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Israéliens et Palestiniens : conflit et solution

Par Moshe Machover

jeudi 22 mai 2008

(...) Le troisième élément, et le plus décisif pour résoudre vraiment le problème, c’est la disparition de la cause fondamentale du conflit : l’entreprise de colonisation sioniste doit être éliminée. Cela signifie non seulement la désionisation d’Israël, mais aussi le rejet de l’affirmation sioniste que tous les Juifs, où qu’ils vivent, ont un droit sur « la terre d’Israël »

1.8 Est-ce l’apartheid ?

On compare souvent Israël à l’Afrique du Sud sous l’apartheid. On emploie beaucoup le mot « apartheid » pour caractériser l’Etat colonial israélien et spécialement le régime israélien dans les territoires occupés depuis 1967. Je pense que l’usage réitéré de ce mot s’explique par le fait que l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid est le seul Etat colonial qui continua son entreprise de colonisation jusqu’à une période très récente dans la mémoire vivante de la plupart des gens. C’est le seul autre Etat colonial « actif » dont les gens se souviennent. Et donc, ils utilisent ce mot « apartheid » comme une insulte ou comme un générique pour un système tyrannique de discrimination raciale.

Mais du point de vue analytique, cette étiquette ne s’applique pas strictement à la colonisation sioniste. Et cela peut porter à confusion : utiliser le mot « apartheid » comme une insulte peut être une façon satisfaisante de donner libre cours à ses sentiments ou un raccourci vers une propagande efficace. Mais c’est dangereux, parce que les gens commencent à croire qu’Israël c’est une autre Afrique du Sud, donc que le conflit israélo-palestinien est similaire et qu’on peut le résoudre de la même façon.

Bien sûr il y a des tas de similitudes. L’Afrique du Sud sous l’apartheid et Israël appartiennent à un même genre d’Etat colonial. Colonisation signifie automatiquement dépossession des peuples indigènes, discrimination raciale violente à leur égard, mesures brutales pour venir à bout de leurs résistances. La vérité est que, si les Arabes palestiniens à l’intérieur de la ligne verte (qui sont des citoyens d’Israël) sont victimes de violentes discriminations institutionnalisées, ils ne sont pas tout à fait aussi maltraités que les non-blancs sous l’apartheid. De l’autre côté, les Palestiniens vivant à l’intérieur des territoires de 1967 sont souvent traités plus brutalement par les militaires israéliens et les colons que ne l’étaient les non-blancs sous l’apartheid.

Mais mon intention n’est pas de comparer le degré d’oppression.

Il y a une importante différence qualitative, structurelle entre les deux Etats coloniaux. Ils appartiennent au même genre mais à deux espèces différentes. Une caractérisation exacte doit non seulement définir le genre approximatif mais également mettre en évidence la différence spécifique.

Ici j’invoquerai la grande perspicacité de Karl Marx : la clé de la compréhension d’une société, -d’un ordre social, - est son économie politique, son mode de production. Et ceci signifie d’abord l’origine du surproduit et l’organisation de son extraction. Dans toutes les colonisations, les ressources des indigènes ont été pillées. Mais que faire d’eux ?

Assez schématiquement nous pouvons distinguer deux espèces, deux modèles principaux de colonisations et de sociétés colonisatrices. La différence cruciale, c’est de savoir si la population indigène est utilisée comme force de travail qu’on exploitera ou si elle est exclue de l’économie coloniale, marginalisée, exterminée ou expulsée, victime de la purification ethnique.

L’Afrique du Sud appartenait à la première espèce. Pas au début, mais avec le développement de l’industrie capitaliste et l’exploitation des ressources minières, cela devint un système dans lequel les Africains étaient la source essentielle de la plus-value. L’apartheid était un système destiné à avoir à portée de main les non-blancs, ressource essentielle de l’économie mais dépourvus de droits civiques.

Le Sionisme, de façon délibérée, consciente et explicite, choisit l’autre modèle : il fallait éviter d’utiliser la main d’œuvre indigène. On ne considère pas les Arabes palestiniens comme une source exploitable de main d’œuvre supplémentaire, mais eux-mêmes sont de trop. Il n’est pas nécessaire de les avoir à proximité ni même à distance, il faut complètement les écarter. Il fallait faire un nettoyage ethnique, en langage sioniste les « transférer ». Dès les débuts du Sionisme politique, on envisagea de les expulser. Le 12 juin 1895, Théodore Herzl confia dans son journal intime : « Nous déplacerons la partie la plus pauvre de la population indigène de l’autre côté de la frontière, sans faire de bruit, en leur donnant du travail dans des pays de transit, mais dans notre propre pays nous leur refuserons toute forme de travail ».

Il serait fastidieux de citer ici les innombrables preuves confirmant la planification du transfert et de rendre compte de sa mise en œuvre qui utilisait les pressions, l’intimidation ou l’expulsion forcée à chaque fois que l’occasion se présentait. Je vous renvoie à la littérature (par exemple « Le nettoyage ethnique de la Palestine » de Ilan Pappé). A cet égard, quand il s’agit d’exclure les indigènes palestiniens de l’économie coloniale avant 1948, de planifier et de mettre en œuvre leur déplacement, les sionistes « de gauche » ou « Travaillistes » furent les plus assidus. Ils pensaient en termes de classe et savaient donc parfaitement que, comme dans toute autre économie politique, les producteurs directs formeraient la majorité. Le Sionisme ne pouvait pas parvenir à établir un Etat juif, avec une majorité juive prédominante, s’ils n’excluaient pas les Arabes. Il fallait que le travail soit fait par des Juifs : par des pionniers juifs européens idéalistes et, puisqu’il n’y avait pas assez de volontaires, par des juifs indigents, la plupart du temps basanés, des Juifs qu’on allait chercher aux quatre coins du monde.

Dans l’ensemble, le Sionisme et Israël adhèrent à ce modèle, minimisant le recours à l’utilisation du travail des Palestiniens, avec juste un écart bref et ciblé dans les années 70-80.

Et à présent les entreprises israéliennes de haute technologie établies sur les territoires palestiniens occupés en 1967 préfèrent employer des juifs israéliens surexploités plutôt que des Arabes palestiniens. La stratégie sioniste/israélienne a toujours eu un double but : maximiser la colonisation juive de la terre et minimiser sa population arabe.

Il y a un certain degré de tension entre ces deux objectifs. Yosef Weitz, un sioniste « travailliste », un architecte particulièrement ardent des projets de transfert avant la guerre de 1948 et l’un des principaux acteurs de leur mise en œuvre pendant la guerre et au lendemain de celle-ci, se montra inquiet après la guerre.

"Quand l’ONU décida le partage de la Palestine en deux Etats, la guerre d’indépendance de 1948 éclata et ce fut notre grande chance et un double miracle eut lieu : Une victoire sur le terrain et la déroute des Arabes. Lors de la guerre des six jours (1967) il y eut un grand miracle, une gigantesque victoire sur le terrain, mais la majorité des habitants des territoires libérés restèrent attachés à leurs lieux, chose capable de saper les fondations de notre Etat. Le problème démographique est le plus aiguë, particulièrement si au poids du nombre on ajoute le poids des réfugiés."

Le fantasme de la colonisation croissante est gâché par le cauchemar du danger démographique. Les différents courants sionistes hésitent entre deux buts. Certains privilégient une impérative expansion territoriale sur la pureté ethnique absolue.
D’autres sont pétrifiés par le péril démographique : il y a trop d’Arabes en Palestine et ils ont un fort taux de natalité !
Idéalement, ils sont tous d’accord, si d’une façon ou d’une autre les Palestiniens disparaissaient, le problème disparaîtrait avec eux.
Mais un nettoyage ethnique conséquent ne peut être perpétré, selon l’expression sioniste, qu’à un moment propice (she’ at kosher).

En attendant qu’une telle occasion se présente, la stratégie principale est de confiner les Palestiniens dans des poches facilement maîtrisées, assurant de préférence leur propre sécurité. Elles sont différentes des camps de concentration dans la mesure où les individus ont tout à fait le droit de partir du moment qu’ils émigrent.

Ce ne sont pas non plus des bantoustans, parce que la finalité des bantoustans était de servir de dortoirs théoriquement indépendants qui servaient de réserves de main d’œuvre dont dépendait l’économie des colonisateurs.

Ce à quoi ces poches ressemblent le plus, ce sont aux réserves indiennes des USA. Et les différents plans de paix israéliens et accords conclus avec des leaders palestiniens consentants ont une certaine ressemblance avec les célèbres traités indiens.

Le fait que la colonisation sioniste suive ce modèle, basé non sur l’exploitation de la main d’œuvre des peuples indigènes, mais sur le désir de les exclure et de les expulser, a des conséquences très importantes.

Premièrement le danger d’une nouvelle expulsion massive n’est jamais très loin.
"Un moment propice » peut se présenter, par exemple lors d’une extrême urgence ou d’une guerre : une perspective sans cesse présente dans cette région instable. Il se peut même qu’Israël aide à provoquer une telle occasion. Entre temps, un déplacement au ralenti s’effectue, selon la méthode du salami, utilisant le harcèlement économique, administratif et physique.

De plus, il est beaucoup plus difficile de faire marche arrière avec le nettoyage ethnique et l’expulsion qu’avec les relations d’exploitation et de discrimination raciale.

C’est pourquoi, ceux parmi nous qui sont contre cette injustice doivent agir avec la plus grande urgence pour avertir l’opinion publique et mobiliser la société civile, pour qu’Israël ait le maximum de difficultés à étendre la colonisation et à poursuivre l’expulsion.

1.9 La dimension nationale

Une autre conséquence extrêmement importante qui découle de la nature spécifique de la colonisation sioniste est la cristallisation du conflit en un conflit national.

Alors que dans le modèle d’exploitation colonialiste le conflit entre les colonisateurs et le peuple indigène prend la forme d’une quasi lutte de classes, dans l’autre modèle, celui suivi par le Sionisme, les colonisateurs forment une nouvelle nation coloniale. Et la colonisation sioniste a aussi pour résultat la création d’une nouvelle nation : les Juifs israéliens ou les Hébreux modernes.

Ils ont les attributs essentiels d’une nation dans le sens moderne du terme : une contiguïté territoriale, une structure de classe complète (similaire à celle d’autres nations capitalistes modernes), une langue commune dans le discours de tous les jours (qui leur est unique) et une culture à la fois "raffinée" et populaire.

Notez que les Juifs, ailleurs, ceux qui constituent la diaspora d’aujourd’hui, n’ont aucun de ces attributs. Ils ne constituent pas une nation dans le sens courant et moderne du terme. L’adoption d’une nouvelle identité nationale est aussi rapide que dans le cas d’autres nations coloniales de peuplement (par immigration). Les enfants nés en Israël d’immigrants juifs de Russie ou d’un pays arabe sont des membres de la nation hébreu. Ils ne sont pas plus Russes ou Arabes qu’un Américain d’origine italienne ou polonaise n’est Italien ou Polonais. L’origine de leurs parents n’est pas effacée, mais n’apparaît plus qu’en arrière-plan.

Ironiquement, le Sionisme, comme un père qui nie l’existence de l’enfant qu’il n’a pas désiré, dénie l’existence de cette nation hébreu récemment crée par la colonisation sioniste. Car selon l’idéologie sioniste, tous les Juifs du monde entier constituent une seule et même nation. La vraie patrie de tous les Juifs n’est pas le pays où il ou elle peut être née et dans lequel sa famille a vécu pendant des générations. La patrie de cette prétendue nation est la terre biblique d’Israël, sur laquelle elle a un antique droit inaliénable, en fait octroyé par Dieu. Les non juifs vivant dans la patrie juive ne sont que des intrus étrangers.

La colonisation sioniste est justifiée en tant que "retour dans la patrie", droit reconnu aux Juifs mais dénié à ces intrus étrangers, les réfugiés palestiniens qui, en toute illégitimité, ont été expulsés de la patrie juive. Il n’y a donc pas de nation hébreu mais simplement des membres de la nation juive à travers le monde, qui sont déjà retournés dans leur patrie, avant-garde de leurs frères de la diaspora qui ont un droit, en fait un devoir sacré de suivre et d’être rassemblés sur la terre d’Israël.

Ici je voudrais mettre en exergue un autre trait exceptionnel de la colonisation sioniste. Dans le modèle d’exploitation coloniale, les colonisateurs ont fini par être une relativement petite minorité, une couche supérieure ou quasiment une classe exploitant de la main d’œuvre indigène. Ces derniers forment le gros des producteurs directs et constituent donc la grande majorité de la population.

De l’autre côté, dans la plupart des colonisations qui ont suivi l’autre modèle, dans lesquelles les colonisateurs formaient une nouvelle nation coloniale, les peuples indigènes, s’ils n’étaient pas complètement réduits à néant, étaient écrasés et pour le moins marginalisés L’identité nationale de la nation colonisatrice s’est superposée à leurs identités nationales distinctes et séparées. Leurs langues et leurs traditions culturelles, si elles n’ont pas complètement disparu, persistent sous la forme des "vestiges folkloriques », confinés au secret ou dans des régions rurales éloignées, alors que la langue et la culture de la nation colonisatrice prédominent partout ailleurs.

Il n’en est pas de même dans le cas de la colonisation sioniste : ici, le conflit entre l’oppresseur et l’opprimé, les colonisateurs et le peuple indigène, a pris la forme d’un conflit national entre deux groupes nationaux bien définis, de dimension à peu près égale.
Malgré ses efforts, l’Etat israélien n’a remporté, jusqu’à aujourd’hui, qu’un succès partiel en « transférant » les Arabes palestiniens de leur patrie. La guerre de 1967 fut trop brève pour répéter un nettoyage ethnique comparable en ampleur à celui de 1947/1949.
De plus, les Palestiniens avaient retenu la leçon amère de la Naqba et, comme le note lugubrement Yosef Weitz, étaient restés fermement « accrochés » à leur terre. Au même moment, le taux de natalité plus élevé des Arabes avait, dans une certaine mesure, contrebalancé l’afflux de l’immigration juive en Israël.

L’identité nationale des Palestiniens, loin de se dissoudre sous l’impact de la colonisation, se cristallisa et se trouva même renforcée par le conflit. Ils ont conservé leur langue et développé une production culturelle nationale très vivante.

Le contexte régional est largement responsable de cette remarquable vigueur. La plus grande partie des Palestiniens vivent à proximité ou sont réfugiés à l’intérieur d’un monde arabe vaste et peuplé. Ils partagent une langue littéraire commune (et également la version moins formelle utilisée par les médias) et un glorieux héritage culturel. Leur langage parlé est très proche de ceux utilisés dans d’autres parties de ce que fut la Grande Syrie et pas très éloigné de ceux des pays voisins dans l’Orient arabe. Les échanges culturels sont faciles. Même les Arabes palestiniens qui échappèrent au nettoyage ethnique de 48 et restèrent en Israël en tant que minorité opprimée étaient capables de suivre les émissions radio du monde arabe. Réciproquement, un poème ou un roman écrit par un Palestinien de Haïfa peut être lu et apprécié par des millions de lecteurs de l’Océan atlantique au Golfe arabique.
De plus, du fait de "l’heure tardive" de la colonisation sioniste, au moment où elle eut lieu, elle se confronta à l’identité nationale arabe et à un nationalisme arabe naissant qui émergea à peu près au même moment.

Exceptionnellement, une entreprise de colonisation fut confrontée dès le début à un mouvement national émergent.
Remarquez la référence inquiète au nationalisme arabe et à son aspiration à une fédération régionale dans "le Mur de fer" de Jabotinsky. L’analogie que Jabotinsky fait entre le nationalisme arabe et le nationalisme italien d’avant 1870 est également tout à fait pertinente. En Italie, en plus de l’identité nationale pan italienne et du nationalisme qui n’avaient pas encore réussi l’unification politique, existaient des identités nationales distinctes et des patriotismes locaux : vénitien, toscan, romain, napolitain, sicilien etc. En fait, ils survivent encore aujourd’hui. De la même façon, dans le monde arabe, il y a deux niveaux d’identité nationale et de nationalisme.

En plus de l’identité arabe globale et de l’aspiration à une unification ou une fédération, il y a des identités et des patriotismes locaux : égyptien, irakien, syrien etc. et bien sûr palestinien, forgés par une expérience commune désastreuse et par le combat pour la survie et la victoire.

Il y a une certaine tension entre ces deux niveaux d’identité nationale, mais ils ne sont pas nécessairement antithétiques. Ils peuvent être compatibles ou même complémentaires. Alors que pour les gouvernements arabes et les élites au pouvoir l’unité arabe n’est qu’un vœu pieux, un véritable sentiment d’adhésion est très répandu parmi les masses. Et une composante cruciale de ce sentiment d’adhésion est la solidarité profondément ancrée envers les Palestiniens.

Toute conception valable d’une solution doit commencer par la compréhension de la nature du conflit. C’est une violente confrontation colonialiste entre deux nations qui ont pris forme à travers le conflit lui-même : d’une part une nation hébreu colonisatrice et un Etat colonialiste israélien et d’autre part une nation indigène arabe palestinienne et colonisée. La première est alliée aux puissances impérialistes qui dominent l’ensemble de la région. La seconde est une composante de la plus grande nation arabe de la région.

2/ SOLUTIONS, PRINCIPES ET CONDITIONS PREALABLES.

2.1 Principes normatifs

Si nous pensons à une solution du conflit, nous devons commencer sur le mode normatif. Cela n’a pas de sens d’essayer d’évaluer l’une ou l’autre des formules spécifiques proposées avant d’établir quelques principes généraux auxquels une solution vraiment juste doit répondre.

Dans divers autres Etats coloniaux faisant partie du même type de colonisation, les colonisateurs ont réussi à éliminer l’ensemble de la population indigène ou à la réduire à quelques vestiges relativement insignifiants. Le conflit entre colonisateurs et colonisés s’est achevé par la victoire écrasante et virtuellement complète des premiers et, en ce sens, était "résolu".

Une telle issue n’est pas vraisemblable dans le cas de l’Etat israélien. Bien sûr, l’Histoire suggère que les leaders sionistes d’Israël exploiteront toute possibilité de poursuivre l’expansion coloniale et de procéder au nettoyage ethnique. De plus, les plus audacieux d’entre eux tenteront vivement de créer de telles possibilités.

Mais, quelle que soit la limite réaliste de ce processus d’extension, l’Etat d’Israël se retrouvera toujours entouré d’Arabes, de la Nation arabe dont le peuple arabe palestinien est un élément constituant. Au bout du compte, ce conflit ne pourra être résolu que par une conciliation entre les deux groupes nationaux directement impliqués : les Arabes palestiniens et les Hébreux.

Notez que ce dont je propose de discuter ici est une solution plutôt qu’une série de palliatifs.

Bien sûr on peut faire plusieurs choses pour améliorer la situation actuelle difficile, qui cause de grandes souffrances à des millions d’êtres humains, en majorité des Palestiniens mais aussi des Israéliens. Je ne m’oppose certes pas à de telles mesures palliatives : au contraire je pense qu’il faut mobiliser l’opinion publique afin qu’elle les exige. Par-dessus tout, il faut exercer une pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’occupation militaire de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et des hauteurs du Golan.

Mais il ne faut pas confondre palliatifs avec succès des soins ni amélioration avec solution. Tant que les causes ne seront pas éliminées, le conflit persistera. Il est vraisemblable que toute amélioration ne sera qu’un leurre, suivi d’une autre flambée de violences.

Quels sont donc les éléments essentiels qu’une solution durable doit concevoir ?

- D’abord et avant tout, l’égalité des droits. Je ne parle pas ici seulement de l’égalité des droits individuels, cela va sans dire. Mais aussi, et c’est tout aussi important, l’égalité des droits collectifs, les droits nationaux pour les deux groupes nationaux réellement concernés : les Arabes palestiniens et les Hébreux israéliens.

C’est une condition minimale nécessaire parce que son absence, par définition, signifie que l’un des groupes sera défavorisé, faible et opprimé. Une oppression nationale conduit inexorablement à une lutte de libération, le contraire même d’une solution.

- Ensuite, le droit au retour : reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens dans leur patrie, droit d’être réhabilités et correctement indemnisés de leurs propriétés et moyens d’existence perdus.

C’est tellement évident que cela ne nécessite pas de justification sophistiquée. En fait, le seul argument contre est que cela mettrait en danger le "caractère juif" d’Israël ou, pour parler simplement, sa dimension ethnocratique d’Etat colonial. Mais accepter cet argument conduirait à capituler devant l’idéologie sioniste, ce qui me conduit au point suivant.

- Le troisième élément, et le plus décisif pour résoudre vraiment le problème, c’est la disparition de la cause fondamentale du conflit : l’entreprise de colonisation sioniste doit être éliminée. Cela signifie non seulement la désionisation d’Israël, mais aussi le rejet de l’affirmation sioniste que tous les Juifs, où qu’ils vivent, ont un droit sur « la terre d’Israël »

En effet, cette revendication entraîne non seulement une légitimation rétrospective de la colonisation sioniste passée, mais exige l’acceptation d’un prétendu droit perpétuel de continuer à « revenir », ce qui signifie nouvelle colonisation et nouvelle expansion.
Pareille revendication exclut toute possibilité de solution au conflit.

2.2 Deux Etats ? Un Etat ?

En principe, c’est-à-dire dans l’absolu, sans s’occuper des véritables réalités comme l’équilibre actuel des forces, une solution équitable satisfaisant aux principes que je viens d’évoquer pourrait être recherchée dans différents cadres d’Etats institutionnels.

On peut imaginer la Palestine partagée en deux Etats ; Israël et un Etat palestinien arabe. On peut imaginer un seul Etat sur l’ensemble de la Palestine. Et on peut penser à d’autres options dont je parlerai plus tard. Mais il est clair que le point crucial n’est pas le nombre d’Etats mais de savoir si les principes essentiels d’une véritable solution sont satisfaits. Pour qu’une solution à deux Etats puisse y satisfaire, il faudrait qu’Israël soit désionisé. Ce serait la transformation d’un Etat colonial ethnocratique en un Etat démocratique composé de tous ses habitants. De la même façon il faudrait un partage et une répartition équitables des ressources, y compris la terre et l’eau. Et aucun de ces deux Etats n’aurait le droit d’exercer sa suprématie sur l’autre.

D’un autre côté un Etat unique devrait être non seulement démocratique (et donc laïque) mais avoir une structure constitutionnelle qui reconnaisse les deux groupes nationaux et leur donne les même droits sur le plan national et le même statut.

Mais en fait, aucune de ces solutions n’est réalisable pour le moment. En vérité aucune véritable solution n’est possible, à court ou moyen terme, à cause de l’énorme disparité dans l’équilibre des forces. Les Palestiniens, écrasés économiquement, mal armés, peu soutenus moralement sur le plan international, font face à un Etat d’Israël moderne, capitaliste et dominant, à une superpuissance nucléaire au pouvoir régional hégémonique, ogre local et partenaire junior des hyper puissances mondiales. Tant que durera un déséquilibre des forces aussi énorme, tout accord imposera forcément des conditions d’oppression très dures au côté le plus faible. Attendre autre chose serait complètement irréaliste.

Dans de telles circonstances, toute solution impliquant deux Etats ne peut être qu’une mascarade : pas deux vrais Etats souverains (ne parlons même pas de deux Etats égaux) mais un puissant Etat israélien dominant un patchwork d’enclaves palestiniennes démantelées, ressemblant aux réserves indiennes, sous le contrôle d’élites corrompues qui seront les petits copains d’Israël.

C’était la véritable perspective lors des accords d’Oslo en 1993 et, depuis, la situation a continué à se détériorer fortement, sous l’effet de métastase virulente et maligne de la colonisation israélienne et avec l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne, victime des assauts d’Israël et de l’étranglement international.

Face à l’évidente impossibilité actuelle de la solution des deux Etats, beaucoup de gens sincères et de bonne volonté se sont retournés vers la formule « un Etat ».C’est, dans l’absolu, une proposition séduisante. Néanmoins, l’ennui c’est qu’une véritable solution égalitaire d’un Etat unique n’est pas plus réalisable à court ou moyen terme que la solution des deux Etats et exactement pour la même raison. Vu le véritable déséquilibre du pouvoir, un seul Etat incluant la Palestine entière ne sera qu’une extension de l’occupation et de la suprématie militaire d’Israël.

Un défaut commun aux deux formules est qu’elles sont confinées à « la boite » de la Palestine, le territoire du mandat britannique de 1923 à 1948. Elles diffèrent dans la mesure où la première propose de refaire le partage, alors que la seconde propose un resserrement en une seule entité politique distincte.

Ironiquement, comme je l’ai mis en relief dans le 1.5, cette boite était du sur-mesure pour la colonisation sioniste, racine du conflit. Peut-elle être utile à la solution du conflit en tant que conteneur isolé ?

2.3 Solution dans un cadre régional

Aucun équilibre des forces n’est éternel. Une véritable solution du conflit deviendra possible à long terme, lors d’un changement dans l’équilibre des forces actuel. Il est impossible de prévoir exactement comment ce changement pourrait arriver. Mais il paraît tout à fait certain qu’il ne se confinera pas à la relation entre Israël et les Palestiniens, alors que rien d’autre ne bougerait.

Cela impliquera forcément des mouvements tectoniques dans toute la région ainsi que des bouleversements à l’échelle mondiale.
L’interconnexion de deux processus se renforçant mutuellement sera une nécessité vitale pour un changement du rapport des forces.

D’abord le déclin de la domination de la puissance américaine et tout particulièrement la capacité des Etats-Unis à soutenir l’hégémonie régionale d’Israël sans que cela implique des coûts économiques et politiques inacceptables.

Deuxièmement, une transformation sociale, économique et politique de l’Orient arabe, menant à un degré d’unification de la Nation arabe, le plus vraisemblable étant sous la forme d’une fédération régionale.

Cela n’a guère de sens de discuter d’une solution du conflit israélo-palestinien comme s’il avait lieu dans une boite palestinienne isolée, -divisée ou en un seul morceau, - en ignorant le reste de la région et en ne prenant pas en compte la transformation sans laquelle cette solution serait dans tous les cas impossible.

Mise dans son contexte régional approprié, notre vision d’une solution implique un changement de regard. Ce serait une erreur d’en rester à des données figées une fois pour toutes, Israël dans les frontières de 48 à 67 ou la Palestine dans ses frontières de 1923 à 1948.

En réalité les données de base sont humaines : les deux groupes nationaux qui sont directement impliqués dans le conflit et qui continueront à exister pendant encore très longtemps, les Arabes palestiniens et les Hébreux israéliens. La tâche sera alors de faire vivre ces deux groupes dans une union nationale ou dans une fédération. Les frontières deviendront des démarcations internes à la Fédération et seront tracées selon les besoins. Nous ne pouvons pas prévoir ce qu’elles seront, mais il n’est pas du tout obligatoire qu’elles soient conformes à celles qui ont existé jusqu’à maintenant.

Il serait ridicule de prétendre que, pour le moment, les perspectives sont radieuses.

La domination américaine semble encore solide, tout comme le soutien américain à son exécutant régional. L’Orient arabe est dirigé par des élites corrompues et lâches. Il ne s’est pas encore remis de la défaite du nationalisme arabe laïque. Même sous sa forme nassérienne relativement progressiste, le nationalisme arabe a été incapable de dépasser ses limites petites bourgeoises et de mobiliser un mouvement de masse démocratique, actif et auto organisé.

La dégénérescence qui suivit sous les régimes Bath, rivaux et meurtriers, prétendant soutenir le socialisme et l’unité arabe, a abouti à donner une mauvaise réputation à ces deux idéaux dans la région. L’émergence ultérieure de l’Islamisme fut porteuse d’une fausse promesse. Alors qu’il se pose comme un défi à la domination occidentale, il est rétrograde et intrinsèquement incapable d’être porteur de progrès.

Il ne peut pas plus être une force de rassemblement. Au contraire, il sème la discorde entre les Sunnites et les Chiites et n’exerce aucun pouvoir d’attraction sur les non Musulmans et les Arabes laïques, y compris les Palestiniens, sans même parler des Hébreux.

Alors qu’il y a peu de raisons d’espérer à court terme, il y a quelques signes porteurs d’espoir pour un plus lointain avenir. La puissance économique et politique de l’Amérique, apparemment robuste, est en proie à des symptômes de déclin. La puissance militaire américaine ne sert pas à grand-chose et se fixe des objectifs trop ambitieux.

Entre temps, un nouveau mouvement progressiste radical anti-mondialisation acquiert quelques forces vives dans certains pays du Tiers-Monde. Il doit encore prendre son essor dans l’Orient arabe. Mais beaucoup dépend de nous tous.

Ce document est diffusé par Pierre-Yves Salingue, publication française avec l’accord de l’auteur.

Les notes et les annexes ne sont pas intégrées dans cette version française.

Elles sont consultables, de même que l’original (en anglais) sur le site Barry Amiel & Norman Melburn Trust.