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« Tous ceux qui croient qu’ils vont pouvoir se débarrasser de nous ont du souci à se faire ».

Les réfugiés sont retournés chez eux

par Julien Salingue

dimanche 22 juin 2008

Quand des jeunes du Camp de Balata se rendent sur les terres de leurs grands-parents

Le jeudi 19 juin, au Camp de réfugiés de Balata, près de Naplouse, une vingtaine d’adolescents sont revenus, ravis, d’une excursion de 3 jours dans les villes et villages desquels leurs grands-parents ont été expulsés en 1948. L’excursion était organisée par le Centre Culturel Jaffa, en lien avec 2 autres Centres, du Camp de Jénine et du Camp d’Aïda, près de Béthléem.

Ils sont 20, 10 garçons, 10 filles, et ne passent pas inaperçus lorsqu’ils pénètrent dans les locaux du Centre Culturel Jaffa, au Camp de réfugiés de Balata. Cris, pleurs, embrassades… Celles et ceux qui n’ont pas pu venir les harcèlent de questions : « Comment c’était ? » ; « Vous êtes allés où ? » ; « Vous avez vu la mer ? »… tandis que les volontaires du Centre essaient de convaincre la vingtaine de jeunes de se rendre dans la salle de réunion pour un rapide « debriefing » avec Tayseer Nasrallah, l’un des responsables du Jaffa Center.

Tout le monde s’installe et Tayseer prend la parole, rappelant, a posteriori, la philosophie de l’excursion : « Nous organisons ce type d’initiatives pour deux raisons : la première, c’est qu’elle vous a permis de sortir du Camp de réfugiés, de faire connaissance avec d’autres jeunes et de passer un bon moment. La seconde, c’est que vous avez pu voir et toucher la terre de laquelle vos familles ont été chassées, votre terre, et mettre des images sur des noms que vous entendez depuis que vous êtes enfants. Nous savons que vous êtes sûrement très fatigués et que vous avez envie de rejoindre vos familles. C’est probablement pour vous la première fois que vous êtes éloignés d’eux pendant 3 jours… Mais auparavant nous voudrions entendre quelques-uns d’entre vous, garçons et filles, afin de connaître un peu vos impressions ». 

Les adolescents sourient et opinent du chef. Plusieurs d’entre eux prennent ensuite la parole. « Nous avons passé des moments merveilleux même si dès le premier checkpoint, nous avons eu peur car les soldats ne voulaient pas laisser passer le bus… Le premier soir nous n’avons presque pas dormi et le lendemain nous étions tous réveillés à 5 heures du matin car nous voulions aller voir nos villages » explique Sanaa. « C’est beau là-bas… Nous avons même été au bord de la mer, sur la plage. Mais les adultes nous ont demandé de ne pas nous éloigner car ils ne voulaient pas qu’on ait des problèmes », ajoute Ahmad. « Car même si c’est notre terre, les Israéliens disent que ce n’est pas chez nous ».

Taha, une adolescente d’une quinzaine d’années, intervient dans la discussion qui s’engage : « Lorsque je suis arrivée près du village de ma grand-mère, j’ai ressenti beaucoup d’émotions. Mon cœur battait très vite. J’ai senti que j’étais liée à cette terre dont on avait m’a tant parlé. Je me suis sentie chez moi. Mais en même temps je me sentais étrangère. Car cette terre est aujourd’hui occupée ». Elle poursuit : « La nuit d’après j’ai fait un rêve magnifique. J’ai rêvé que j’étais rentrée chez moi. Que j’étais sur ma terre. Que l’occupation était finie. Que le Camp de réfugiés, c’était fini. Quand je me suis réveillée j’étais heureuse. Mais malheureusement j’ai compris que mon rêve était un rêve. Et qu’il était temps de rentrer à Balata ».

Mais elle n’est pas triste pour autant. Elle sourit, comme les autres, et ses yeux pétillent. C’est parce qu’elle sait, dit-elle, qu’ils ont « de la chance » : « Nous avons de la chance d’avoir pu participer à ce voyage. Mes grands-parents n’ont jamais pu revoir leur terre. Nous avons beaucoup pensé aux anciens pendant que nous étions là-bas. Et aussi à tous ceux qui n’ont pas pu venir. Et à nos frères et sœurs des Camps du Liban, de Syrie et de Jordanie, qui ne peuvent pas se rendre sur la terre de Palestine. Nous avons lu des messages en leur nom ».

Alors que la réunion semble toucher à son terme, une jeune fille timide, qui ne dit pas son nom, tient à s’exprimer : « Je veux remercier tous ceux qui ont permis que ce merveilleux voyage ait lieu. J’espère que d’autres adolescents du Camp pourront eux aussi se rendre là-bas. J’ai ressenti tellement de choses… Tout se mélangeait. Voir cette terre, qui est à nous, occupée par d’autres ou tout simplement abandonnée, c’est triste. Mais voir que nous avons autre chose qui nous attend que la vie dans le Camp de réfugiés, ça donne de l’espoir. Alors merci à vous ».

Tayseer Nasrallah prend une dernière fois la parole : « Nous espérons que ce séjour vous a plu. Les volontaires du Centre se chargeront de recueillir vos témoignages, vos impressions, vos critiques, positives ou négatives… Tout ce qui peut contribuer à améliorer les excursions de ce type. Nous espérons que vous aurez compris, grâce à ce voyage, qu’être un réfugié ce n’est pas seulement vivre dans un camp. Etre un réfugié c’est avoir une terre, là-bas, qui est occupée. C’est avoir une histoire et une identité que l’occupation essaie de nous enlever. Tant qu’il y aura des Camps de réfugiés, l’occupation ne sera pas finie et il faudra se battre ».

Avant qu’ils ne quittent la salle de réunion je demande aux adolescents s’ils ont rapporté quelque chose de là-bas. J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer des jeunes qui avaient pu se rendre sur les terres de leurs grands-parents. Tous avaient rapporté un souvenir : une pierre, un sachet de terre, une orange ou un rameau d’olivier. Lorsqu’ils entendent ma question, ils sourient et brandissent tous fièrement les colliers de coquillages qu’ils ont confectionnés après s’être rendus à la plage. Des coquillages ramassés au bord de la Méditerranée, qu’ils n’avaient jamais vue.

Après le départ des adolescents, Tayseer, un sourire radieux aux lèvres, me confie : « Ce type d’excursions a plus d’effet que la lecture de dizaines de livres ou la participation à des dizaines d’ateliers sur l’histoire et les droits des réfugiés. Nous espérons pouvoir organiser beaucoup d’autres initiatives de ce type. Grâce à elles les enfants voient la terre d’où ils viennent et savent ce qu’est leur véritable identité. Le tout dans un cadre qui les rend tellement heureux. Tu as vu leurs sourires ? ». 

Oui j’ai vu leurs sourires. En observant les visages rayonnants de ces 20 adolescents qui n’ont connu, jusqu’alors, que la vie dans le Camp de Balata, je repense à ce que disait plus tôt l’un des responsables du Centre Culturel Jaffa à deux visiteurs britanniques :

« Le Camp de Balata est le plus grand camp de Cisjordanie. Plus de 25 000 personnes y vivent, dans un espace qui n’excède pas 1km2 et qui avait été conçu à l’origine pour 5 à 6000 réfugiés. Le Camp est surpeuplé, les rues sont minuscules et, dans de nombreuses maisons, la lumière du soleil ne pénètre jamais. D’après les registres des écoles de l’ONU, il y a 6000 enfants de 6 à 15 ans dans ce Camp. C’est énorme… Les familles sont très nombreuses et les habitations très petites, alors les enfants sortent et passent leur temps dans la rue. Ils n’ont rien d’autre à faire…

Comme Balata est un haut lieu de la résistance palestinienne, la répression israélienne est ici considérable. Tous les soirs, toutes les nuits, les soldats entrent dans le camp. C’est comme une drogue pour eux. Ils ont besoin de venir à Balata… Il y a eu 180 martyrs depuis septembre 2000, des centaines de blessés, peut-être plus, et des centaines d’arrestations. Tous les enfants sont marqués. Ils ont un frère, un père, un ami en prison. Ils ont tous vu des cadavres, et même des morceaux de cadavres… Les dégâts psychologiques sont considérables.

C’est en partant de ce constat que le Centre Jaffa a été fondé. Et aussi d’une réalité : la majorité des Palestiniens sont des réfugiés. La défense du droit au retour est donc une tâche prioritaire.

Nous avons donc deux objectifs : permettre aux plus jeunes, même ponctuellement, de s’amuser, d’apprendre à se servir des ordinateurs, de participer à des activités diverses, que ce soit du théâtre, de la danse, des ateliers de journalisme ou de vidéo. Mais dans le même temps nous faisons un travail de fond, en expliquant l’histoire des réfugiés, de la lutte palestinienne, en organisant des formations sur les questions démocratiques, sur la prise de responsabilité…

Il s’agit donc non seulement d’offrir aux jeunes des moments de détente, d’évasion… mais aussi de préparer les générations futures à défendre le mieux possible la cause des réfugiés et l’ensemble des droits du peuple palestinien ». 

Un programme et des activités qui ne plaisent guère aux autorités d’occupation puisque le fondateur du Centre Jaffa, Hussam Khadr, ancien député du Fatah, purge actuellement une peine de 7 ans de prison en Israël et ne sera pas libéré avant 2010.

Hussam, que j’ai eu la chance de rencontrer en 2001 et qui, bien que membre du Fatah, fustigeait alors la direction de l’Autorité Palestinienne qu’il appelait sans ménagement la « Mafia d’Oslo », a toujours mis en garde ceux qui croient pouvoir contourner la revendication du droit au retour des réfugiés :

« Nous ne pouvons pas permettre au nettoyage ethnique de triompher. Nous affirmerons cette position jour et nuit. Nous ne prendrons aucun repos parce que le droit au retour est d’une part, une question de vie ou de mort pour les réfugiés et, d’autre part, la substance même de la cause nationale palestinienne. La cause des réfugiés est la cause palestinienne ».

Hussam aurait probablement été fier et heureux, 10 ans après la fondation du Centre Yaffa, de voir cette vingtaine d’adolescents revenir de leurs terres d’origine des souvenirs et des projets plein la tête. Et il aurait probablement pensé ce que m’a glissé l’un des responsables du Centre alors que les jeunes retournaient dans leurs familles :

« Tous ceux qui croient qu’ils vont pouvoir se débarrasser de nous ont du souci à se faire ».