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Source : L’Humanité

Israël/Proche-Orient : notre décryptage

par Pierre Barbencey

mardi 24 juin 2008

Au-delà du voyage de Nicolas Sarkozy en Israël et dans les territoires palestiniens, la région semble vivre une période, si ce n’est de changement, en tout cas d’une modification de l’état existant.

Certes, les tensions sont encore très fortes (notamment en Irak), mais les confrontations font maintenant place à des discussions indirectes, à des déclarations de bonnes intentions à une exception près mais notable : tout ce qui touche à l’Iran est frappé du sceau guerrier avec une volonté, l’isolement de Téhéran.

Au centre du dispositif, évidemment Israël qui semble retrouver une place régionale importante dans la stratégie occidentale.
Elle l’est d’autant plus que, depuis l’élection de Sarkozy à la présidence de la République, l’infléchissement pro-américain de la politique internationale française est net : installation d’une base militaire dans le golfe Arabo-Persique à côté des forces américaines, en face de l’Iran ; renforcement de la participation, aérienne et terrestre, des forces françaises aux opérations de l’OTAN en Afghanistan ; annonce de la réintégration complète de la France dans l’organisation militaire intégrée de l’OTAN et développement d’une Europe de la défense liée à l’organisation atlantique ; enfin, acceptation de l’installation d’un système américain de défense antimissile en Pologne et en République tchèque.

L’axe Paris-Washington

Pour Sarkozy, la confrontation, même mineure, doit laisser place à un « travail » main dans la main avec les États-Unis afin que la France retrouve son aura internationale. La place est d’autant plus facile à prendre que Washington est empêtré dans le bourbier irakien, que l’administration en place va bientôt partir, et que les débats internes sur la stratégie à adopter laissent la place à certaines initiatives. D’autant que la conférence d’Annapolis, organisée en novembre dernier, censée baliser l’avènement de la paix entre Israéliens et Palestiniens, n’a, pour ainsi dire, pas vu le début du commencement d’un quelconque processus.

Autant d’éléments, qui, pour la France, passent par un renforcement des liens avec Israël mais aussi, pour faire bonne mesure, une attention accrue portée à certains pays, négligés par Jacques Chirac (dont les liens avec l’Arabie saoudite et avec l’ancien premier ministre libanais assassiné, Rafic Hariri, étaient avérés), à commencer par la Syrie, et une place plus importante aux deux seuls pays arabes qui ont signé une paix avec Israël : la Jordanie et surtout l’Égypte.

Le tout au détriment des droits légitimes des Palestiniens dont les revendications n’entrent pratiquement plus dans un cadre international au regard d’Israël, mais dans un contexte de politique intérieure. D’où le refus de Tel-Aviv de prendre en compte ce qu’il est convenu d’appeler le « plan de paix arabe », proposant la normalisation des relations avec Israël en échange du désengagement de tous les territoires occupés et de la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et un juste règlement de la question des réfugiés. Mais d’où la nouvelle attitude israélienne, tant vis-à-vis de la Syrie que du Liban et, à l’opposé, de l’Iran.

Le Liban, une longue litanie pour Israël

Dans le projet sioniste, Eretz Israël devait s’étendre jusqu’au fleuve Litani, en territoire libanais. Guerres, occupations jusqu’en mai 2000 du sud du pays, soutien aux factions chrétiennes, massacres de civils dont le dernier en date se passe à l’été 2006 avec une guerre meurtrière mais qu’Israël n’a pas gagnée, le Hezbollah ayant montré ses capacités militaires.

Le blocage politique qui a suivi aurait pu dégénérer en guerre civile, spectre qui hante toujours le pays du Cèdre. Paradoxalement, la crise a été résolue après quatre jours de rudes affrontements particulièrement à Beyrouth. Un nouveau président de la République a été élu, Michel Sleimane, à la suite d’une conférence de toutes les parties libanaises organisée à Doha (Qatar).

Un dénouement qui met en lumière les changements d’approche des uns et des autres et de leurs parrains sur la scène internationale, occidentaux d’un côté, Syrie et Iran de l’autre, pour découper le tout à la hache.

Des tractations sont d’ailleurs en cours entre le Hezbollah et Israël pour un échange de prisonniers. En revanche, le Liban vient d’annoncer qu’il refusait toute discussion avec Israël sur les hameaux de Chebaa toujours occupés, en dehors de l’initiative arabe de paix.

La Syrie ou le chemin de Damas

Placée dans « l’axe du mal » par George W. Bush, la Syrie joue un rôle prépondérant dans la région, ne serait-ce que par sa présence au Liban à partir de 1976, avec l’aval des pays occidentaux. Montrée du doigt après l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005, la Syrie perd du terrain, est contrainte de se retirer mais ne cède pas.

On assiste aujourd’hui à une tentative de séduction pour rompre tous liens avec l’Iran. Israël a même entamé des négociations indirectes. Ce pourrait n’être d’ailleurs qu’une attitude de façade de la part de Tel- Aviv. Dans un entretien au Figaro, mercredi dernier, Ehoud Olmert dit négocier « pour la paix », mais précise aussitôt : « Nous défendons les droits de l’homme, la démocratie, la fin du sabotage au Liban, la fin du soutien au terrorisme, la sortie de l’axe du mal dirigé par l’Iran. » Ce qui, pour un pays qui refuse d’appliquer les résolutions de l’ONU le concernant, qui poursuit son occupation et commet régulièrement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, n’est pas piqué des vers. Le président syrien, Bachar Al Assad, et le premier ministre israélien pourraient néanmoins se rencontrer à Paris à l’occasion du sommet de l’Union de la Méditerranée.

L’Iran, seul contre tous ?

Toutes ces manoeuvres en cours, outre qu’elles se déroulent dans un contexte de forte augmentation des produits pétroliers - ce qui force les Occidentaux à se montrer plus conciliants avec les monarchies du Golfe -, visent avant tout l’isolement de l’Iran. Téhéran, fort de la disparition du régime de Saddam Hussein, entend jouer un rôle hégémonique régional et donc international. Il le peut d’autant plus que ses accointances en Irak sont fortes.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir que les organisations dirigeantes à Bagdad avaient trouvé en Iran un lieu d’exil pour fuir la répression baassiste. Le côté chiite ne faisant qu’accentuer les choses. Ce que n’ignore pas Washington qui entretient un canal de discussions strictement dans ce cadre.

Pour l’heure, malgré les menaces même plus voilées (plans américains, manoeuvres militaires israéliennes…), l’Iran tient bon et poursuit ses discussions au sein de l’AIEA. Jusqu’à quand ? Va-t-il échapper à l’isolement qui le guette ? Il peut encore compter sur un soutien au moins partiel de la Russie et de la Chine, mais la situation se détériore. Le danger est grand d’une déflagration qui serait certainement plus que régionale.

Où est la Palestine ?

Dans ce décor, la question palestinienne est comme une goutte d’eau dans l’océan alors que, paradoxalement, elle est le noeud du problème. Israël a bien manoeuvré. Les Palestiniens sont divisés géographiquement et politiquement. À Gaza, le Hamas. En Cisjordanie, le Fatah et l’OLP.

Mahmoud Abbas, le président palestinien s’enferre dans des discussions stériles avec Israël malgré les recommandations de l’OLP qui préconise une suspension des discussions. Le Hamas retrouve une crédibilité régionale avec la trêve instaurée depuis quelques jours. Pendant ce temps, le transfert des Palestiniens de Jérusalem se poursuit, de même que la colonisation et la construction du mur dit de « séparation » qui empiète largement sur les zones palestiniennes.

L’échéance de la création d’un État palestinien à la fin 2008 s’éloigne toujours un peu plus. Or, cette perte d’espoir chez les Palestiniens pourrait bien briser toutes les manoeuvres occidentales et arabes en cours.

L’Humanité
23 juin 2008

Pierre Barbencey - L’Humanité