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Source : CCIPPP - Ce qui suit est’il encore possible ? Réponse ce soir après vote (ndlr)

« Rester des gens respectables »

par Gideon Spiro (Hagada Hasmalit) - Mardi, 10 février 2009 - 7h46 AM

mardi 10 février 2009

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Les affreuses ondes de choc qui font suite à l’orgie de tuerie et de destruction que l’armée d’invasion israélienne a menée dans la Bande de Gaza envahissent toutes les sphères de la vie, en Israël, à commencer par l’armée elle-même.

« Chez nous, les Juifs, c’est différent. Nous appartenons au monde civilisé qui sanctifie la vie ».

Au plus fort de l’offensive d’attentats-suicides avec ceintures d’explosifs, on a vu se multiplier en Israël, depuis les plus hauts échelons politiques et militaires jusqu’au sein du peuple, comme cela se reflétait dans les réactions des lecteurs en ligne, les considérations sur « la mentalité arabe qui ne sanctifie pas la vie » ou sur « la religion musulmane qui exhorte au meurtre ». Je ne pense pas que ces propos soient fondés – j’ai déjà écrit plus d’une fois qu’aucune religion n’était pure de toute mort en martyr, de même que dans toute religion, on peut trouver des valeurs de sanctification de la vie – mais ils exprimaient un sentiment israélien de supériorité du genre « Chez nous, les Juifs, c’est différent. Nous appartenons au monde civilisé qui sanctifie la vie ». Ce n’est pas exactement le cas.

Il apparaît que le suicide fait partie des valeurs de l’armée israélienne. Peu avant l’entrée dans Gaza, un commandant de brigade du régiment Golani a été enregistré alors qu’il disait à ses soldats que si un soldat était capturé, il devait se faire sauter avec une grenade qu’il porte sur lui. En d’autres termes, mieux vaut pour lui se suicider plutôt que se retrouver captif. Interrogé sur la réaction de l’armée, le porte-parole de l’armée israélienne n’a pas exprimé de désaccord par rapport à cette directive.

En Israël, combien de fois les médias n’ont-il pas publié des extraits de prêches prononcés par des imams dans des mosquées et remplis d’expressions très dures à l’encontre d’Israël ? Chez nous, il n’en va pas autrement. Le rabbin en chef de l’armée, le colon et brigadier général Avichai Ronski, a distribué aux soldats qui ont envahi Gaza de la lecture comportant des réflexions de droite à connotation raciste comme, par exemple, qu’il est « interdit de par la Torah d’abandonner un millimètre de la terre d’Israël aux non-juifs. Ne la laissons pas aux mains d’un autre peuple, pas même un doigt de celle-ci, pas même un bout d’ongle de celle-ci ». Le rabbin en chef de l’armée a dit aux soldats : « il n’y a pas de population innocente… La morale de la Torah décrète malheur au méchant et malheur à son voisin. Nous appelons à ne pas tenir compte des lois étrangères et ordonnances en tous genres qui entravent le cours logique de la guerre : la destruction de l’ennemi. »

En d’autres termes, ce que le rabbin en chef de l’armée dit aux soldats engagés dans l’invasion c’est qu’une population civile, avec ses enfants, ses femmes et ses vieillards, fait partie de l’ennemi qu’il faut détruire. Cette lecture était destinée à « renforcer l’esprit des soldats ».

Quand le message est celui-là, il n’y a pas lieu de s’étonner que 400 enfants aient été tués, que plus de cent femmes aient été tuées, pour ne rien dire des milliers de blessés, essentiellement des enfants, des femmes et des vieillards.

La colonelle Pnina Charbit-Baroukh est à la tête du département du droit international dans le service de l’Avocat Militaire Général. Elle et les membres de son département ont suivi de près les opérations de l’armée à Gaza, en fournissant l’autorisation juridique de tuer et de détruire massivement. Selon l’interprétation juridique qu’elle a fournie à l’armée, la transformation de Gaza en une espèce de ghetto de Varsovie, selon l’expression employée par un représentant de l’ONU qui venait de voir les terribles dévastations, cadre avec le droit international. D’Israël et de l’étranger, des experts réputés dans le domaine du droit international ont exprimé leur opinion selon laquelle la guerre à Gaza comportait la perpétration de nombreux crimes de guerre et que tous ceux qui y avaient pris part, du simple soldat au général et aux membres du gouvernements, étaient candidats à une comparution devant un tribunal.

Madame Pnina Charbit-Baroukh est sur le point d’être démobilisée de l’armée et elle est déjà reçue comme professeur de droit international à la faculté de droit de l’Université de Tel Aviv. Certains professeurs de l’Université ont protesté et critiqué cette nomination. Anath Matar, professeur au département de philosophie, a déclaré : « J’ai été choquée en découvrant que la moitié des étudiants de deuxième année de droit apprendront, cette année-ci, les principes fondamentaux du droit international de celle-là même qui aura aidé à blanchir une tuerie de civils, parmi lesquels des centaines d’enfants. »

Le professeur Chaim Gans, qui enseigne à la faculté de droit, a écrit au doyen de la faculté, le professeur Hanokh Dagan, que Pnina Charbit-Baroukh « a interprété, à destination de l’armée et pour les besoins de la mise en œuvre de la dernière guerre de Gaza, les lois de la guerre de manière à autoriser l’exécution d’actes suspects de crimes de guerre ».

Le doyen a répondu : « La faculté n’a pas besoin d’examiner ni d’évaluer les positions juridiques, politiques et morales de ses enseignants tant que ceux-ci restent dans le cadre du droit et de ce qui est admis dans une société démocratique ».

Pour le professeur Hanokh Dagan, le fait d’autoriser à tuer massivement des civils cadre parfaitement avec « ce qui est admis dans une société démocratique ». Nous découvrons à quel point la guerre fait glisser le monde académique lui-même vers la corruption des valeurs morales.

Un ami me faisait remarquer, dans un moment de profond désespoir, qu’Hitler n’était pas seulement parvenu à anéantir un tiers du peuple juif, mais qu’il avait également réussi à dénaturer moralement une partie non négligeable des Juifs restés en vie.

Je terminerai en citant un propos tenu en un autre temps, à l’adresse d’un autre public, mais qui convient bien à la bestialisation qui caractérise la société israélienne : « La plupart d’entre vous savent ce que cela signifie quand des centaines de cadavres, ou cinq cents ou mille cadavres, sont allongés les uns à côté des autres. Tenir bon en remplissant cette mission et – à part d’exceptionnelles faiblesses humaines – rester encore des gens respectables, voilà ce qui nous a fortifiés. C’est une page glorieuse de notre histoire… (1) » (Heinrich Himmler, discours prononcé lors d’une assemblée du parti dans la ville de Poznań, en 1943).

Pas d’allégeance, pas de citoyenneté

Avigdor Lieberman, le dirigeant du parti d’extrême droite « Yisrael Beiténou », constitue l’une des manifestations les plus dures de cet Israël laid, brutal, conquérant, raciste. Actuellement, les sondages prévoient pour son parti une augmentation significative susceptible de faire de celui-ci le troisième par la taille. L’immigrant de Russie, arrivé au Proche-Orient il y a quelques années, veut chasser du pays des centaines de milliers de citoyens arabes qui vivent ici depuis des siècles.
Il a un plan par étapes dont la première passe par l’établissement d’une loi portant obligation à tout citoyen de signer une « déclaration d’allégeance à l’Etat ». Celui qui ne signerait pas perdrait sa citoyenneté. Le slogan de l’opération est : « Pas d’allégeance, pas de citoyenneté ». Ce document d’allégeance comportera des clauses telles qu’il va de soi qu’il ne se trouvera aucun Arabe sensé pour le signer. (Pourquoi par exemple un citoyen arabe irait-il chanter un hymne qui comprend les mots : « une âme juive vibre » ?) Le résultat est évident : plus d’un million de citoyens arabes se verront privés du droit de vote.

Dans la mentalité nationaliste raciste qui couvre Israël de son ombre, un tel projet bénéficie d’un soutien considérable parmi les Juifs d’Israël – considérable mais pas absolu. Lieberman ne tient pas compte de ce qu’il se trouvera des dizaines de milliers de Juifs, peut-être cent mille, peut-être davantage, qui ne signeront pas le document et déclareront « nous ne sommes pas dévoués à l’Etat de Lieberman et consorts ». Il s’agit de Juifs qui sont la pierre angulaire de la population israélienne éduquée, une partie importante du monde académique et de l’infrastructure technologique israélienne.

Et alors quoi ? Lieberman privera cent mille Juifs de leur citoyenneté ? Je déclare dès maintenant qu’il n’y a chez moi pas la moindre pincée de loyauté à l’égard de l’Etat israélien d’apartheid et que je ferai tout ce qui m’est possible pour le faire tomber et qu’il s’écrase.

La journée internationale du génocide juif

Le 27 janvier est la journée internationale du génocide juif. La contribution d’Israël à cette journée s’est exprimée dans des agressions racistes commises par des bandes de jeunes Juifs se déchaînant contre des Arabes, pour le seul fait qu’ils sont arabes. A Nazareth Ilit, un groupe de jeunes, dont des étudiants d’écoles rabbiniques, s’est organisé pour incendier des voitures appartenant à des Arabes et tenter de bouter le feu à leurs appartements parce que, dans l’idée de ces racistes, les Arabes « contaminent » la ville qui devrait, selon eux, être pure de tout Arabe. Une vingtaine de mineurs âgés de 14 à 16 ans ont agressé Mohamed Mansour, 20 ans, de Majd al-Kroum, alors qu’il marchait sur la promenade de Tibériade. Ils ont opéré un lynchage version Nuit de Cristal, l’ont blessé sur tout le corps, lui ont causé de profondes coupures à la tête si bien qu’il a fallu l’hospitaliser. Ces adolescents n’avaient aucun lien personnel avec Mansour : ils ne le connaissaient absolument pas. Son seul « crime » aux yeux de ces adolescents : être arabe. La police a confirmé que telles étaient bien les circonstances de l’incident.

Où ces jeunes gens de Nazareth Ilit et de Tibériade sont-ils allés chercher les idées d’où ils ont conclu qu’il leur était permis de mettre le feu à des appartements d’Arabes, avec ses occupants à l’intérieur, et d’opérer un lynchage contre un Arabe ? Il est clair que cela ne leur viendrait pas à l’esprit de le faire si Israël n’était pas le Jardin d’Eden du racisme et des racistes. L’ambiance et l’air, en Israël, sont saturés d’incitation raciste à l’encontre des Arabes. C’est à la maison que ces adolescents ont absorbé ces idées, à la yéshiva, à l’école, dans les médias, et le chemin qui mène de l’idée à sa réalisation est très court chez des adolescents racistes.

Le gouvernement d’Israël s’est-il fendu d’une déclaration tranchante à l’encontre de ces actes ? La Ministre de l’Enseignement a-t-elle diffusé un communiqué de presse dans lequel elle s’excusait de ce que le réseau dont elle a la responsabilité ne soit pas parvenu à assimiler la lutte contre le racisme ? A ma connaissance : non. La journée internationale du génocide juif n’est pas seulement marquée pour rappeler ce génocide mais a pour objectif de constituer une tribune pour la lutte contre le racisme quel qu’il soit. Mais pas en Israël. Quelle importance, pour nos ministres, que l’on se déchaîne contre des Arabes ? Ils reviennent tout juste d’une festivité de massacre de centaines d’enfants palestiniens à Gaza et ils s’émouvraient de ce qu’on brûle ou lynche des Arabes ? Ce n’est rien, ça, pour eux.

L’institution de « Yad Vashem » a-t-elle fait une déclaration pour exprimer son dégoût devant ces événements qui ont eu lieu si près de la journée internationale du génocide juif ? Quelle naïveté que d’attendre des chefs de l’industrie du génocide, à « Yad Vashem », qu’ils s’occupent de pareilles broutilles. D’autant plus qu’à la tête de cette institution se trouve un ancien officier supérieur de l’armée israélienne d’occupation que les pogromes anti-arabes, ainsi que l’occupation et l’apartheid dans les territoires occupés intéressent autant, dans le cadre de ses fonctions, que les neiges de l’an dernier. « Yad Vashem » n’est pas une institution contre le racisme mais un bras du gouvernement d’Israël dont la fonction est d’aider à cette manipulation qui veut qu’une critique à l’égard d’Israël soit de l’antisémitisme chez des gens qui « n’ont pas appris la leçon du génocide juif ». Le génocide est affecté au flot ininterrompu des besoins des gouvernements d’Israël.

« Yad Vashem » est une institution aux budgets solides. Elle reçoit un financement du gouvernement israélien, des donations d’organisations juives et de riches Juifs, mais pas seulement : elle reçoit aussi des donations d’institutions non juives chez lesquelles Israël a réussi à semer des sentiments de culpabilité. Cela aussi constitue une raison pour ne pas s’occuper du racisme visant les Arabes en Israël, dans la mesure où cela n’amène aucun bonus financier.

Outre les donations et les budgets, « Yad Vashem » dispose d’un mécanisme bien huilé pour des contributions de particuliers, chacun selon sa capacité et sa carte de crédit. Ces jours-ci, j’ai reçu une lettre de « Yad Vashem », signée du milliardaire David Azrieli (le président du groupe Azrieli) qui fait office de président du cercle des amis de « Yad Vashem », et dans laquelle j’étais invité à apporter ma contribution à l’institution « au profit de la continuité de l’existence juive et de la préservation des valeurs fondamentales de la société humaine ».

L’institution de « Yad Vashem » se distingue par son absence de réactions au racisme présent en Israël et par son silence prolongé face aux brutalités et aux crimes de guerre perpétrés par les gouvernements d’Israël, l’armée et la Sûreté Générale [Shabak]. Il semble qu’aux yeux des responsables de l’administration de « Yad Vashem », ce silence s’accorde parfaitement avec les « valeurs fondamentales de la société humaine ». C’est pourquoi, le peu d’argent que j’affecte aux donations ira à des organismes qui ont mis à leur bannière la lutte contre le racisme au titre de valeur universelle.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)