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Opinion

La fin du mythe de « l’état Palestinien indépendant » (version courte)

Par Julien Salingue

jeudi 29 mai 2008

L’instabilité permanente dans l’ancienne Palestine mandataire résulte, en dernière analyse, de la contradiction entre le projet sioniste d’y établir un Etat juif et la présence sur cette terre d’un peuple autochtone refusant d’abandonner ses droits nationaux.

De l’expulsion aux cantons

Le soutien des grandes puissances à Israël, allié de poids dans une région aux enjeux géostratégiques majeurs, étant conditionné à ce que cet Etat soit, au moins en apparence, démocratique, une seconde contradiction a émergé pour les dirigeants sionistes : comment préserver simultanément le caractère juif et le caractère démocratique de l’Etat d’Israël sans renoncer aux prétentions sur l’ensemble de la Palestine mandataire ?

Le peuple palestinien a toujours été un obstacle à la réalisation du projet sioniste. De l’annihilation de l’obstacle (le Plan Daleth et l’expulsion massive de 1947-49) à son contournement/containment (le Plan Allon de 1967 et la cantonisation), le but reste le même : le plus de territoire et le moins de Palestiniens possible sous juridiction israélienne.

Les Accords d’Oslo participaient de cet objectif : abandonner la gestion des zones les plus densément peuplées à un pouvoir autochtone tout en gardant le contrôle de la quasi-totalité du territoire. Le retrait de Gaza s’est inscrit dans cette logique. En parallèle, l’accélération de la colonisation de la Cisjordanie (près de 500 000 colons aujourd’hui) a eu pour conséquence sa fragmentation et l’utilisation, actuellement, de 40% de sa superficie par les infrastructures israéliennes.

Aujourd’hui Gaza est isolée du monde et la Cisjordanie n’est plus seulement « occupée » mais désormais « intégrée » à Israël. La superficie d’Israël comprenant les 40% de facto annexés représente plus de 23 000 km2, contre à peine 3000 km2 de cantons palestiniens isolés dont les entrées et sorties sont sous contrôle israélien.

Des négociations pour « deux Etats » ?

Et les « pourparlers », en cours depuis plus de 15 ans ? La réalité du terrain et les conditions posées lors des négociations sont sans appel : des Accords d’Oslo au Plan Olmert, pour Israël « l’Etat palestinien » n’a jamais signifié autre chose que les cantons, et le processus négocié a été utilisé comme un moyen de rendre irréversible la situation sur le terrain tout en prétendant rechercher un compromis.

C’est à la lumière de ces éléments et de cette « nouvelle réalité » que de plus en plus de voix s’élèvent pour demander l’abandon de la perspective de « l’Etat palestinien indépendant », imposée dans les années 80 au nom du « réalisme », du « pragmatisme » et de la « recherche du compromis ». Au-delà des thématiques « classiques » (le sort des réfugiés et des Palestiniens d’Israël, la reconnaissance d’Israël comme Etat juif…), les arguments du « réalisme » et du « pragmatisme » ont été retournés.

C’est l’idée même de « compromis » qui est à réévaluer. La conquête de la Cisjordanie fait partie intégrante du projet sioniste, comme la Cisjordanie fait aujourd’hui partie intégrante d’Israël. Exiger du gouvernement israélien qu’il renonce à la maîtrise de la Cisjordanie n’est pas une position de « compromis ». Cela revient à lui demander de défaire ce qu’Israël a mis plus de 40 ans à construire et, en réalité, d’abandonner le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif sur la Palestine mandataire au moment où il est presque réalisé.

Quel « pragmatisme politique » y a-t-il dans la demande faite à Israël de déplacer, indemniser et reloger près de 500 000 colons, d’abandonner des infrastructures qui lui ont coûté, depuis 30 ans, plus de 60 milliards de dollars, d’accepter de partager la souveraineté sur Jérusalem, de tolérer au cœur de son territoire une route reliant la Cisjordanie et Gaza ou encore de renoncer au contrôle de la frontière avec la Jordanie, dans un contexte où la mobilisation palestinienne s’est essoufflée et où aucune pression internationale ne s’exerce sur le gouvernement israélien ?

Que « réalisme » a un mot d’ordre sans base matérielle ? « Cisjordanie », « Jérusalem-Est », sont des termes qui se réfèrent à des entités qui n’existent plus suite à leur digestion par Israël.

Quel « réalisme » a un projet sans soutien populaire ? Il n’y a aucune adhésion de la population à un « compromis » qui n’aboutirait qu’à un « Etat » constitué de cantons sous surveillance israélienne, habités pour moitié par des réfugiés dont le sort ne serait pas réglé.

Abandonner le mot d’ordre de l’Etat palestinien indépendant

Au vu des dynamiques actuelles, le mot d’ordre de l’Etat unique et démocratique n’est pas moins « pragmatique » ou moins « réaliste » que celui des « deux Etats ». Bien au contraire.

Pas moins pragmatique car il n’exige lui aussi, en dernière analyse, rien d’autre que l’abandon du projet sioniste. Beaucoup, y compris parmi d’anciens partisans de l’Etat indépendant comme un premier pas avant un règlement global du conflit, reconnaissent aujourd’hui l’inutilité d’une étape qui entretient l’illusion du « compromis possible » entre existence de l’Etat juif et satisfaction des droits nationaux des Palestiniens mais qui nécessite désormais de réunir à peu près les mêmes conditions que celles requises pour l’Etat unique.

Pas moins réaliste car l’Etat unique existe déjà, de la Méditerranée au Jourdain, avec entre autres un seul système économique (déséquilibré mais unifié), une seule monnaie, des infrastructures communes (routes, eau, électricité…) et deux langues, l’Arabe et l’Hébreu, qui sont déjà officiellement celles de l’Etat d’Israël.

Pas moins réaliste car l’idée est en plein essor, On pourrait être témoins de nouvelles dynamiques de structuration et de mobilisation de la population palestinienne, incluant les Palestiniens d’Israël, si le mot d’ordre démobilisateur et surréaliste, au vu des conditions objectives, de « l’Etat indépendant et viable au terme d’un processus négocié » était abandonné au profit de l’exigence de l’égalité des droits, dans un seul Etat, pour tous les habitants de la Palestine du mandat, seul chemin possible vers une quelconque « paix ». Au niveau international, la pression populaire et, par extension, celle des « Etats-partenaires », pourraient connaître de nouveaux développements. 

C’est ce qu’Ehud Olmert, Premier Ministre israélien, a bien compris. Il déclarait ainsi, dès 2003 : « Le temps nous est compté. De plus en plus de Palestiniens ne sont plus intéressés par une solution négociée, à deux Etats, car ils souhaitent changer l’essence même du conflit en passant d’un paradigme de type Algérien à un paradigme de type Sud-Africain ; d’un combat contre « l’occupation », pour reprendre leur vocabulaire, à un combat de type « un homme = une voix ». C’est bien sûr un combat beaucoup plus clair, beaucoup plus populaire et, au final, beaucoup plus puissant ».

NB : Cartes établies d’après des données de l’Office des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (United Nations OCHA Opt) : http://ochaonline2.un.org/Default.aspx?tabid=8536.