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Vers l’inéluctable (ndlr)

LA DEUXIÈME MORT DU JUDAÏSME

par Eric Azan

jeudi 15 janvier 2009

Les millions de juifs qui ont été exterminés par les nazis dans les
plaines de Pologne avaient des traits communs qui permettent de parler d¹un judaïsme européen. Ce n¹était pas tant le sentiment d¹appartenance à un peuple mythique, ni la religion car bea coup d¹entre eux s¹en étaient détachés :

c¹étaient des éléments de culture commune.

Elle ne se réduisait pas à des recettes de cuisine, ni à des histoires véhiculant le fameux humour juif, ni à une langue, car tous ne parlaient pas le yiddish.

C¹était quelque chose de plus profond, commun sous des formes diverses aux ouvriers des usines textiles de Lodz et aux polisseurs de diamants d¹Anvers, aux talmudistes de Vilna, aux marchands de légumes d¹Odessa et jusqu¹à certaines familles de banquiers comme celle d¹Aby Warburg.

Ces gens-là n¹étaient pas meilleurs que d¹autres, mais ils n¹avaient jamais exercé de souveraineté étatique et leurs conditions d¹existence ne leur offraient comme issues que l¹argent et l¹étude.

Ils méprisaient en tout cas la force brutale, dont ils avaient souvent eu l¹occasion de sentir les effets. Beaucoup d¹entre eux se sont rangés du côté des opprimés et ont participé aux mouvements de résistance et d¹émancipation de la première moitié du siècle dernier : c¹est cette culture qui a fourni son terreau au mouvement ouvrier juif, depuis le Bund polonais, fer de lance des révolutions de 1905 et 1917 dans l¹empire tsariste, jusqu¹aux syndicats parisiens des fourreurs et des casquettiers, dont les drapeaux portaient des devises en yiddish et qui ont donné, dans la MOI, bien des combattants contre l¹occupant. Et c¹est sur ce terrain qu¹ont grandi les figures emblématiques du judaïsme européen, Rosa Luxembourg, Franz Kafka, Hannah Arendt, Albert Einstein.

Après guerre, nombre des survivants et de leurs enfants soutiendront les luttes d¹émancipation dans le monde, les Noirs américains, l¹ANC en Afrique du Sud, les Algériens dans leur guerre de libération.

Tous ces gens sont morts et on ne les ressuscitera pas.

Mais ce qui se passe en ce moment à Gaza les tue une seconde fois.

On dira que ce n¹est pas la peine de s¹énerver, qu¹il y a tant de précédents, de Deir Yassin à Sabra et Chatila.

Je pense au contraire que l¹entrée de l¹armée israélienne dans le ghetto de Gaza marque un tournant fatal. D¹abord par le degré de brutalité, le nombre d¹enfants morts brûlés ou écrasés sous les décombres de leur maison : un cap est franchi, qui doit amener, qui amènera un jour le Premier ministre israélien, le ministre de la Défense et le chef d¹État-major sur le banc des accusés de la Cour de justice internationale.

Mais le tournant n¹est pas seulement celui de l¹horreur et du massacre de masse des Palestiniens. Il y a deux points qui font des événements actuels ce qui est advenu de plus grave pour les juifs depuis Auschwitz.

Le premier, c¹est le cynisme, la manière ouverte de traiter les Palestiniens comme des sous-hommes ­ les tracts lâchés par des avions annonçant que les bombardements vont être encore plus meurtriers, alors que la population de Gaza ne peut pas s¹enfuir, que toutes les issues sont fermées, qu¹il n¹y a plus qu¹à attendre la mort dans le noir. Ce genre de plaisanterie rappelle de façon glaçante le traitement réservé aux juifs en Europe de l¹Est pendant la guerre, et sur ce point j¹attends sans crainte les hauts cris des belles âmes stipendiées.

L¹autre nouveauté, c¹est le silence de la majorité des juifs.

En Israël, malgré le courage d¹une poignée d¹irréductibles, les manifestations de masse sont menées par des Palestiniens. En France, dans les manifestations du 3 et du 10 janvier, le prolétariat des quartiers populaires était là, mais des hurlements de colère d¹intellectuels juifs, de syndicalistes, de politiciens juifs, je n¹en ai pas entendu assez. Au lieu de se satisfaire des âneries du gouvernement et du CRIF (« ne pas importer le conflit »), il est temps que les juifs viennent en masse manifester avec les « arabo-musulmans » contre l¹inacceptable.

Sinon, leurs enfants leur demanderont un jour « ce qu¹ils faisaient pendant ce temps-là » et je n¹aimerais pas être à leur place quand il leur faudra répondre.

Eric Hazan