel et le village palestinien de Deir Sharaf ont bloqué les camions d’ordures qui transportaient des déchets sur les terres d’Abu Shusha, la plus importante carrière en Cisjordanie. En 2002, lors de son invasion pendant l’ Operation Defensive Shield, l’armée israélienne a pris ce site des propriétaires palestiniens. Depuis lors, des milliers de tonnes de déchets ont été déplacés secrètement dans cette carrière qui est proche de quatre puits et seulement à 230 mètres d’une nappe aquifère qui fournit de l’eau potable à Naplouse.
Une enquête du Groupe hydrologique Palestinien a confirmé que les eaux de ruissellement de la décharge a tué des plantes médicinales et sauvages dans la vallée. Elles ont affecté la biodiversité et l’esthétique de la région. Et encore plus important, cette terre n’est plus appropriée pour faire pousser des oliviers.

Après trois années de silence, l’indignation internationale a finalement éclaté début avril quand des journalistes israéliens ont exposé le plan. Avec un accord tacite du gouvernement mais sans permis officiel, les colons étaient en train de faire des profits avec la décharge en vendant leurs services de transport d’ordures aux villes israéliennes. La justice environnementale a remporté une rare victoire en juillet lorsque une Cour israélienne a voté une injonction fermant la décharge. Mais le réservoir de déchets demeure et des douzaines d’autres décharges à travers toute la Cisjordanie restent opérationnelles. Et l’usine au-dessus de la carrière n’a pas été fermée et elle continue à pomper des flots de fange noir puante dans les oliveraies en bas.

Un Apartheid durable ?

Alors que le gouvernement de droite du premier ministre Ariel Sharon et les colons israéliens extrémistes sont les agents immédiats de cet assassinat écologique, un système global qui bénéficie de et soutient l’occupation est également coupable. Les USA fournissent la puissance de feu militaire et le muscle diplomatique qui rend cela possible ; Caterpillar fournit les bulldozers qui rasent les maisons, les arbres et les champs afin de construire le Mur ; et les institutions financières comme la Banque Mondiale accorde les lubrifiants économiques indispensables.

En 2004, la Banque mondiale a publié deux rapports décrivant dans les grandes lignes une version malade de « développement durable » pour la Palestine qui accepte la réalité du Mur plutôt que son illégalité. Tandis que le Mur taille son chemin à travers la Cisjordanie, isolant des communes et annexant des terres de culture, le gagne pain (moyen d’existence) pour des milliers de familles palestiniennes est détruit et le chômage devient endémique. Dans la lignée des objectifs israéliens, la Banque Mondiale propose de résoudre ce problème artificiel en établissant de nouveaux « domaines industriels » le long du Mur où le labeur bon marché palestinien travaillant pour un quart du salaire minimum israélien, sera exploité afin de produire des marchandises pour l’exportation dans l’économie globalisée.

Déjà, un tel domaine est en construction à Tulkarem, sur une terre palestinienne qui a été annexée derrière le Mur. De plus, la Banque Mondiale a aidé Israël pour trouver des fonds afin de créer un apartheid encore plus « sur », « efficace » et « orienté vers la croissance » : des check-points améliorés de haute technologie et des portes de prison, des « barrières intelligentes », des tours de contrôle, des passages frontaliers avec des machines radioactives d’espionnage qui voient au travers des vêtements des gens et des tunnels souterrains pour faciliter le contrôle israélien sur les voyages des Palestiniens et un monopole continuel sur les ressources naturelles de la terre. Sous un régime d’apartheid, le déplacement entre n’importe lequel des huit districts de la Cisjordanie, Naplouse, Qalqilya, Tulkarem, Ramallah, Bethlehem et Hébron, est interdit sauf avec un permis spécial et Jérusalem est complètement isolée par le Mur. Plutôt que de mettre fin à cette configuration de ségrégation et de dépossession, la Banque Mondiale veut qu’Israël « allège les bouclages internes et qu’elle restaure le flux prévisible de marchandises à travers les frontières ».

La normalisation de l’apartheid met non seulement en lambeaux les droits fondamentaux des Palestiniens en les confinant dans des ghettos et des lieux de travail où ils sont exploités mais elle perpétue également la dévastation écologique de la terre. Une véritable interruption ne peut être basée que sur la décision du 9 juillet 2004 de la Cour de Justice Internationale demandant à Israël de détruire le Mur. La décision donne l’ordre à la communauté internationale de ne « pas reconnaître la situation illégale créée par la construction du Mur et de ne pas donner assistance ni aide pour maintenir la situation ainsi créée ».

La résistance populaire au Mur

Les puissances internationales ne voulant pas imposer ni la décision de la cour Internationale de Justice ni les résolutions des Nations Unies qui demandent la fin de l’occupation, les communautés palestiniennes se mobilisent pour défendre leurs terres de l’annexion et de la destruction. Depuis septembre 2002, quand Israël a commencé à construire la première boucle du Mur pour encercler la ville agricole à l’époque prospère de Qalqilya, le Réseau palestinien d’organisations non gouvernementales de l’environnement a coordonné les mouvements populaires de l’ « Anti-Apartheid Wall Campaign » (AAWC). L’AAWC est enracinée dans une action directe non-violente organisée par les « Popular Committees Against the Wall » dans des douzaines de communes qui sont directement menacées par le tracé du Mur.

Budrus est un petit village de 1.300 habitants, situé à 32 kilomètres Ouest de Ramallah et où deux années de résistance féroce ont produit le premier cas où une commune a bloqué avec succès l’érection du Mur sur ses terres. Des rassemblements de masses ont uni toute la ville tandis que tout le monde du bambin aux vieillards ont convergé dans les champs et les oliveraies ciblés, affluant vers les équipes de construction avec une discipline pacifique et soulevant suffisamment de vacarme jusqu’à ce que la Cour Suprême d’Israël change le tracé du Mur. En mars, après que les forces israéliennes aient donné l’assaut sur un mariage local, aient ouvert le feu et arrêté un adolescent, les villageois ont spontanément détruit 304 mètres de clôture de barbelés érigée en place du Mur. Mais le prix a été élevé : six habitants du village ont été tués et des centaines, blessés par l’armée en représailles de la lutte non-violente.

La résistance actuelle est la plus active à Bil’in, un village de 1.600 habitants également près de Ramallah, où des manifestations presque journalières depuis février ont résisté aux plans israéliens visant à annexer 60% des 404 hectares de la commune pour le Mur. Avec le soutien d’activistes solidaires internationaux et israéliens, les villageois ont utilisé les tactiques du style « Earth-First ! » (La terre d’abord !).

Le 4 mai, les manifestants se sont enchaînés aux oliviers pour empêcher qu’un verger situé sur le tracé du Mur ne soit rasé. Le 1er juin ils se sont enfermés dans un faux mur devant les bulldozers, obligeant les soldats à démanteler symboliquement le mur avant de pouvoir en retirer les activistes. Ces actions et d’autres coups visuels créatifs ont provoqué une vaste attention des media mais aussi une répression brutale de l’armée. Des bombes lacrymogènes, des balles de métal recouvertes de caoutchouc, des grenades choquantes (qui créent une lumière aveuglante et font un bruit assourdissant) et un nouveau dispositif appelé le « Scream » (un énorme haut-parleur qui émet des ondes sonores douloureuses) sont communément utilisé pour disperser les manifestants qui n’ont pas encore réussi à arrêter la construction du Mur.

Environ un tiers des 676 kilomètres prévus du Mur est terminé ; 80% de celui-ci pénètre en Cisjordanie. La construction se fait à présent dans la région de Jérusalem, Hébron et Bethlehem ainsi qu’autour du bloc de colonies d’Ariel en pénétrant profondément à l’intérieur du Nord de la Cisjordanie. Si le Mur est complété à cet endroit ainsi que le long de la vallée du Jourdain, celui-ci annexera environ 46% de la Cisjordanie. On estime que pendant ces cinq dernières années, plus de 400.000 oliviers comprenant 40% des terres cultivées palestiniennes et qui sont le produit de base des récoltes des communes rurales, ont été déracinés.

Cet automne promet d’être une autre saison de résistance populaire intense. Octobre et novembre sont les saisons pics pour la récolte annuelle des olives en Palestine et des activistes internationaux seront à nouveau présents pour défier les actions des colons et de l’armée israélienne qui refusent aux Palestiniens l’accès à leur terre et le droit de récolter leurs cultures.

Pour plus d’information, visitez :
www.palsolidarity.org
www.stopthewall.org

*Ethan est un juif anti-sioniste, eco-anarchiste, diplômé de l’Institut Arava pour les Etudes sur l’Environnement en Israël et le fondateur du réseau, « Trees Not Walls Network ». Il est redevable aux forêts pour avoir donner refuge à son grand père durant deux ans en Europe de l’Est pendant l’Holocauste.
On peut le contacter sur : treesnotwalls@riseup.net

Avec la complicité de : c.alatriste@free.fr
Traduit par : Ana Cléja