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Temoignage, courage et abnégation

Lundi, 5 janvier 2009 - 3h50 AM

lundi 5 janvier 2009

Des habitants paniqués incapables de fuir

Par Eva Bartlett

Juste de retour à Gaza ville après ramenée par une ambulance, après une nuit au centre de la Société du Croissant Rouge Palestinien, à l’est de Jabaliya, à 1km de la frontière où nous avons circulé avec les ambulances et passé une nuit de bombardement, sans protection, sans sécurité, comme la population du nord de Gaza.

D’après les informations du bureau central à Gaza, je ne peux pas croire les bruits de bombe, bien qu’ils ciblent la zone que je viens juste de quitter, comme ils l’ont fait toute la nuit. Depuis ici, ç’est comme… comme un énorme masse frappant cette terre, la mettant en pièces. Et d’après ce que j’ai vu la nuit dernière, et les décombres aujourd’hui, cela aurait pu être ça. Boum. Boum. Boum. Les bruits sourds font vibrer notre immeuble, comme s’il était percuté par des coups de bélier, alors que ce n’est que l’impact des ondes de choc à quelques kilomètres. Essayez d’imaginer ce que ça représente d’être à quelques centaines de mètres de ces explosions.

Les frappes ont lieu toutes les quelques secondes, sans arrêt. Le bourdonnement du drone se fait plus fort, son niveau élevé avertissant que tout est sous surveillance, que tout sera bombardé.

Du 9ème étage, la vue de tunnels de fumée partout, épaisse, foncée, nocive, et particulièrement concentrée sur la région de Jabaliya et un peu plus au nord et à l’ouest, à Beit Lahia. J’ai senti cette fumée toute la nuit, et j’ai vu la brume ce matin. Le ciel illuminé par les explosions et les fusées éclairantes israéliennes. A un moment, dans la salle de bain sans lumière, j’ai regardé par la fenêtre. Là, sans voix pour me distraire, c’était la nuit et moi : les bombardements à quelques centaines de mètres, la tuerie insensée. J’ai à nouveau perdu ma foi en l’humanité.

Les médecins et les Palestiniens ordinaires qui ont enduré la Nakba, l’occupation, les invasions, l’emprisonnement et les rations de famine sont ceux qui me ramènent à la vie, me donnent de l’espoir, bien que leur propre situation soit tout-à-fait désespérée.

Quand le bombardement s’est intensifié hier, commençant vers 15h avec les tanks amassés le long de la frontière de Gaza, les médecins ont rapporté que déjà alors, il y avait beaucoup d’endroit où ils ne pouvaient pas atteindre les blessés. Avant que la Mosquée Ibrahim al-Makadma, près de Beit Lahia, soit attaquée, tuant 16 personnes et en blessant grièvement 50, dont 25 sont dans un état critique, les avions de guerre ont atteint une citerne à eau en ciment, énorme, au sommet de la colline qui surplombe le secteur Dawwar Zimmo, à l’est de Jabaliya.

Ce qui me touche le plus maintenant, plus que les cadavres démembrés et brulés que j’ai vu il y a deux nuits, plus que l’intensité des missiles qui tombaient tout autour de nuit la nuit dernière et le sentiment qu’à n’importe quel moment, les soldats des forces spéciales israéliennes pouvaient entrer et tirer… c’est la panique sur les visages des habitants. La panique en fuyant, la panique en essayant de trouver une ambulance pour les blessés, la panique même pour les chauffeurs des ambulances et les équipes. Ils ont vu beaucoup de choses, beaucoup font ce travail depuis dix ans ou plus, mais en ce moment, c’est pire, bien pire que ce qu’ils ont vu ou imaginé, me disent-ils.

Dans la lumière du matin, alors que notre ambulance tente d’atteindre un autre blessé, je vois de nouveaux flots de femmes, d’enfants et d’hommes, portant quelques affaires. Deux enfants de 8 et 9 ans se cramponnent à des sacs de pain.
Se dirigeant vers l’hôpital avec un blessé, notre ambulance en croise une autre allant dans la direction opposée. « Walla, montica khotera », dit notre chauffeur, en se penchant par la fenêtre (« c’est vraiment dangereux là-bas »).

Bang, bang, bang… bang. Ca continue, je dis, ça continue.

Je continue de travailler, sur différents articles, tellement de choses à dire. J’oublie où je suis et je suis brutalement ramenée à la réalité par des bruits sourds renouvelés. Des bruits sourds. Je n’avais pas noté leur intervalle. 5 minutes ? 10 minutes ? 2 minutes ? Quoiqu’il en soit, ils recommencent, et sont-ils plus fort que jamais ? Qu’est-ce qu’il reste de terre, sans parler des gens, je ne sais pas.

L’urgence de sortir tout ça, de rapporter ce massacre, triomphe de tout besoin de sommeil (deux nuits sans) ou de chaleur (les fenêtres du bureau où je travaille ont explosé).

Je pense aux chauffeurs de l’ambulance et aux médecins, avec leurs personnalités fantastiques, leur humour, leur courage, et je sais que quelque part, ils sont en train de travailler au milieu de ça. Je pense aussi aux enfants que j’ai photographié là-bas hier.

La nuit dernière, dans une des bousculades folles dans l’ambulance, nous nous sommes précipités vers une personne blessée. Au nord ouest, dans une zone que les chars israéliens bombardaient particulièrement durement, l’ambulance était prudente. Des missiles avaient déjà été tirés sur eux lors d’un trajet précédent dans le secteur. C’est la région d’où sont partis tellement d’appels téléphoniques, des gens tellement désespérés, essayant de partir.

Le chauffeur tourne dans une route de terre, klaxonne, klaxonne encore : un avertissement, « une ambulance arrive », et un appel, « où sont les corps, les blessés ? ». Les gens du coin, dont des enfants autour de 10 ans, nous font des signes, nous donnent des indications pour éviter les bombardements de l’armée. Alors que nous avançons un peu plus sur le chemin, le chauffeur s’énerve, bien qu’il soit compétent et expérimenté. Nous continuons encore, et pas de blessé, personne. Nous revenons en arrière. Un homme qui semble plus paniqué que je puisse imaginer court vers l’ambulance, montrant la colline à sa gauche. « Ils sont là-bas, trois morts », dit-il au chauffeur. « Il y a aussi des soldats ». Il n’y a aucun moyen de récupérer les corps, et l’homme doit repartir vers son quartier lourdement bombardé.

Alberto montre une école, à 20 mètres en bas de la route. « Il y a un énorme trou sur le côté », dit-il. Un peu plus tôt, il était dans l’ambulance qui avait récupéré deux jeunes blessés, deux membres d’une famille, qui avaient été transportés dans une charrette tirée par un âne. « J’ai essayé d’aider. Les médecins ont ramassé un des gars, et un autre a commencé à attraper le second. J’ai voulu le prendre aux épaule, pour aider. Ma main est entrée dans son corps. » Les médecins ont expliqué que l’épaule de l’homme était presque arrachée. Alberto ajoute : « Je pouvais voir sa poitrine ouverte, du cou à la cage thoracique. Je voyais son poumon. Et deux côtes. Son bras droit était détaché. » Le jeune mort avait 25 ans. L’autre, de je ne sais quel âge, « avait un œil hors de l’orbite » et des blessures graves à la tête.

C’est plus qu’épouvantable ici.

Alors que la nuit tombait, la fumée des missiles continuait à faire une brume épaisse, épaisse. Le bruit des drones toujours aussi fort, les chars continuant à tirer, les Apaches tournoyant toujours au-dessus.
On nous annonce plus de victimes qu’on ne peut atteindre, toujours dans la région nord ouest, après l’école explosée, où un homme blessé à la jambe, et un autre avec une jambe amputée, attendent une quelconque aide.

De retour au bureau des médias de Gaza ville, on me met au courant : 473 morts. Non, attends, 20 de plus après une nouvelle frappe au nord, 5 de plus après une frappe dans une zone commerciale à Gaza ville. Plus de 2.300 blessés.

Osama, du service des urgences, appelle pour savoir où je suis. Nous avons travaillé ensemble il y a deux nuits. J’avais pensé qu’il ne serait pas là la nuit dernière, qu’il allait plutôt écrire. Mais l’urgence a prévalu et nous sommes sortis. Osama demande où je suis, et je lui dis : « j’écris, il faut que je dise aux gens, il faut qu’ils entendent ça, qu’ils voient ça. » Si seulement vous pouviez entendre, sentir, ressentir les vibrations, goûter la terreur.

Mise à jour à 9h34 le 4.1.2009 : 25 nouveaux morts - un bombardement au norde de Gaza tue 20 personnes, des tirs de tanks sur une zone résidentielle, les maisons et les rues. 5 autres morts après une attaque sur la place centrale de Gaza ville, 2 obus sur une zone commerçante.

Mise à jour à 2h29 le 4.1.2009 : Je viens d’avoir un appel téléphonique me disant qu’Arafat est mort, tué pendant son travail par les tirs israéliens. Il était un des médecins des urgences que j’ai rencontrés il y a deux nuits, attentif, fort et avec un extraordinaire sens de l’humour. Sa mort m’attriste plus que je ne peux le dire.

Source : In Gaza Traduction