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Entre Hébron et Yitzhar*, le Sionisme se meurt

Par Zeev Sternhell

dimanche 21 septembre 2008

« Le projet sioniste est un projet de conquêtes », a dit Berl Katznelson en 1929 alors qu’il faisait le bilan des 10 premières années du mouvement Ahdut Ha’Avoda. Il a ajouté : « Ce n’est pas par hasard si j’utilise des termes militaires pour décrire l’établissement d’un pays ».
Et, de fait, le sionisme a été un mouvement de conquêtes, et tous les moyens ont été autorisés pour y parvenir.

Néanmoins, ce qui était essentiel et donc justifié avant la création de l’État prend de nos jours la forme très moche et violente d’une occupation coloniale, par le régime autoritaire en vigueur dans les territoires, la création de deux systèmes légaux, la mise à disposition de l’armée et de la police au service du mouvement des colons, et le vol des terres palestiniennes. Tout ceci symbolise non pas la réalisation du projet sioniste, mais plutôt son enterrement. C’est là, entre Hébron et Yitzhar, que les colonies enterrent l’État juif et démocratique.

Comme tous les autres régimes coloniaux, les autorités au sein des territoires tentent d’opérer à couvert. Une visite d’Hébron a été organisée par Peace Now il y a trois semaines, et les quelque 250 participants n’ont pas été autorisés à y entrer. La zone a été déclarée ’zone militaire fermée’ par le responsable de la Brigade d’Hébron, mais la police d’Hébron n’a pas tenté d’empêcher de jeunes gros durs d’attaquer les participants de cette visite. La police n’a pas non plus arrêté les véhicules qui entraient ou sortaient librement d’Hébron. On peut donc raisonnablement penser que si des membres du Likoud ou du Parti National Religieux étaient venus en visite, la zone n’aurait pas été fermée et l’armée se serait mise à leur service.

Le responsable de la Brigade d’Hébron est celui qui, en une autre occasion, a été vu à la télévision en train d’arrêter sans ménagements le photographe de B’Tselem. Celui-ci était en train de faire des photos de ce qui se passait autour de lui, et dans les territoires cela constitue un crime grave. Lorsqu’il y a un appareil photo sur place, il n’est plus possible de nier les cas de mauvais traitements et d’humiliations, comme lorsque l’on tire sur un Palestinien ligoté.

Mais le pire de tout ceci, c’est que derrière le commandant de brigade — qui n’est qu’un élément mineur agissant dans le même état d’esprit que ses supérieurs, comme derrière le commandant de bataillon dont l’un des soldats a appuyé sur la gâchette à Ni’lin — on trouve la chaîne entière du commandement dans les territoires. C’est là qu’on trouve ceux qui ont la responsabilité des jeunes soldats placés sous leur commandement.

Néanmoins, au niveau de l’opinion, Ehoud Barak est celui qui porte l’entière responsabilité du partenariat entre les colons et les forces de sécurité. Nous devons y mettre fin sans plus tarder, et mettre fin une bonne fois pour toutes à la culture de la violence prévalant dans les territoires, culture qui nourrit la criminalité juive et les mauvais traitements quotidiens infligés à la population civile palestinienne.

Aller visiter les zones occupées par les colons est une nécessité impérative pour quiconque voulant savoir ce qui se passe autour de lui. Quiconque allant sur le terrain comprend immédiatement que le problème ne repose pas sur ce qu’on appelle les avant-postes "illégaux". Si la mauvaise volonté mise à affronter les groupes de gros durs qui bafouent la loi et les décisions gouvernementales est indigne, elle ne constitue pas le plus grand obstacle à la fin de l’occupation. Le fond du problème repose sur le mouvement des colons, sur l’appétence d’Israël pour les terres.

La véritable motivation de la colonisation, d’abord au Golan puis ensuite dans la Vallée du Jourdain et les zones centrales couvertes de collines, a été celle d’occuper ces terres : les héritiers spirituels et les disciples de Berl Katznelson, et même ceux de sa génération encore vivants à l’époque, n’ont vu aucune raison de ne pas continuer la tâche. Les réalistes comme Levi Eshkol et Pinhas Sapir n’avaient pas de réponse de nature intellectuelle ou morale à cette exigence de poursuivre dans cette voie, qui avait jusque là été considérée comme la seule voie connue du sionisme. De l’autre côté de la carte, on trouvait la Droite révisionniste et le Gush Emounim.

En somme, la droite et la gauche étaient partenaires dans l’action. La ferveur nationaliste-messianique et la volonté d’en finir avec la guerre d’Indépendance se sont confondues dans un même élan en faveur de l’occupation. La totalité de la droite, et la plupart de la gauche — ’Nous sommes de retour sur la terre des Juges et de la dynastie de David’, a dit avec émotion le ministre de la défense Moshé Dayan l’été 1967 — portent la responsabilité conjointe de la naissance du désastre dans lequel la société israélienne est plongée.

Puisqu’il était impossible de prendre le contrôle des terres de façon légale, une culture de type mafieux du vol, du mensonge et de la fraude s’est développée dans les territoires, dans laquelle les diverses autorités gouvernementales sont toujours plongées, allant des ministres en costume sur mesure jusqu’au tout dernier des policiers transpirant sur le bord des autoroutes. En violation du droit international et de la loi israélienne, en violation des règles élémentaires de justice, en violation de toute logique et des intérêts fondamentaux israéliens, des zones entières ont été confisquées pour les colons, et des sommes folles y ont été englouties.

Mais, au fil des années, le Golem s’est soulevé contre son créateur : lorsque la population s’est mise à réaliser que si le mouvement national juif continue à faire fi des règles universelles en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’État de droit, alors il se condamne à la destruction, et c’est ce qui est déjà arrivé au-delà de la Ligne Verte et qui maintenant menace d’engloutir tout Israël.

C’est ainsi qu’une minorité a pris le contrôle du sort d’une société tout entière et la tient en otage, à cause de l’impuissance idéologique de la gauche et de son manque de force de caractère, de détermination, et de conduite de la nation. Si la société ne trouve pas la force émotionnelle pour arracher le nœud coulant des colons qui l’enserre, rien sinon un triste souvenir ne restera de l’État d’Israël comme il existe de nos jours.

* (ndt) : Yitzhar est une colonie israélienne dite « illégale », située non loin de Naplouse en Cisjordanie occupée, et dont les colons sont considérés comme particulièrement extrémistes et violents (tant à l’égard des autorités israéliennes que de la population palestinienne)

Source : http://www.haaretz.com/  Traduction : Claire Paque