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Sources : ISM et Palestine Monitor

Le déni du droit à rentrer chez soi

Par Zeina Emile Sam’an Ashrawi

mercredi 25 juin 2008

Je suis Palestinienne – je suis née et j’ai grandi en Palestine – et mes racines palestiniennes remontent à plusieurs siècles. Personne ne peut rien y changer, même si on me dit que Jérusalem, ma ville de naissance, n’est pas la Palestine, même si on me dit que la Palestine n’existe pas, même si on m’enlève tous mes papiers et si on nie mon droit d’entrer dans mon propre pays, même si on m’humilie et si on m’enlève mes droits. JE SUIS PALESTINIENNE.

Nom : Zeina Emile Sam’an Ashrawi ; Date de naissance : 30 juillet 1981 ; Ethnicité : Arabe. Voilà ce qui est écrit sur ma carte d’identité de Jérusalem. Pour un Palestinien, une carte d’identité est bien plus qu’un simple bout de papier ; c’est ma seule relation reconnue et légale avec la Palestine. Née à Jérusalem, on m’a donné une carte d’identité de Jérusalem (la carte bleue), un document de voyage israélien et un passeport jordanien estampillé Palestinien (je n’ai aucun droit légal en Jordanie). Je n’ai pas de passeport israélien, pas de passeport palestinien et pas de passeport américain.

Voici mon histoire :

A 17 ans, je suis allée finir mes études aux Etats-Unis, à l’Université de Pennsylvanie et ensuite je me suis mariée, et nous vivons actuellement au nord de la Virginie.

Je suis allée chez moi tous les ans, au moins pour voir mes parents, ma famille et mes amis, et pour renouveler mon Document de Voyage, puisque je ne peux le faire prolonger que d’un an à Washington DC. Mon père et moi nous prenons la file, devant le Ministère israélien de l’Intérieur à Jérusalem, avec beaucoup d’autres Palestiniens, à partir de 4h30 du matin, pour tenter notre chance et arriver à passer les portes de métal du Ministère avant midi – heure à laquelle le Ministère ferme – pour essayer de renouveler le Document de Voyage. Nous l’avons fait, année après année. En tant que peuple vivant sous occupation, être confrontés à l’humiliation constante de la part d’un occupant est la norme, mais nous avons fait ce que nous devions faire pour nous assurer que notre identité ne nous soit pas volée.

En août 2007, je suis allée à l’Ambassade israélienne à Washington DC pour essayer de faire prolonger mon Document de Voyage et obtenir l’habituel visa de « Résident de retour au pays » que les Israéliens délivrent aux Palestiniens titulaires d’un Document de Voyage israélien.

Après avoir observé qu’on disait à quelques Américains et autres que leurs visas seraient prêts dans deux semaines, mon tour est arrivé. Je me suis avancée jusqu’au guichet aux vitres à l’épreuve des balles qui protège l’employée et, sous une immense photo du Dôme du Rocher et des Murailles de Jérusalem qui sont accrochés aux murs du consulat israélien, je lui ai fait passer mes papiers, à travers une petite fente au bas de la vitre.

« Shalom », m’a-t-elle dit avec un sourire. « Salut », lui ai-je répondu, inquiète et effrayée. Dès qu’elle a vu mon Document de Voyage, son comportement a immédiatement changé. Plus de sourire, très peu de discussions entre nous, comme d’habitude.

Après avoir passé au crible les certificats de travail que je lui avais donnés, elle m’a dit : « Où est votre passeport américain ? ». Je lui ai expliqué que je n’en avais pas et que mon seul Document de Voyage était celui qu’elle avait dans les mains. Elle n’a rien dit pendant quelques secondes, puis : « Vous n’avez pas de passeport américain ? », suspicieuse que je lui cache quelque chose. « Non », ai-je répondu. Elle s’est tu un peu plus longtemps, puis : « Bon, je ne suis pas sûre que nous puissions prolonger votre Document de Voyage ». J’ai senti le sang me monter à la tête, parce que c’est le seul moyen pour rentrer chez moi ! Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire par là et elle a continué à me dire que puisque je vivais aux Etats-Unis et que j’avais une Carte Verte, ils ne prolongeraient pas mon Document de Voyage. Après avoir pris une profonde inspiration pour essayer de me contrôler, je lui ai expliqué qu’une Carte Verte n’est pas un passeport et que je ne peux pas m’en servir pour voyager en dehors des Etats-Unis.

J’avais la voix qui tremblait et j’étais de plus en plus en colère (et le ton de la discussion a sensiblement monté), alors je lui ai demandé de m’expliquer ce que je devais faire. Elle m’a dit de laisser mes certificats de travail et qu’on verrait ce qui se passerait.

Deux semaines après, j’ai reçu un coup de téléphone de cette dame me disant qu’elle pouvait prolonger mon Document de Travail mais que je n’obtiendrai plus le visa de « Résident de retour au pays ». A la place, on me donnerait un visa de touriste de 3 mois. D’abord, j’ai été soulagée d’apprendre que le Document de Voyage était prolongé, mais ensuite, j’ai réalisé qu’elle avait dit « visa de touriste ». Pourquoi me donne-t-on un visa de touriste pour rentrer chez moi ? Ne voulant pas me disputer avec elle au sujet du visa de 3 mois, ni risquer de compromettre l’extension de mon Document de Travail, j’ai simplement mis l’information dans un coin de ma tête et j’ai continué à lui expliquer que je n’allais pas chez moi au cours des 3 prochains mois. Elle m’a conseillé de revenir et de faire une demande de nouveau visa lorsque j’aurais l’intention d’y aller. Elle n’a pas ajouté grand-chose et m’a juste dit que je pouvais venir chercher mes papiers. Je suis donc allé à l’Ambassade récupérer mon Document de Travail et le visa de touriste qui est tamponné dessus.

Mon mari, mon fils et moi-même avions l’intention de revenir en Palestine cet été. Donc, un mois avant la date prévue pour le départ (le 8 juillet 2008), je suis allée à l’Ambassade israélienne, à Washington DC, les papiers en main, pour demander un visa pour aller chez moi.

A nouveau, j’ai pris la file d’attente et j’ai vu les autres récupérer des visas pour aller dans mon pays. A mon tour, je me suis approchée de la vitre. « Shalom », me dit-elle avec un sourire. « Salut », répondis-je. J’ai glissé mes certificats de travail par la petite ouverture sous la vitre blindée et j’ai attendu la réaction habituelle. Je lui ai dit que j’avais besoin d’un visa de « Résident de retour au pays » pour aller chez moi. Elle a pris les papiers de travail, je lui ai fait un chèque du montant demandé et j’ai quitté l’Ambassade sans incident.

Il y a quelques jours, j’ai reçu un appel téléphonique de Dina, de l’Ambassade israélienne, me disant qu’elle avait besoin de la date d’expiration de mon passeport jordanien et de ma Carte Verte. J’avais donné maintes et maintes fois tous les papiers nécessaires, et j’ai pensé que c’était pour eux un bon moyen de gagner du temps pour que je ne puisse pas avoir mon visa dans les temps. Malgré tout, j’ai appelé et rappelé, pour tomber chaque fois sur leur répondeur automatique. J’ai laissé un message avec les informations demandées, mais j’ai continué à appeler toutes les 10 minutes, espérant parler à quelqu’un et m’assurer qu’ils avaient bien reçu toutes les informations et en finir avec ces démarches fastidieuses.

J’ai fini par avoir quelqu’un. Je lui ai dit que je voulais m’assurer qu’ils avaient reçu les informations laissées sur leur répondeur, et que je voulais être sûre que mes papiers étaient en règle. Après avoir consulté quelqu’un derrière elle (je suppose que c’était Dina), elle m’a dit que je devais faxer des copies de mon passeport jordanien et de ma Carte Verte, qu’ils ne pouvaient pas accepter ce genre d’information par téléphone. J’ai donc fait immédiatement les copies, que j’ai faxées à Dina.

Quelques heures plus tard, mon téléphone a sonné. « Zeina ? ». « Oui », ai-je répondu, sachant exactement qui m’appelait, et je lui ai tout de suite demandé si elle avait reçu mon fax. Elle me dit : « Euhhhh, je n’ai pas regardé votre dossier lorsque vous avez appelé, mais votre visa a été refusé et votre carte d’identité et votre Document de Voyage ne sont plus valides ». « Pardon ? », ai-je dit, incrédule. « Désolée, je ne peux pas vous délivrer un visa et votre carte d’identité et votre Document de Travail ne sont plus valides. La décision vient d’Israël, pas de moi ».

Je ne peux pas décrire la douleur que j’ai ressentie au creux de l’estomac. « Pourquoi ? », ai-je demandé, et Dina a commencé à m’expliquer que c’était parce que j’avais une Carte Verte. J’ai essayé de raisonner avec Dina, de lui expliquer qu’ils ne pouvaient pas faire une chose pareille car c’était mon seul moyen d’aller chez moi et que je voulais voir mes parents, mais sans résultat. Dina est restée sur ses positions et m’a dit qu’on ne me donnerait pas le visa, et a dit : « Demandez aux Américains de vous donner un Document de Voyage ».

J’ai toujours été une personne forte, je ne montre pas souvent ma faiblesse, mais à ce moment là, j’ai perdu mon contrôle et je me suis mise à pleurer, alors que Dina était à l’autre bout du fil, tenant les seuls documents légaux qui me reliaient à mon pays. J’ai commencé à la supplier pour qu’elle essaye d’obtenir le visa et qu’elle n’annule pas mes documents : « Mettez-vous à ma place, que feriez-vous ? Vous voulez aller voir votre famille et quelqu’un vous dit que ce n’est pas possible ! Que feriez-vous ? Oubliez que vous êtes Israélienne et que je suis Palestinienne et réfléchissez une minute ! » "Désolée", a-t-elle dit, « je sais, mais je ne peux rien faire, la décision vient d’Israël ». J’ai essayé encore et encore de lui expliquer que je ne pouvais pas voyager sans mon Document de Voyage et qu’ils ne pouvaient pas faire ça – sachant qu’ils pouvaient, et qu’ils l’avaient fait !

Ceci est arrivé à de nombreux palestiniens détenteurs d’une carte d’identité de Jérusalem. Le gouvernement israélien pratique et perfectionne l’art du nettoyage ethnique depuis 1948 à la barbe du monde et personne n’a jamais eu le cran de faire quelque chose. Dans quelle autre partie du monde un individu est-il obligé de supplier pour aller chez lui ? Dans quelle autre partie du monde quelqu’un doit-il abandonner son identité pour la seule raison qu’il vit ailleurs pendant un certain temps ? Imaginez si un Américain vivant en Espagne pendant quelques années voulait rentrer chez lui et qu’il s’entendrait dire par le gouvernement américain que son passeport américain est annulé, et qu’il ne peut pas revenir !

Si j’étais juive, vivant n’importe où dans le monde, sans aucun lien avec Israël, où je n’aurais jamais mis les pieds, j’aurais le droit d’y aller n’importe quand et j’obtiendrais un passeport israélien. En fait, les Israéliens encouragent cette situation.

Je ne suis pas juive, mais je suis née et j’ai grandi là-bas, mes parents, ma famille et mes amis y vivent toujours et je ne peux pas y revenir ! Je ne suis ni une criminelle, ni une menace pour l’un des pays les plus puissants au monde, pourtant je suis exclue et expulsée de chez moi.

J’en suis là, je ne pourrai pas aller chez moi, et je suis une parmi tant d’autres.

Traduction : MR pour ISM