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Deux Etats ou un Etat en Palestine ?

Tahar Moussaoui - Solidarité Belgique/M-O

mercredi 29 octobre 2008

PLATEFORME SOLIDARITE BELGIQUE/MOYEN-ORIENT

Les conséquences de l’entreprise sioniste de colonisation de la Palestine peuvent être résumées par trois éléments fondamentaux :

1°) des centaines de milliers de Palestiniens expulsés par la violence vont connaître l’exil et la vie dans les camps de réfugiés ;

2°) ceux qui sont restés dans le nouvel « Etat d’Israël » vont être soumis aux discriminations, traités en suspects, en citoyens de seconde zone et constamment menacés de « transfert » hors de leur pays ;

3°) ceux qui se sont retrouvés en Cisjordanie et à Gaza vont être soumis, à partir de 1967, à une occupation d’une brutalité inouie.
Pendant longtemps, la ligne prônant un seul Etat « démocratique et laïque » en Palestine a été la principale option envisagée pour répondre à cette situation. Il en était ainsi non seulement au sein des organisations palestiniennes de la résistance à l’entreprise sioniste de colonisation, mais aussi au sein du mouvement international de solidarité avec cette résistance.

A partir de la fin des années 70, l’option des deux Etats en Palestine a peu à peu pris le dessus au sein d’une partie du mouvement de solidarité extérieure. Plusieurs facteurs y ont contribué. Il y a tout d’abord le changement de politique des organisations de résistance elles-mêmes suite à l’échec de certaines méthodes militaires de résistance et de la répression des pays d’accueil aux-quels étaient adossées ces méthodes (Jordanie, Liban). Il y a ensuite la fin de la guerre froide et donc la fin du soutien même limité des pays de l’Est aux mouvements de résistance, alors que le soutien, même nuancé, de l’Europe occidentale et des Etats-Unis à l’Etat sioniste continuait comme avant. Il y a enfin le reflux général de tous les « mouvements de gauche » nés dans les an-nées 60 et 70 - mouvements qui ont largement alimenté le mouvement de solidarité tant en Europe qu’ailleurs.

Après les Accords d’Oslo en 1993 et leur échec ultérieur, l’option d’un seul Etat « démocratique et laïque » a refait surface, principalement à cause de ce qui se passe sur le terrain, comme nous allons le voir. Mais cela ne suffit pas de dire que de toute façon l’option des deux Etats ne marche pas. Il est important, pour donner de la force à l’option alternative, d’en discuter les fondements. Pour cela, nous allons d’abord passer en revue les arguments des défenseurs de l’option des deux Etats.

ARGUMENTS DE LA SOLUTION A DEUX ETATS

Les arguments en faveur de cette option sont très nombreux. Nous n’avons retenu que ceux qui nous ont semblé les plus importants.
Stratégie et tactique

Le premier argument avancé pour défendre cette option consiste à dire que le but stratégique reste d’établir un seul Etat sur l’ensemble de la Palestine historique. Mais, tactiquement, l’établissement d’un Etat sur une partie limitée du territoire est une étape nécessaire.
Rappelons d’abord que le but actuel du mouvement de résistance est de libérer la Palestine du sionisme. Ce but implique de mener à bien en même temps trois tâches intimement liées : le retour des réfugiés, la fin de l’occupation, l’égalité entre tous les citoyens. Les mesures tactiques ne peuvent donc porter que sur les moyens d’atteindre ce but. Or c’est à un changement de but que procède l’option des deux Etats comme tactique. Cela apparaît clairement si l’on tient compte du fait qu’il va falloir négocier avec les dirigeants sionistes et signer devant des garants qui ne sont autres que leurs alliés et qui, bien entendu, prendront soin de s’assurer que l’accord n’est pas une manœuvre tactique. Et leur moyen est simple : maintenir un Etat dans lequel les Palestiniens sont des sous-citoyens, refuser le retour des réfugiés dans leur patrie, étendre et annexer les grands blocs de colonies et continuer de contrôler les frontières.

D’un point de vue militaire, il est vrai que rien ne s’oppose à l’idée de reconquérir un territoire étape par étape. Mais seulement si on est dans un rapport des forces qui permette de passer à l’étape suivante, ce qui est loin d’être le cas actuellement : les milliers de policiers palestiniens (formés avec l’argent européen et américain et armés avec l’aval de l’Etat sioniste) sont là pour tout sauf pour reconquérir du territoire.
Rapport de forces et réalisme

Le deuxième argument est souvent appelé en renfort pour étayer l’idée de la manœuvre tacti-que transitoire et se présente quelquefois sous la forme de l’appel au « réalisme ». Il consiste à dire que le rapport de forces ne permet pas d’obtenir plus dans les circonstances actuelles.

Comme nous l’avons dit plus haut pour la tactique, le rapport de forces ne peut être invoqué pour changer de but, mais uniquement pour moduler les moyens de lutte pour l’atteindre. Par ailleurs, si l’on tient absolument à parler de rapport de forces, il est évident qu’il est actuellement en faveur de l’Etat sioniste de façon écrasante. Il ne permet donc rien du tout, et surtout pas un Etat souverain sur une partie de la Palestine. Tout ce qu’il permet ce sont des « bantoustans » coupés les uns des autres où l’on parque les « Arabes » sous l’œil vigilant du gouverneur militaire de l’Etat sioniste. Tout ce qu’il permet ce sont des zones administratives à l’intérieur desquelles certains Palestiniens se chargent de la répression d’autres Palestiniens. Donc, contrairement à ce que veulent faire croire les « réalistes », à moins de faire passer pour un Etat ce qui n’en est pas un, la solution à deux Etats n’est pas réaliste non plus.

Réalité et fait accompli

Le troisième argument rejoint celui du « rapport des forces défavorable » mais sans le masque trompeur de la « manœuvre tactique ». Il consiste à dire que « maintenant, Israël est une réalité ».
Cet argument est très souvent présenté de telle manière que les tenants de l’option d’un seul Etat apparaissent comme des rêveurs qui refusent de reconnaître la réalité. Or le problème n’est pas de reconnaître ou pas la réalité de « l’Etat d’Israël » mais d’accepter ou pas cette réalité comme un fait accompli, comme une situation irréversible. En effet, dans la logique de cet argument, seule la « réalité d’Israël » est reconnue et pas la « réalité » des réfugiés, de l’occupation et des discriminations raciales. Or on sait que le maintien de cette deuxième réalité est la condition impérative de la perpétuation de la première. Demander aux Palestiniens de reconnaître la « réalité » cache donc tout simplement le fait de leur demander de renoncer à la plus grande partie de leurs droits.

Une solution d’urgence

Le quatrième argument consiste à dire que la solution d’un seul Etat est trop lointaine, qu’on a besoin d’une solution rapide pour sauver de façon urgente les Palestiniens de la misère, de l’étouffement, etc...
Outre son paternalisme, cette idée suppose que les Palestiniens sont disposés à renoncer à leurs droits sur le long terme en échange de quelques allègements passagers des souffrances les plus immédiates d’une partie d’entre eux. Sous le masque de la compassion, on leur demande en fait de se soumettre à l’exigence sioniste d’établir des discriminations à leur encontre, de les parquer dans des bantoustans et de les empêcher de rentrer chez eux. Il est vrai que les Palestiniens souffrent et on doit s’en préoccuper. Mais il est tout aussi vrai qu’ils luttent, qu’ils résistent de façon extraordinaire et que c’est cela précisément qui a créé une situation favorable à leur cause. Qui parlerait aujourd’hui des Palestiniens s’il n’y avait pas eu, pour ne citer que des événements récents, les deux Intifadas ?

Dernière remarque : il est vraiment étonnant que la « souffrance immédiate » des réfugiés n’apparaissent pas dans le radar des tenants de la solution à deux Etats, alors même que cette solution suppose de les sacrifier dans l’immédiat sans états d’âme.

L’opinion publique juive

Il est vraiment lamentable de retrouver le cinquième argument dans la bouche de « dirigeants » du peuple palestinien et de militants du mouvement de solidarité. Il est en effet plus habituel dans la bouche de ceux qu’on appelle les « sionistes soft » (comme Uri Avnery, du Bloc de la Paix). Il consiste à dire que l’opinion publique juive n’est pas mûre pour la solution d’un seul Etat, qu’elle veut le maintien « d’Israël » comme entité à part.

Tout d’abord, il n’y a pas à demander au voleur s’il est d’accord pour rendre le butin qu’il s’est procuré à la suite d’un casse à main armée.
Ensuite, s’il l’on tient à prendre en considération l’opinion publique juive, il n’y a aucune raison de le faire de façon sélective. Les sondages montrent en effet que cette opinion se prononce très majoritairement pour le transfert des Palestiniens hors de Palestine. Est-ce qu’il faut lui obéir aussi ?

Il est clair, enfin, qu’une partie des Juifs - parmi ceux qui ne l’ont pas encore fait - va finir par se détacher du projet du sionisme politique. Mais elle ne le fera que lorsque le peuple palestinien aura déterminé de façon significative le cours principal de la lutte contre ce projet. C’est alors seulement que l’attachement de cette partie des Juifs à la terre de Palestine entrera en conflit avec ce que le projet sioniste implique d’oppression du peuple palestinien et qu’il lui faudra choisir. Et tous les premiers indices vont dans ce sens : sans les deux Intifadas, pas de refuzniks, pas de « nouveaux historiens israéliens », pas d’associations communes de lutte contre les destructions de maisons, contre les barrages de contrôle militaire, contre le Mur, etc... Mieux : même les concessions dérisoires faites par l’Etat sioniste à Oslo n’auraient pas été possibles.

Les pressions euro-américaines

Le sixième argument consiste à dire que ceux qui pourraient « exercer des pressions sur Israël » [les Etats-Unis et l’Europe principalement] ne sont prêts à le faire que dans le cadre de l’option des deux Etats.

Un : c’est faux, ils ne sont prêts que pour la solution des bantoustans, avec annexion des grands blocs de colonies , maintien du contrôle militaire sioniste sur cet « Etat » et prise en charge d’une partie de la répression des Palestiniens par les Palestiniens eux-mêmes. Et c’est tout ! Faire croire le contraire est soit de l’aveuglement, soit de la tromperie à des fins inavouvables.

Deux : C’est une erreur très grave de faire dépendre le sort des Palestiniens du bon vouloir précisément des alliés de l’Etat sioniste, qu’ils soient européens ou américains. L’expérience historique montre en effet que, dans sa lutte contre un oppresseur - n’importe lequel - , si l’opprimé choisit comme alliés ceux de son oppresseur, il voue cette lutte à un échec certain.

Trois : les possibles « pressions » des Etats-Unis sont en fait continuellement neutralisées par le poids du lobby sioniste à la veille des élections pour la présidence ou pour le Congrès aux Etats-Unis et, actuellement, par la conjoncture politique au Moyen-Orient. Aucun gouvernement américain, dans le cadre du maintien de l’hégémonie régionale de son pays, ne peut se permettre le luxe de déstabiliser par des « pressions » un allié sûr (L’Etat sioniste), alors qu’il a le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad en Palestine, la résistance en Irak, des velléités de puissance régionale en Iran, alors que des régimes alliés (Maroc, Tunisie, Egypte) sont menacés par une situation sociale explosive, alors que d’autres alliés traditionnels (Jordanie, Arabie Saoudite) font face à la montée d’une forte contestation intérieure, alors que la Syrie continue de jouer son propre jeu et que cela pose problème pour ce qui se passe tant en Irak qu’au Liban. Résultat : les possibles « pressions américaines », pour « donner un Etat » digne de ce nom aux Palestiniens, c’est du vent !

La volonté du peuple palestinien

Le septième argument est souvent avancé quand, au sein du mouvement de solidarité, la défense de l’option des deux Etats est à bout d’arguments. Il consiste à dire que le Peuple palestinien et les dirigeants du peuple palestinien veulent deux Etats et nous ne pouvons que soutenir leur choix.

Notons d’abord qu’il n’est pas prouvé que le peuple palestinien « veut » cela, majoritairement. Sinon tant la deuxième Intifada en 2000 que le désaveu électoral du Fatah en 2006 deviendraient incompréhensibles.

Ensuite, on ne peut pas oublier que c’est à cette catégorie de « dirigeants » palestiniens qu’appartient cet ancien « Premier ministre », pris en train de vendre du ciment pour la construction du « Mur de l’apartheid ». Il serait donc pour le moins imprudent de faire confiance et d’accorder du crédit à la « volonté » de pareils dirigeants.

Enfin, et surtout, la volonté tout à fait certaine des réfugiés est entièrement ignorée. Ils sont pourtant majoritaires démographiquement. Est-ce que leur volonté ne fait pas partie de celle du peuple palestinien ?

Or, on sait avec certitude que les dirigeants sionistes n’accepteront jamais le retour des réfugiés, parce que ce serait le début de la fin du sionisme. Nous allons y revenir plus loin, mais retenons déjà ceci : même pour les dirigeants sionistes les plus souples, il n’y a pas de solution à deux Etats sans la fermeture définitive du chemin du retour aux réfugiés. Suite logique : si les « dirigeants palestiniens » dont on nous parle « veulent » une solution à deux Etats, ils sont donc obligés de « vouloir » aussi automatiquement le non-retour des réfugiés.

Unité et force du mouvement de solidarité

Le huitième argument, toujours propre au mouvement de solidarité, vient souvent en complément du précédent. Il consiste à dire que l’option d’un seul Etat affaiblit le mouvement de solidarité internationale qui est très largement derrière la solution à deux Etats.
Remarquons tout d’abord qu’il est permis de douter de l’appréciation « très largement », à moins de considérer que le mouvement de solidarité internationale se réduit aux militants solidaires dans les « pays occidentaux » et, parmi ceux-ci, à ceux qui ont une visibilité médiatique .
Ensuite, c’est de l’intimidation de dire aux tenants de la solution à un seul Etat : « ou vous changez votre point de vue et adoptez le nôtre, ou vous affaiblissez le mouvement de solidarité ! ». L’unité du mouvement de solidarité est certes un facteur de force, mais cette unité ne peut se faire aux dépens de l’une des options et surtout sans débat préalable - c’est le moins que l’on puisse attendre de démocrates. Enfin, et c’est le plus important, c’est en fait la solution à deux Etats qui affaiblit le mouvement de solidarité internationale : premièrement, parce qu’elle entretient l’illusion démobilisatrice que cette solution est réalisable et qu’elle tient à peu de choses et, deuxièmement, parce qu’elle rend le mouvement de solidarité attentiste par rapport à ce que veulent bien concéder tant l’Etat sioniste que ses alliés.

Le Droit international

Le neuvième argument se rapporte à la question du droit international. Il consiste à dire que Les Nations-Unies, à travers la Résolution 242 notamment, n’ont jamais reconnu les annexions de 1967 et que c’est une bonne base pour la solution à deux Etats.

Premier point : La Résolution 242 de l’ONU appelle au « retrait de territoires » (et non « des » territoires comme le suggère la traduction française ; or, à l’ONU, seul le texte anglais fait foi) et elle ne fait aucune référence à un quelconque Etat palestinien, car à l’époque il s’agissait seulement du retour de territoires à l’Egypte, à la Jordanie et à la Syrie. D’autres résolutions de l’ONU ont ultérieurement réaffirmé le droit à l’autodétermination, à l’indépendance nationale et à la souveraineté du peuple palestinien comme tel (comme la Résolution 3236 de l’Assemblée générale). Tandis que la Résolution 1397 du Conseil de sécurité (mars 2002) mentionne pour la première fois un « Etat palestinien ». Mais toutes considèrent, explicitement ou pas, tant la partition de la Palestine comme pays que les frontières d’avant la guerre de 1967 comme des faits accomplis.

En réalité, seule la résolution 194 sur le retour des réfugiés est vraiment claire. Or c’est surtout celle-là dont les dirigeants sionistes ne veulent pas entendre parler, précisément parce que son application rendrait le maintien d’un « Etat juif » complètement indéfendable, puisque la minorité juive y dominerait les autres groupes en violation des principes élémentaires de la démocratie. En règle générale, les dirigeants sionistes ont toujours essayé de placer les « négociations de paix » en dehors de tout cadre déterminé par le Droit international. Et cela, non pas à cause de la Résolution sur le retrait des territoires et d’autres Résolutions qui vont dans le même sens, mais fondamentalement à cause de la Résolution sur les réfugiés. Les dirigeants sionistes, eux, ont depuis toujours compris que c’est en effet le cœur du problème.
Deuxième point : le fait que les tenants de la solution à deux Etats s’accrochent à des Résolutions ambiguës de l’ONU et transigent sur une Résolution claire n’est pas le fruit du hasard : ils veulent sacrifier les réfugiés ; nous l’avons montré en discutant le septième argument (voir plus haut).

Troisième point : Les frontières d’avant la guerre de 1967 constituent ce qu’on appelle la « ligne verte ». Cette ligne, que les tenants de la solution à deux Etats considèrent comme une « bonne base » en invoquant le Droit international, est en fait illégale au regard de ce Droit puisqu’elle n’est pas conforme à la Résolution 181 sur le partage de 1947.

Premières conclusions

Résumons en le complétant ce qui ressort de la critique des arguments des tenants de la solution à deux Etats.
Premièrement, cette solution ne résout fondamentalement aucun des problèmes créés par l’entreprise sioniste de colonisation de la Palestine : racisme et discrimination à l’intérieur de l’Etat sioniste ; occupation en Cisjordanie et à Gaza ; réfugiés un peu partout. Signalons au passage qu’elle ne résout pas non plus les problèmes que cette même entreprise a créé côté juif : entretien du sentiment de supériorité raciale, cruauté morale à l’égard des Palestiniens, guerre perpétuelle pour maintenir par la force la survie du projet sioniste et intégration forcée au projet impérialiste d’hégémonie dans la région : tous éléments qui entretiennent l’animosité envers les Juifs sans distinction - ce qui est assurément à l’opposé du « lieu sûr pour les Juifs » que le sionisme leur avait vendu.

Deuxièmement, les promoteurs de la solution à deux Etats font entièrement dépendre le sort du peuple palestinien de la bonne volonté de ceux qui l’oppriment et de leurs alliés. Tous leurs efforts intellectuels se réduisent aux spéculations sur les résultats des élections aux Etats-Unis, en « Israël », en Grande-Bretagne ou en France - parce que leur mince marge de manœuvre dépend de tels résultats. Prisonniers de ce cadre, ils en viennent à considérer comme un perturbateur à réprimer quiconque (utilisant des formes directes de lutte) conforterait la mauvaise volonté de ceux dont dépend la solution à deux Etats (l’Europe et les Etats-Unis). L’exemple qui suit montre parfaitement à la fois l’impuissance de ces dirigeants face aux occupants et leur dépendance à l’égard du gouvernement des Etats-Unis.
Fin juillet 2008, le gouvernement sioniste a donné son accord pour la construction d’une nouvelle colonie en Cisjordanie. En réaction, Saeb Erekat, le principal négociateur palestinien, a déclaré : « Cette décision détruit le processus de la solution de deux Etats. J’espère que les Américains obtiendront des Israéliens qu’ils reviennent sur cette décision. »

Troisièmement, corollaire du point précédent, les promoteurs de la solution à deux Etats ont en fait renoncé à lutter concrètement pour la libération de la Palestine historique. Les militants sont devenus des fonctionnaires privilégiés, les éléments armés sont devenus une police répressive exclusivement dirigée contre les Palestiniens, les organisations de base qui devraient soutenir l’effort de résistance sont devenues des ONG tenues en laisse par les financements européens, américains ou des régimes arabes alliés.

Quatrièmement, la solution à deux Etats n’est pas en phase avec ce qui se passe sur le terrain, avec la conjoncture politique dont voici en bref les principaux aspects :

Côté résistance

La longue résistance - tantôt en profondeur, tantôt directe - du peuple palestinien à sa spoliation n’a jamais cessé.

Quelques moments forts :

avant 1948 : la grande révolte de 1920 orientée aussi bien contre l’avancée des sionistes que contre l’occupation britannique ; la révolte paysanne de 1935, la grève générale de 1936 (d’avril à octobre) ; le grand soulèvement populaire et armé de 1936-39 (dont la répression terrible a été menée conjointement par l’armée britannique et les milices sionistes) ; la grève générale de décembre 1947 et la résistance armée à l’expulsion dans les années suivantes.

Depuis 1948 : les activités de résistance variées surtout à partir de 1964 (sabotages, actions de commandos contre des colonies ou des soldats, détournements d’avion...) ; Le soulèvement armé à Gaza en 1971 (réprimé avec une férocité inouïe par Sharon, alors chef d’état-major) ; le soulèvement général de Gaza en mai-juin 1979 ; la grève générale et les grandes manifestations de mars-avril 1982 ; la première intifada de 1987 à 1993 ; la deuxième intifada en 2000...

C’est grâce à cette résistance - c’est un élément qu’il ne faut jamais oublier - que le peuple palestinien a recommencé à exister comme tel, qu’il a suscité la sympathie et la solidarité croissante des autres peuples, qu’il s’est relativement libéré de la tutelle des régimes arabes, que la cohésion interne des sionistes a commencé à s’effriter et que le soutien extérieur des puissances occidentales à ces derniers a commencé à perdre un peu de son caractère inconditionnel.

Côté domination sioniste

En 1947, les sionistes ne possédaient que 6% des terres de la Palestine. Grâce au Partage de l’ONU, ils en obtiennent plus de 55%. Par la force des armes, ils vont finir par mettre la main sur plus de 78% durant les deux années suivantes. En 1967, ils s’emparent du reste de la Palestine, occupent le Sinaï égyptien et conquièrent le Golan syrien qu’ils annexent sans autre forme de procès. En 1982, ils envahissent le Liban et s’emparent d’une frange du Sud. Ils sont alors au sommet de leur puissance militaire (armée sur-équipée et performante, arme atomique) et de leur puissance politique (ferme soutien américain et européen, bonne cohésion interne).

Mais c’est aussi à partir de cette période que commencent les reculs. Le recul territorial d’abord : évacuation du Sinaï en 1978, évacuation du Sud Liban en 2000, évacuation des colonies de Gaza en 2005.
le recul du soutien extérieur ensuite : c’est après 1982 qu’ont commencé les réticences, très limitées mais manifestes, des gouvernements européens. On en a eu des exemples récents dans le vote des 25 pays européens de la résolution contre la construction du « Mur » en juillet 2004, dans la suppression des exemptions douanières pour les produits « israéliens » venant de Cisjordanie ou de Gaza.
D’autre part, et surtout, le soutien, jusqu’il y a peu inconditionnel des Etats-Unis, a commencé à être nuancé. On l’a vu en particulier quand ils n’ont pas utilisé le veto pour s’opposer à la résolution du Conseil de sécurité condamnant les exactions de l’armée sioniste à Rafah en 2004 ou récemment dans leur embarras par rapport à la poursuite de la construction des colonies en Cisjordanie. Parallèlement, les sionistes ont très largement perdu le soutien de larges franges de l’opinion « occidentale » de plus en plus sensible à la souffrance du peuple palestinien et de moins en moins intimidée par le chantage à l’antisémitisme : manifestations massives de soutien dans les capitales européennes, missions civiles internationales, rapports très critiques des ONG sur le terrain, etc... Résultat : jamais l’Etat sioniste n’a été aussi discrédité.

Le recul de la cohésion interne enfin. Cette cohésion a commencé à s’éffriter : apparition au sein de l’entité sioniste de segments qui ont commencé à se détacher du projet sioniste, principa-lement sous la forme de la revendication de plus en plus insistante de l’évacuation des territoires occupés et de l’exigence d’égalité ; au sein de l’armée, mouvements de dissidence (objection de conscience et refus de servir dans les territoires occupés, désertions) ; chez les civils, la multiplication des associations opposées à l’occupation (Comité des Juifs contre les démolitions de maisons palestiniennes, Bloc de la Paix, Rabbins pour les droits de l’homme, l’ONG B’Tselem, les comités de surveillance des soldats aux barrages de contrôle, le Centre d’Information Alternative, etc...) ; développement parallèle, entre Juifs et non-Juifs, de formes partagées de lutte et de solidarité, comme les associations militantes communes, les manifestations contre les destructions de maisons ou la poursuite de la construction du « Mur », etc... - et ce qui compte ce n’est pas tant leur force ou leur impact actuels que leur émergence même.
Au lieu d’offrir des perspectives à ces nouvelles tendances (développement de la résistance de masse palestinienne et luttes communes entre Palestiniens et Juifs), la solution à deux Etats leur tourne le dos ; au lieu d’aller dans le sens de l’égalité entre tous les habitants pour une Palestine nouvelle, elle revient à une sorte de « nettoyage ethnique mutuel » ; au lieu d’approfondir l’isolement et l’affaiblissement politique du sionisme, elle lui donne l’occasion d’obtenir un répit, de trouver une issue provisoire à sa crise.
Pour finir, dégageons brièvement la signification politique de la solution à deux Etats. Dans le contexte actuel de la lutte pour la libération de la Palestine, cette solution reflète en effet un positionnement particulier par rapport à cette lutte.

Pour une partie des dirigeants palestiniens, il s’agit fondamentalement de trouver une voie qui évite la mobilisation des masses palestiniennes et permette par des négociations en coulisses la satisfaction des aspirations économiques de l’élite sociale dont une partie des intérêts peut s’accommoder de la domination sioniste.

Pour une frange des militants du mouvement de solidarité, il s’agit principalement de contenir ce mouvement dans un cadre qui permette la survie d’Israël comme « Etat juif ». Ils sont d’ailleurs souvent liés à des partis qui ne remettent pas en question la légitimité du sionisme, qui ne voient pas son caractère oppressif non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Juifs.

ARGUMENTS DE LA SOLUTION A UN SEUL ETAT

C’est du refus du caractère oppressif pour tous du sionisme que part la solution à un seul Etat démocratique.

Qu’apporte-t-elle ?

1) L’idée d’un seul Etat met la question des réfugiés au coeur de la solution parce qu’ils sont au cœur du problème. L’injustice que constituent la dépossession et le déracinement de millions de Palestiniens doit être réparée. Ils ont le droit de rentrer chez eux dans leur patrie et cette aspiration est clairement appuyée par le droit international. Toute autre solution légaliserait le nettoyage ethnique dont ils ont été victimes.

2) la solution à un seul Etat répond aux aspirations à l’égalité des Palestiniens qui vivent en « Israël ». Elle va dans le sens de la construction d’un pays pour tous ses citoyens et bat ainsi en brèche la disposition raciste d’un « Etat juif » dans lequel seuls ceux qui ont la bonne étiquette ont tous les droits. Contrairement à la conception sioniste, elle va dans le sens des acquis internationaux en matière de droits de l’Homme : elle ne fait pas dépendre la citoyenneté des origines nationales ou religieuses. Contrairement à la solution de deux Etats, elle bat en brèche les fondements discriminatoires et coloniaux de l’entreprise sioniste.

3) Parallèlement, la solution à un seul Etat permet de cadrer la lutte contre l’occupation, et cela dans le sens de la mise en place pour toute la Palestine d’une loi commune à tous ses habitants. Dans son cadre, chaque citoyen peut, entre autres, circuler librement. Mais s’il veut s’installer sur des terres, il doit alors, comme tout un chacun, les acheter ou les louer, etc... et non invoquer une loi privée (sa religion) pour les avoir gratuitement en s’en emparant par la force.

4) La solution à un seul Etat est libératrice. Elle appelle le peuple palestinien à s’unir et s’organiser pour lutter pour sa propre libération : Elle l’appelle à devenir acteur de son propre destin et n’attend donc pas que l’on veuille bien lui « donner un Etat ». C’est sur cette voie qu’il peut rencontrer les Juifs attachés à la terre de Palestine, mais rebutés par les implications oppressives de l’idéologie sioniste, et offrir une perspective aux nombreuses luttes et formes d’organisations communes qui existent déjà sur le terrain. L’apprentissage de l’égalité et de la vie commune entre les personnes (sans distinction de communautés religieuses) peut alors se faire dans les deux sens et dans la dynamique même de la mobilisation : lutter ensemble pour mieux vieux vivre ensemble.

5) La solution à un seul Etat bénéficie d’une conjoncture de base favorable. Dans ce qui peut sembler un paradoxe, la logique de domination et d’expansion de l’entreprise sioniste a créé à son insu les conditions de la solution à un seul Etat. De fait, un territoire uni existe déjà, avec une seule frontière, une seule administration, une seule économie, etc... Et cela à un moment où ce qui constitue le ciment de l’idéologie sioniste (la domination et la prééminence du groupe juif sur tous les autres) s’est grandement affaibli : par la résistance des Palestiniens, par l’aiguisement des contradictions internes entre juifs orientaux et juifs occidentaux, entre riches et pauvres, entre laïques et orthodoxes, etc... , par les effets politiques et moraux de la situation de colonisation elle-même et des violences qui l’accompagnent : refuzniks, chute de l’immigration, croissance des départs, mouvements pacifistes, contestation intellectuelle du sionisme, etc...

6) La solution à un seul Etat maintient le lien entre la lutte contre le sionisme et la lutte contre l’hégémonie « occidentale » dans le Monde arabe. Les peuples arabes étaient animés, après la Première Guerre mondiale, par un fort mouvement national et anti-impérialiste. Ce mouvement, après le démantèlement de l’empire ottoman allait prendre pour cible les principales puissances coloniales de l’époque : la France et la Grande-Bretagne. L’entreprise de colonisation sioniste - sachant qu’elle ne pouvait réussir autrement - est alors venue s’insérer dans la stratégie coloniale, en particulier britannique, de domination du Monde arabe - d’abord comme marché et un peu plus tard comme réserve de pétrole. Cette stratégie au service de laquelle s’est mise l’entreprise sioniste consistait à réprimer par tous les moyens le mouvement national et unitaire de libération arabe. Sur cette base, les rapports de l’empire britannique (et plus tard américain) avec l’entité sioniste vont être pour l’essentiel des rapports de protection et d’utilisation. L’emprise sioniste sur la Palestine et celle des « Occidentaux » sur l’ensemble du Monde arabe sont donc intimement liées : on ne peut libérer la Palestine de la première emprise sans secouer la deuxième - et encore moins compter sur les « pressions » de celle-ci.

Epilogue

Beaucoup de personnes liée au mouvement de solidarité avec le peuple palestinien nous ont dit que cette solution à un seul Etat était « vraiment bien » mais qu’elle était « très-très » difficile. Nous leur répondons que nous voulons bien admettre qu’elle soit difficile, mais nous répétons qu’il n’y en pas d’autre si on veut que justice soit faite. Nous leur répondons aussi que la solution à deux Etats - que l’on essaie de nous vendre dans l’emballage de la facilité - n’est pas seulement mauvaise et injuste, elle est tout aussi difficile, voire impossible si le peuple palestinien ne renonce pas à la plus grande partie de ses droits. Et tant qu’à choisir entre deux difficultés... Nous leur répondons enfin que le fait qu’une chose soit difficile ne veut pas dire qu’il faut que nous l’écartions ; il veut dire simplement que le travail qui nous attend est immense et que nous devons l’entreprendre au plus tôt, résolument.

Plateforme Solidarité Belgique/Moyen-Orient

Liège, septembre 2008

NOTES :

Ce texte est une version résumée d’une brochure portant le même titre. La version complète comporte en outre des annexes, une bibliographie et de nombreuse annexes. On peut la recevoir en écrivant un mail avec comme objet « Débat Palestine » à : demoise@yahoo.fr. On peut aussi la consulter sur le blog : http://www.karama.skynetblogs.be.

Cela s’est fait parallèlement à l’apparition ou la réapparition de l’idée d’un « Etat binational » dont les arguments, malgré leur intérêt, ne seront pas traités ici.

On l’a encore vu récemment lors de la répression violente des manifestations à Ramallah contre le sommet d’Annapolis (2007)

Ce sont tous ceux qui sont favorables à la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, mais sont opposés au retour des réfugiés sur leurs lieux d’origine. Un exemple connu est celui du pacifiste israélien Uri Avnery du Gush Shalom « Bloc de la Paix ». Ceci dit, tous les sionistes soft ne sont pas nécessairement israéliens. Les positions de certains grands partis politiques de Belgique, par exemple, sont très proches du sio-nisme soft.
Tant Clinton que Bush ont toujours affirmé clairement qu’ « Israël » doit garder les grands blocs de colonies en Cisjordanie. Les premières déclarations des candidats aux prochaines présidentielles américaines indiquent que celui qui sera élu restera sur les mêmes positions.

En chiffres arrondis, il y a environ 6 800 000 réfugiés et 800 000 déplacés palestiniens (estimation 2005), soit 70% de la population palestinienne. D’où la question à propos de la solution à deux Etats : que vaut une « solution » qui ne tient pas compte de plus des deux tiers des concernés ?

Cette visibilité souvent favorisée par leurs appartenances aux grands partis traditionnels, dont certains siègent tranquillement aux côtés d’un parti sioniste (travailliste) au sein de l’Internationale socialiste !

Concernant le Droit international, il y a trois textes fondamentaux des Nations-Unies. Il y a d’abord la Résolution 181 sur le Plan de partage de la Palestine (Assemblée Générale, 29 novembre 1947). Elle prévoit les points suivants : « l’Etat juif » occuperait 56,4% du territoire avec 600 000 Juifs et 500 000 Palestiniens ; « l’Etat arabe » occuperait 42,8% du territoire avec 700 000 Palestiniens et 10 000 Juifs ; Jérusalem deviendrait zone internationale avec 200 000 personnes, moitié juives et moitié palestiniennes. Au delà de l’injustice du partage, la solution à deux Etats sur moins de 20 % du territoire est en contradiction avec cette résolution.

Il y a ensuite la Résolution 194 sur le droit au retour des réfugiés (Assemblée Générale, 11 décembre 1948) Son point 11 stipule : « Il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leur foyers... ». C’est la seule résolution qui soit claire concernant les droits des Palestiniens. les tenants de la solution à deux Etats acceptent l’idée que cette résolution soit « négociée », c’est à dire qu’elle ne soit appliquée que très partiellement.

Il y a enfin la Résolution 242 sur l’évacuation des territoires occupés par « Israël » pendant la guerre de 1967 (Conseil de sécurité, 22 novembre 1967). Cette résolution légalise indirectement les acquisitions de territoires non conformes au plan de partage de 1947. En la prenant comme base, la solution à deux Etats va dans le même sens.

Voir Le Soir du 25 juillet 2008.

Ces contradictions sont en partie alimentées par les effets dévastateurs de la mondialisation néo-libérale : privatisations massives, recul des protections sociales, etc...

Quelques dates emblématiques : l’insurrection d’Egypte en 1919, les émeutes de Palestine en 1920, la grande révolte d’Irak en 1920, l’insurrection rifaine contre la pénétration coloniale espagnole au Maroc en 1921...

Michel Collon