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O T A G E S

par Alain Gresh, Le Monde diplomatique

mardi 9 septembre 2008

En me rendant ce matin à pied à mon travail, je suis passé devant l’hôtel de ville de Paris. Le portrait d’Ingrid Betancourt a disparu depuis longtemps, mais il reste un appel affirmant que Paris demande la libération de tous les otages à travers le monde. La municipalité s’est particulièrement mobilisée pour le soldat franco-israélien Gilad Shalit. Libération, au cours du mois d’août, a proposé quotidiennement des portraits d’otages des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), souvent des militaires présentés de manière extrêmement sympathique : ce sont des pères de famille, des fils aimants, etc.

Qui peut, un instant, ne pas souhaiter la libération de personnes retenues contre leur gré ? Et pourtant, ce matin, cette référence aux otages m’a particulièrement gêné. Je me suis plongé dans le dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey (Robert). Le mot « otage », à l’origine, a signifié « logement, demeure » ; puis, par extension, il a désigné « l’hôte que l’on garde, la personne retenue comme garantie de l’exécution d’une promesse, d’un traité ». « Par extension, le mot s’applique à toute personne dont on s’empare et que l’on utilise comme moyen de pression, de chantage ; cette acception est d’époque révolutionnaire (1793). » Depuis, le sens du mot n’a pas changé.

Pourtant, son usage a fortement varié. Appelait-on « otages » les prisonniers américains capturés par le Front national de libération sud-vietnamien ? Les prisonniers français capturés par le Front de libération nationale (FLN) algérien ? Je ne le crois pas. Bien sûr, les Farc, comme d’autres groupes révolutionnaires, enlèvent aussi des civils. C’est, à n’en pas douter, condamnable. Comme l’est l’usage de la violence contre des civils, souvent qualifié de terrorisme, terme (qui suscite bien des discussions).

Mais ce dont on ne parle jamais, c’est la violence d’Etat. Les massacres russes en Tchétchénie, les bombardements américains indiscriminés en Irak ou en Afghanistan, les violences contre la population palestinienne, ne sont-ils pas un terrorisme d’Etat ? Ne méritent-ils pas une condamnation au moins aussi vigoureuse que celle qui frappe les actes des groupes non étatiques ? Les Etats ont des obligations qui découlent de la signature d’une multitude de conventions internationales, et il est criminel qu’ils violent ces obligations.

Revenons sur les otages. Le terme est appliqué au soldat Gilad Shalit. Pourquoi ne l’est-il pas aux 10 000 prisonniers palestiniens enfermés en Israël ? Mais certains ont du sang sur les mains, rétorquera-t-on. Et les soldats israéliens ? N’ont-ils pas de sang sur les mains ? D’autre part, parmi les prisonniers palestiniens, on compte nombre de prisonniers de conscience. Certains sont purement et simplement des détenus « administratifs » emprisonnés sans jugement. Ne pourrait-on pas les qualifier d’otages ?

Enfin, il faudrait rappeler le cas du Franco-palestinien Salah Hammouri, condamné par une justice israélienne aux ordres à sept ans de prison. Le gouvernement français ou la mairie de Paris sont-ils intervenus en sa faveur ?

Au-delà de cette question, il faudrait aussi parler de la violence. A lire les médias, seule la violence d’Etat serait légitime, même si, ici ou là, elle provoque quelques « dommages collatéraux ». Pourtant, faut-il rappeler que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 affirme, dans son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » ? Ceux qui résistent les armes à la main à la dictature, à l’occupation étrangère, à l’oppression, ont-ils toujours tort ? Rappelons que Nelson Mandela avait été condamné pour « terrorisme », et qu’Amnesty International avait refusé de l’adopter comme prisonnier de conscience ; que Ronald Reagan et Margaret Thatcher considéraient le Congrès national africain (ANC) comme une organisation terroriste.

Un dernier mot sur la violence. Dans l’antiquité, Rome était une société bien policée, surtout si on la compare aux « barbares ». Les œuvres de ses poètes, de ses philosophes, de ses hommes de théâtre, de ses historiens, sont parvenues jusqu’à nous. Et ses élites s’indignaient bien sûr de la « barbarie » de Spartacus et de ses gladiateurs, hommes de peu...