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OPINION

L’évolution du Hamas

- Khaled Hroub - colloque Res Publica

jeudi 18 septembre 2008

Je précise que mon approche du Hamas adopte un point de vue purement laïque, je ne fais nullement l’apologie du Hamas. Je suis d’ailleurs consterné de voir que la plupart des gens devant lesquels je m’exprime s’attendent à écouter un membre du Hamas, voire son porte parole ! Dans certains endroits il est même interdit d’exposer mon livre en raison de son titre, comme s’il s’agissait d’un explosif !

J’avais l’intention de parler de la politique occidentale et du mouvement d’islamisation et de radicalisation de la société palestinienne. En arrière-plan de ce grand thème général, j’évoquerai quelques questions d’identité des différentes structures. Je parlerai ensuite des élections de 2006 en insistant sur ce qui s’est passé depuis en Palestine sur la question du Hamas.

Je commencerai en soulignant l’importance du contexte. En Palestine, le contexte est celui d’un projet colonial, d’une occupation. C’est ce qui façonne la réalité palestinienne sur le terrain, il faut garder ce fait à l’esprit.

Depuis 1948, les gens subissent une occupation unilatérale. Depuis les origines du conflit, au moins depuis 1967 (scission des deux Etats et irruption de l’ONU), l’occupation militaire façonne la réalité palestinienne dans tous ses aspects : l’économie, la culture, la politique, l’identité, l’unité, la religion. C’est elle qui façonne les désirs des Palestiniens.

A ce contexte il faut relier le concept de structure. C’est l’organisation qui dicte, à l’intérieur d’une société les comportements qu’adoptent les individus entre eux et vis-à-vis de la structure elle-même. Si cette structure est très solide, si elle n’offre aucune fenêtre, aucune marge de manœuvre, aucune possibilité d’agir, on ne peut en attendre aucun résultat. On ne peut pas attendre des Palestiniens qu’ils se comportent comme des Suédois ou des Français. La structure de l’occupation dicte et façonne la vie quotidienne et entraîne la « radicalisation » de la société palestinienne. Comme l’a dit François Legrain, la palestinisation ou la dépalestinisation de la société sont liées à l’occupation.

C’est le désir de se débarrasser de l’occupation qui constitue la force motrice des Palestiniens : Quand l’OLP a été créée à la fin des années 50 (officiellement en 1964), l’objectif principal était la libération de la terre. C’était déjà le cœur de la légitimité palestinienne. Pour avoir une certaine légitimité chez les Palestiniens, il faut s’attaquer à l’occupation. Or les islamistes agissaient en Palestine, au moins depuis la fin des années 50 (et même avant la création de l’Etat d’Israël) sans affronter l’occupation. C’est ce qui a retardé la confrontation avec les Israéliens. Leur intention était de préparer les générations futures en vue de la partie finale avec Israël. Ils consacraient donc leurs efforts au prêche, à la création de mosquées, d’écoles. Il s’agissait de construire une génération qui libèrerait la Palestine.

Cette approche non confrontationnelle de l’occupation israélienne a fait perdre aux islamistes une grande partie de leur légitimité. Malgré leur force on les considérait soit comme des collaborateurs, soit comme des gens résignés à l’occupation israélienne. Cela dura plusieurs décennies, jusqu’en 1987, quand des islamistes identifiés comme les « frères musulmans » palestiniens (une branche de l’organisation mère d’Egypte) décidèrent de faire évoluer leur organisation, donnant naissance au Hamas. Le Hamas reflète donc un changement propre au phénomène islamiste en Palestine. Hamas a alors choisi une stratégie de confrontation avec l’occupation israélienne.

Résister à l’occupation, c’est pour moi l’essentiel. Cette résistance définit toute faction palestinienne qui souhaite avoir une légitimité ou une représentativité à Paris. Aucune faction ne peut prétendre représenter les Palestiniens sans accepter l’idée de résistance à cause du poids de l’occupation israélienne.

Pour évoquer la structure de l’occupation, il faut partir de 1967. A partir de cette date, on peut parler de légalité et le conflit devient plus clair. Cette structure a fini par diviser les Palestiniens entre terroristes et collaborateurs. Les divisions palestiniennes, Hamas, Fatah, rive ouest, sont dues aux pressions de la structure. Les Palestiniens ne sont pas seulement divisés en termes de géographie politique et de programme social, ils le sont même en termes de perception d’eux-mêmes. Si vous êtes membre du Fatah, si vous discutez avec Olmert à Ramallah, vous êtes considéré comme un collaborateur des Israéliens par de nombreux Palestiniens pour qui ça ne mène à rien. Si vous appartenez au Hamas, vous êtes perçu comme un terroriste. Encore une fois, ce sont les résultats de la structure dans laquelle nous vivons encore.

Après 1987, le Hamas s’est lancé dans des actions militaires contre l’occupation, se forgeant ainsi une légitimité jusqu’aux accords d’Oslo, en 1994, approuvés par la moitié des Palestiniens.

Depuis 1994 la société palestinienne est divisée en deux camps.

D’un côté ceux qui sont favorables à des pourparlers pour la paix dans l’espoir que ceux-ci rendront aux Palestiniens l’essentiel de leurs droits, qui pensent que l’équilibre des forces internationales est en leur faveur et que c’est la seule option.

De l’autre côté, le camp qui se présente comme celui de la résistance : Jihad, Hamas etc. (il y a eu jusqu’à dix factions).

Les Israéliens n’ont pas permis au camp des pourparlers pour la paix de réussir. De nombreuses concessions faites par l’OLP (reconnaissance d’Israël, solution des deux Etats, moins d’un quart des terres historiques attribuées à la Palestine, acceptation de l’idée d’un Etat palestinien indépendant sur ses terres) n’ont mené à rien et la situation se dégrade depuis 1994. Les leaders palestiniens ont perdu leur légitimité en termes de résistance. Arafat espérait, grâce aux pourparlers de la paix, pouvoir réaliser certains droits et c’est ce que visait la résistance. La moitié des Palestiniens étaient hostiles aux accords d’Oslo (d’inspiration américaine, occidentale) qui ne garantissaient pas les droits palestiniens.

Les Israéliens comptaient sur le charisme d’Arafat, sur son influence historique dans la société palestinienne pour imposer une solution pacifique éventuellement conclue à de nombreux Palestiniens même réticents. Aujourd’hui les prémisses sont identiques : quand Abou Mazen et Olmert s’entretiennent à Jérusalem, l’hypothèse de base est la même : on espère qu’un accord avec Mazen, même perçu comme injuste par de nombreux Palestiniens, serait accepté parce qu’il serait un signe positif. C’est une énorme erreur car depuis la disparition d’Arafat aucun leader palestinien n’est capable d’imposer une solution injuste aux Palestiniens.

Je peux me tromper mais selon moi la seule possibilité est la construction d’un consensus chez les Palestiniens qui comprendrait le Hamas et d’autres factions et constituerait la base sur laquelle on pourrait conclure une solution pacifique.

Les pourparlers de Jérusalem ne mèneront nulle part, même si on arrive à une conclusion avant la fin de l’année. Imaginez qu’on arrive à un certain accord, comment l’appliquer à Gaza ? Je ne peux pas imaginer que le Hamas, qui devient de plus en plus fort, accueille un accord qui, venant de Ramallah, serait perçu comme une injustice par les Palestiniens. L’hypothèse d’un diktat, d’un accord de paix imposé aux Palestiniens par les dirigeants de Ramallah est une stratégie erronée et nuisible, même si on suppose que les intentions sont bonnes de tous les côtés (ce dont je doute). L’occupation coloniale s’est intensifiée, en Cisjordanie spécifiquement. La superficie des colonies y représente aujourd’hui 300% ou 400% de ce qu’elle était en 1994, au moment des accords d’Oslo.

Dans le même temps s’accélérait la désarabisation de Jérusalem où quatre fois plus d’Arabes ont été éliminés. C’est une politique du spectacle : on feint de mener des pourparlers pour la paix mais personne ne sait où cela mène ! Mazen est le leader rêvé pour les Israéliens, S’il échoue, avec qui négocier ? En 1988, les leaders palestiniens du Conseil national avaient déclaré représenter « l’Etat palestinien en exil ». Dans la déclaration, ils reconnaissaient la solution de deux Etats et le droit à l’existence d’Israël. Vingt ans plus tard, les Palestiniens n’ont toujours rien obtenu en retour de ces concessions. Voilà pourquoi je dis que la politique occidentale, la politique israélienne, radicalisent la société palestinienne.

Le risque est aujourd’hui une scission à l’irakienne. Des cellules al-Qaïda existent déjà dans la bande de Gaza. Or le Hamas est aujourd’hui plus modéré qu’en 1987. Il s’est rapproché de la position de Fatah en faveur de deux Etats. Le seul rempart contre al-Qaïda c’est le Hamas, qui veut faire de la politique, qui peut discuter avec le monde extérieur. Le Hamas redoute l’émergence d’al-Qaïda. Si la pression continue sur le Hamas, la frustration va conduire à une scission au sein du mouvement et on verra émerger des groupes al-Qaïda dévoués à Ben Laden et non à la Palestine. Comme le dit François Legrain, l’Etat, la nation, la Palestine ne sont pas au cœur des préoccupations de ces groupes qui visent le projet islamique global, l’instauration du jihad partout dans le monde.

Le Hamas, depuis vingt ans, n’a mené aucune opération militaire en dehors des frontières historiques de la Palestine. On voit donc que, malgré sa rhétorique religieuse, le Hamas évolue vers un parti politique enraciné dans le cadre d’un Etat-nation. Aujourd’hui le Hamas est plus palestinien que religieux.

Deux tendances s’opposent au sein du Hamas : d’un côté les héritiers des Frères musulmans, un mouvement religieux qui souhaite réaliser des programmes sociaux et ressasse les slogans islamistes classiques, de l’autre côté un mouvement nationaliste libérationniste. Voilà les deux forces qui animent le Hamas : l’ancienne génération, issue des Frères musulmans, dont l’identité est plutôt religieuse et une jeune génération dont certains viennent du Fatah, avec lequel ils ont rompu. Ces jeunes ont rejoint Hamas, après être passés par la gauche palestinienne pour des motifs nationalistes et non pas religieux. Ces deux aspects s’entremêlent : la motivation religieuse et la motivation nationaliste dominent tour à tour, en grande partie en fonction de la politique, de la structure à l’extérieur de la Palestine qui pourrait encourager la dimension politique. Une pression trop forte entraînerait au contraire un retour à la rhétorique religieuse.

Au moment des élections, la pensée nationaliste, purement politique, du Hamas dominait : le manifeste du Hamas comme le programme politique du gouvernement de l’unité nationale Hamas/Fatah en témoignent, malgré la présence inévitable de rhétorique religieuse. Si on fait abstraction de cette rhétorique religieuse, le discours est celui d’un front populaire de la gauche palestinienne. Mais le Hamas subit une pression bilatérale, la pression externe de l’Europe, d’Israël, des Etats-Unis et même des pays arabes et une pression interne de la base, des militants conscients de n’avoir rien obtenu par la voie politique.

La politique occidentale est dominée par les perceptions américaines qui, depuis le 11 septembre assimilent tous les islamistes à des terroristes, appelant à la guerre contre la terreur. Le Hamas n’avait pas prévu de gagner les élections et aurait préféré obtenir 45% des voix, pour pouvoir bloquer toute décision qu’il ne souhaitait pas sans se compromettre avec la politique d’Oslo. Après les élections qu’il a démocratiquement gagnées, il se voit imposer (comme toute organisation palestinienne concurrente du Fatah) trois conditions pour être reconnu :

reconnaître Israël,
dénoncer le terrorisme
adhérer aux accords antérieurs conclus avec l’OLP

On leur demande de changer du jour au lendemain, de devenir le Fatah (le parti perdant !) alors que, pour de nombreux Palestiniens, si le Fatah a perdu les élections, c’est en partie parce qu’il avait reconnu Israël sans rien obtenir en retour. Trois jours après le sommet arabe de Beyrouth, qui reconnaissait Israël et demandait l’application des instructions de l’ONU concernant la Palestine, Sharon décidait d’attaquer Gaza !

Avant les élections, Le Hamas voulait avoir l’image d’un parti politique ; il s’était donc imposé unilatéralement un cessez-le-feu. Après les élections, après la victoire, il a été encore plus prudent. En gelant unilatéralement le jihad, on retirait au Hamas toute légitimité aux yeux des Palestiniens. Si, sur le terrain, les consignes visaient l’arrêt des violences, des attaques, le Hamas ne pouvait aller plus loin en faisant des déclarations qui formaliseraient ces renoncements.

En ce qui concerne la troisième condition : la reconnaissance des accords précédents entre Israël et l’OLP, le fait même que le Hamas ait participé aux élections - qui faisaient partie des accords d’Oslo, comme le conseil palestinien et toute la structure politique - était une approbation tacite de ces accords, au moins une acceptation et la reconnaissance qu’il voulait faire partie de ce processus.

L’occident, aurait dû se réjouir de ces changements. Hamas changeait de position, devenait un mouvement politique - et non pas religieux - qui voulait désespérément faire partie du processus politique. Mais ces trois conditions montrent que l’occident souhaite que le Hamas reste une menace pour la sécurité. La stratégie israélienne suppose la menace existentielle. Si vous démantelez cette menace vous démantelez ses arguments. Ahmadinejad enchante les Israéliens : toutes ses déclarations folles ne font pas avancer la cause de la Palestine, lui-même le sait bien. Il cherche seulement à avoir du prestige auprès des Iraniens, il mène sa propre bataille, interne à l’Iran. Que ferait-il des cinq millions de Palestiniens s’il parvenait à « effacer Israël de la carte » ? Seraient-ils tués avec les Juifs ? Cette déclaration creuse, sans fondements, ridicule, ravit les Israéliens, car elle perpétue l’idée d’une menace contre leur sécurité.

Israël fonctionne grâce à cette menace. Ce pays dont la sécurité est soi-disant menacée connaît une croissance économique phénoménale (4% annuels), égalée seulement par la Chine. Les quartiers des villes israéliennes sont les plus sûrs du monde : on peut, selon les statistiques israéliennes elles-mêmes, sortir en laissant sa porte ouverte. L’espérance de vie en Israël est plus élevée qu’en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Les soins y sont les meilleurs. 43% des Israéliens soi-disant menacés par les roquettes de Gaza vont au théâtre régulièrement (les Palestiniens ne connaissent pas la différence entre le théâtre et le cinéma). La société israélienne, très occidentalisée, est pleine de confiance. Les Israéliens mènent des vies normales, ils ont une culture musicale très vivante. Est-ce une société menacée ?

Leur mode de vie tranche avec la misère des Palestiniens. La sécurité chez les Palestiniens a été complètement détruite. La comparaison (d’ailleurs inhumaine car toutes les vies sont sacrées) entre les victimes civiles palestiniennes et les victimes israéliennes à n’importe quel moment montre que les premières sont au moins dix fois plus nombreuses.

Cependant, la préoccupation de l’occident, des Etats-Unis reste la sacro-sainte sécurité d’Israël à laquelle on sacrifie des vies. La sécurité, la prospérité, l’avenir de l’Etat d’Israël est la seule chose dont il faille se soucier !

Pourquoi les politiques occidentaux gardent-ils cette représentation d’une menace palestinienne sur la sécurité israélienne ? Ignorent-ils la réalité ?

La politique « morale » inspirée par la volonté de promouvoir la démocratie, les « droits de l’homme » est un mensonge, une hypocrisie. Quand des élections libres et démocratiques amènent au pouvoir quelqu’un qu’on n’aime pas, on rejette le processus ! Ce n’est pas une politique rationnelle. De plus, la radicalisation des Palestiniens, du Moyen-Orient va à l’encontre des intérêts de l’Europe. La culpabilité européenne occidentale liée à l’holocauste ne repose pas sur des considérations politiques ni sur un désir de démocratie ou de droits de l’homme, elle n’est que l’héritage de l’holocauste. On peut le comprendre. Cependant vous, Européens, n’échapperez pas à cette culpabilité grâce à une autre culpabilité. En ajoutant les six millions de réfugiés Palestiniens de la diaspora aux six millions de Juifs tués en Europe, vous ne faites qu’aggraver votre culpabilité. Le peuple palestinien doit-il être la deuxième victime de l’holocauste ? La politique occidentale n’est donc pas fondée vraiment sur la préoccupation de la démocratie et des droits de l’homme, ni d’ailleurs sur de sages considérations politiques.