Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Comment le système d’occupation et d’oppression mène (...)

Source : Institut Arabe d’Éducation (AEI-Open Windows) – Bethléem (Affilié à Pax Christi)

Comment le système d’occupation et d’oppression mène inévitablement à la violence

Samedi, 17 janvier 2009

samedi 17 janvier 2009

==================================================

La violence que subissent actuellement les habitants de Gaza est l’aboutissement d’un système complexe d’exercice du pouvoir mis en place par Israël tout au long d’années d’occupation et de siège. La contestation de ce système comme le soutien persévérant de la sumud (résolution, fermeté) palestinienne et des droits nationaux et individuels sont essentiels pour garantir la dignité humaine des palestiniens.

Un élément majeur du système de pouvoir qui a entraîné et rendu normale la situation extrême que nous voyons maintenant à Gaza est le déséquilibre radical de pouvoir entre les sociétés palestinienne et israélienne. C’est d’une vérité évidente pour ce qui est de la capacité militaire d’exercice de la violence, quelque 1000 fois supérieure dans le cas d’Israël que dans celui des palestiniens qui ne disposent pas d’un État. Moins évidente est la capacité d’exercer la violence par des voies administratives. En imposant son pouvoir à la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza, l’armée israélienne a pris l’habitude au fil des années de prendre des décisions d’une portée considérable pour la vie des civils palestiniens. Il n’y a aucune exagération à dire que l’armée exerce un pouvoir totalitaire. Ses décisions ne concernent pas seulement l’intégrité physique des Palestiniens ; elles affectent aussi en réalité chaque aspect de la vie palestinienne jusque dans les plus petits détails. Les conversations quotidiennes ordinaires entre palestiniens ont toujours pour objet les conséquences de l’occupation et du siège sur les relations familiales, les études ou le travail. Le pouvoir israélien s’exerce d’abord par le blocage des accès au réseau routier et l’octroi très sélectif de permis pour toutes sortes d’activités.

Décisions de vie et d e mort

Alors que l’on peut admettre jusqu’à un certain point l’existence de telles pratiques en situation de guerre, sous réserve de respecter les exigences du droit humanitaire international, le système d’autorité mis en œuvre ici a plusieurs décennies d’existence ; il est devenu un élément constitutif de la vie ordinaire en Palestine. Les soldats et le personnel administratif israéliens considèrent normal, comme s’ils étaient les représentants de Dieu, de pouvoir prendre des décisions de vie et de mort à l’égard des autres de façon habituelle. Le pouvoir absolu s’étend non seulement aux commandants locaux ou aux fonctionnaires mais aussi aux jeunes soldats et aux réservistes. Un israélien moyen peut fournir de nombreux exemples d’occasions dans lesquelles ils peut imposer sa volonté aux palestiniens. Le déséquilibre absolu de pouvoir est devenu la norme tant au niveau général, de société à société, qu’au niveau de la base, d’individu à individu. “Je suis la loi” comme disent les soldats israéliens aux Palestiniens. Dans la conscience israélienne, le système relève d’une conception de la normalité dans les relations israélo-palestiniennes admise tacitement par la communauté internationale. Le système n’a pas de comptes à rendre à ceux qui lui sont soumis et leur bien être n’est pas sa préoccupation.

Les décisions concernant la vie des palestiniens sont couramment fondées sur un autre mécanisme d’exercice de l’autorité : la pratique qui consiste à donner une existence institutionnelle à une grande quantités de catégories administratives, ce qui contribue encore davantage marginaliser les palestiniens et à les déshumaniser. En tant que Palestinien de Gaza, d’Hébron, de Naplouse ou de Jérusalem-Est, de Galilée, de Jordanie ou suivant que l’on est musulman ou chrétien on est l’objet de divers niveaux de limitations en ce qui concerne le statut personnel, les possibilités de déplacement, l’accès aux services et les conditions de vie. Les limitations concernent presque toujours l’appartenance à un groupe ou le lieu de résidence. Si vous êtes membre de telle ou telle famille, si vous êtes de tel quartier ou de telle communauté, ou si vous vivez dans telle maison ou avec telle famille et que les circonstances jouent en votre défaveur, vous pouvez être amenés à subir les conséquences d’une punition collective, un couvre-feu vingt quatre heures sur vingt quatre et des actions arbitraires de destruction comme les démolitions de maisons. Certaines catégories sociales ou certaines zones géographiques sont considérées comme plus menaçantes pour Israël et sont traitées en conséquence. Si vous habitez Gaza , vous constituez une menace plus grande et vous entrez dans une catégorie de gens à qui il est dans presque tous les cas interdit de se déplacer en dehors de la Bande. Les Palestiniens eux-mêmes ont pris l’habitude de penser en catégories sociales et géographiques séparées. Pour les “Cisjordaniens”, “Gaza” est désormais considéré comme un autre monde , inaccessible, même si les habitants de Gaza ne sont, au plan de la nationalité comme au plan politique, pas différents de ceux de Cisjordanie.

L’armée prend couramment des décisions relatives aux Palestiniens en fonction de leur appartenance à des groupes artificiels ou de leurs lieux de résidence. Par exemple, une personne habitant un endroit déterminé ou membre d’un groupe socio-géographique donné se verra accorder un permis pour se rendre aujourd’hui de Cisjordanie à tel endroit ou dans telle rue de Jérusalem. Prise dans une apparence de régularité administrative, de telles décisions sont en général à la fois entièrement arbitraires (personne ne sait par exemple pourquoi un membre de la famille obtient un permis et un autre se le voit refuser) ; elles ont des conséquences d’une portée considérable au plan personnel.

Le système est instauré, selon Israël, pour des raisons de sécurité, pour prévenir ou combattre le terrorisme. Pourtant, les concepts de sécurité et de terrorisme échappent à toute définition sérieuse. Tout Palestinien est un terroriste en puissance et peut être traité comme tel ; presque toute sorte d’opposition à l’occupation est considérée comme un soutien direct ou indirect au terrorisme. Le Hamas et le fondamentalisme islamique sont systématiquement associés au terrorisme et toute distinction entre les civils et les militaires du Hamas a été complètement évacuée.

Confinement

Un outil important de la politique d’amélioration de la sécurité d’Israël fait appel à un autre mécanisme d’oppression et de marginalisation : le confinement, la pratique de maintenir des groupes importants de civils dans des ghettos modernes à l’aide de murs, de tours, de zones de sécurité et de surveillance des frontières. Une fois encore, Gaza en est l’exemple le plus spectaculaire, mais la pratique de création de zones civiles ou militaires fermées a été absolument courante tout au long des années d’occupation, et la construction plus récente de murs et d’autres clôtures en Cisjordanie n’est que le sommet atteint par cette pratique.

Le système d’occupation et d’autorité implique que l’occupant évite systématiquement toute relation avec ceux qui y sont soumis, à la fois au plan physique et au plan psychologique. Les procédures administratives produisent un effet de marginalisation. C’est la même chose pour la police des frontières ou la vérification des permis par des soldats indifférents cachés derrières des vitrages épais. La séparation est devenue la règle, comme par exemple l’interdiction faite actuellement aux israéliens de se rendre en Cisjordanie, même à des moments ou dans des lieux où cela ne comporterait aucun risque pour leur sécurité.

La pratique de l’occupation et de l’exercice de l’autorité, dans toutes ses dimensions, a donné naissance à des relations fortement hiérarchiques, impersonnelles, autoritaires et arbitraires entre Israël et la population de Cisjordanie et de Gaza. “Nous” s’oppose toujours à “eux”. Dans l’esprit et les comportements israéliens, Israël est un lieu de civilisation où la normalité est la règle, tandis que Gaza et la Cisjordanie sont des lieux dangereux et “sauvages”. Gaza en particulier est devenu au fil des années un centre de ténèbres comme si ne vivaient pas là-bas des gens normaux, mais seulement des terroristes en puissance, pas des êtres humains. La situation de nombreux habitants de Gaza, leur état de réfugiés pauvres, est retenue contre eux, comme s’ils étaient de ce fait d’autant plus inquiétants et menaçants.

La règle de l’exception

Les conséquences de cette mentalité et de ces pratiques sélectives sont doubles. D’abord, presque tout est permis dans les secteurs soumis à la règle de l’exception, d’état d’urgence permanent. Nous en voyons les conséquences aujourd’hui à Gaza. Ensuite, ceux qui sont en situation de responsabilité s’arrangent pour se réfugier derrière un voile de jargon sécuritaire et de justifications à caractère administratif. C’est courant dans les propos du monde entier depuis les attentats du 11septembre, mais poussé à ses limites dans le cas israélien. Ce jargon permet à ceux qui mettent en œuvre les politiques de sécurité de vivre dans le mensonge, prenant leurs distances avec ce qui se passe sur le terrain, n’ayant pas à en répondre devant ceux qui en souffrent, tout en exerçant naturellement une autorité absolue sur ceux qui vivent à leur porte.

Dans ce système d’extrême différence de pouvoir et de marginalisation, il devient possible aux points de contrôle de voir les gens traités comme du bétail alors même que l’architecture des points de contrôle conduit les gens contraints d’y attendre à se ressentir comme des sous-hommes. Pire, il est devenu légitime au fil des années de penser qu’on peut en quelque sorte admettre de priver des gens de services de base comme la nourriture, le carburant, l’électricité, l’eau et les médicaments lorsque l’on pense que cela peut “inciter” les gens à s’écarter de quiconque est considéré comme l’ennemi. Comme élément du traitement imposé aux populations civiles en Cisjordanie et à Gaza, les palestiniens se sont rendus compte comment la manipulation de ces approvisionnements est progressivement devenue une option légitime de sécurité. Il y a quelques années, un conseiller important du gouvernement a même fait valoir que c’était une politique que de mettre les Palestiniens à la “diète” pour influer sur leur comportement. Nous en sommes ainsi arrivés à une situation qui nous rappelle la fameuse expérience conduite dans les années 60 par Milgrom ; il prenait des sujets au hasard à qui il demandait d’exécuter les ordres d’une autorité leur demandant d’infliger des chocs électriques d’intensité croissante à d’autres personnes qu’ils ne voyaient pas mais dont ils pouvaient entendre les cris.

Israël prétend que des vies israéliennes peuvent être préservées lorsque de telles politiques autoritaires et cruelles sont appliquées à des catégories/communautés de Palestiniens confinés et impuissants. C’est la toile de fond de ce qui est en train de se passer à Gaza, un siège qui se combine avec le bombardement méthodique de zones extrêmement peuplées par des frappes qui ne peuvent évidemment jamais être “chirurgicales”. Quel est l’endroit au monde où l’on accepterait aujourd’hui de bombarder méthodiquement des zones très peuplées ? La paralysie du monde montre à quel point le système actuel d’oppression violente a, au fil du temps, été admis par la communauté internationale.

Notre conviction est que ce qui se produit actuellement à Gaza n’est que le résultat d’un système déjà ancien d’autorité et d’occupation dans lequel il est devenu habituel et d’une certaine façon acceptable, y compris au plan international, que des communautés entières de gens soient classées en catégories, confinées dans des espaces réduits, des prisons à ciel ouvert et soumis à des formes extrêmes de violence et de privations délibérées.

Survie

L’extrême vulnérabilité des populations civiles est quelquefois qualifiée de “survie”. Les gens sont confinés, isolés et soumis à des violences perverses (y compris des bombes au phosphore), sans possibilité de fuir. Elles ne peuvent trouver de protection ni dans des immeubles, comme les écoles de l’UNRWA prises pour cibles à Gaza, ni auprès des institutions ni auprès de personnes exerçant une autorité. Les organisations en charge de la santé mentale à Gaza ont attiré l’attention depuis des années sur les conséquences de la situation pour les jeunes et les familles, en particulier lorsque les pères ne sont pas en mesure de protéger leurs enfants et lorsque les jeunes cherchent des modèles de protecteurs à leur substituer, en premier lieu ceux qui s’engagent dans la lutte armée et qui sont prêts à y sacrifier leur vie.
Lorsque les pères, les enseignants, les éducateurs sont incapables de protéger, il est difficile d’entreprendre une action d’éducation véritable. Toute vie digne commence sur la base d’une sécurité humaine. Nous avons souvent signalé la capacité des Palestiniens à demeurer sumud ou résolus, à garder courage et espoir afin de survivre et de résister à l’oppression, de lutter pour les droits humains et nationaux. Sumud est aussi une forme de protection sociale et de résistance. En fait, dans une situation de survie et d’extrême vulnérabilité et de souffrance, les gens trouvent au plus profonds recoins inconscients de leur volonté différentes sources auxquelles alimenter leur résolution et leur espoir, soutenus par une foi profonde et le sentiment de leur identité collective. Au plan social, il est bien connu que les familles palestiniennes ont beaucoup fait pour protéger leurs membres.

Cependant, la communauté, la famille et la force des individus atteignent les limites de leurs possibilités de protection lorsqu’elles se trouvent face à à une violence massive à tous les niveaux : militaire, économique et symbolique. Des décennies d’occupation et de siège ont donné naissance à une structure monstrueuse et violente qui doit être éliminée. Une intervention directe et vigoureuse de la communauté internationale est nécessaire pour mettre fin à l’occupation et au siège ; les droits palestiniens élémentaires individuels et nationaux doivent être établis. C’est seulement cela qui peut garantir une protection réelle et durable.

Bethléem
13 janvier 2009