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Comment le Hezbollah a déjoué le piège tendu

Par Scarlett HADDAD - L’Orient Le Jour

dimanche 18 mai 2008

Selon Scarlett Haddad, journaliste à l’Orient le Jour, la majorité avait tendu un piège au Hezbollah et pensait provoquer une intervention internationale en sa faveur. Elle raconte comment la milice chiite a su déjouer la manoeuvre.

En une nuit orageuse, l’équation politique dans la capitale a été bouleversée. Et chaque partie est en train de refaire ses calculs. Les partisans de l’opposition, plus particulièrement les hommes du Hezbollah et du mouvement Amal, mais aussi les groupes sunnites évoluant dans cette sphère, ont pris le contrôle des secteurs ouest de la capitale, après des combats rapides autour des permanences du Courant du futur.

Visiblement, les partisans de l’opposition ont agi selon un plan bien précis avec des directives très strictes et claires :

pas question de procéder à des actes de vengeance et à des règlements de comptes. Lorsque la permanence est investie, les personnes qui s’y trouvent son invitées à se retirer et sont remises aux unités de l’armée, alors que les locaux ne sont pas occupés par l’opposition, mais remis aussi aux autorités locales. L’opposition qui a établi et exécuté ce plan a surtout voulu éviter les exactions et surtout donner matière aux accusations du genre : les chiites envahissent la capitale.

Selon des sources proches de certains pôles de l’opposition, ceux-ci auraient même fait savoir à leurs interlocuteurs militaires et diplomatiques qu’ils avaient pour l’instant quatre lignes rouges : le domicile de Rafic Hariri, à Koraytem, où se trouverait son fils, le chef du Courant du futur, le domicile du chef du PSP Walid Joumblatt, à Clemenceau, le siège du mufti Mohammad Rachid Kabbani à Basta et le Grand Sérail où se trouverait le Premier ministre Fouad Siniora.

Mais ces lieux sont quand même sous le contrôle indirect des forces de l’opposition, qui utilisent cette nouvelle donne comme une carte de pression sur le gouvernement et la majorité en général.

Les proches de l’opposition révèlent que l’opération menée sur le terrain dans la nuit de jeudi à vendredi a pris la majorité et le gouvernement de court. Selon eux, en prenant ses dernières décisions jugées inacceptables par le Hezbollah et Amal lundi soir, le gouvernement misait sur les déclarations répétées de Hassan Nasrallah de rejet de toute discorde entre sunnites et chiites, ainsi que sur le discours dans lequel il avait affirmé, après les incidents de Mar Mikhaël, que l’opposition « est prête à donner un millier de martyrs, mais elle ne se laissera pas entraîner dans une guerre civile ni dans une confrontation avec l’armée ».

De la sorte, le gouvernement croyait pouvoir prendre des décisions aussi importantes contre le Hezbollah et que ce dernier se contenterait de communiqués virulents, voire d’une manifestation, mais n’oserait pas entreprendre une quelconque opération sur le terrain. Et même s’il devait le faire, il serait entraîné dans des combats de rue sanglants et violents qui dureraient au moins deux ou trois jours et permettraient au gouvernement d’ameuter la communauté internationale.

Selon ces mêmes sources, le gouvernement avait ainsi bien étudié son timing, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité destinée à étudier le rapport de Terjé Roed-Larsen sur l’application de la résolution 1559. Il ne serait donc pas nécessaire de convoquer une réunion spéciale du Conseil de sécurité, mais de profiter de celle qui était déjà prévue, pour alerter la communauté internationale et demander à ceux qui veillent sur la mission de la Finul d’élargir les responsabilités de celle-ci pour la pousser à se déployer à Beyrouth. Cette situation aurait été couronnée par la prochaine visite du président américain George Bush dans la région et sa rencontre prévue à Charm el-Cheikh la semaine prochaine avec le Premier ministre Fouad Siniora.

Les milieux de l’opposition estiment ainsi que les forces du 14 Mars avaient choisi cette période en connaissance de cause pour marquer un coup décisif contre elle. Mais que leur plan n’a pas fonctionné comme prévu parce que Hassan Nasrallah avait mis au point un plan d’action rapide, qui a pris ses adversaires de court. De plus, l’opposition a pris soin de remettre toutes les positions conquises à l’armée et de laisser ses alliés sunnites sur le terrain pour « démentir toute volonté d’invasion chiite de la capitale » de sa part.

Pour quelle raison se déploierait donc la Finul ou toute autre force internationale à Beyrouth, puisque les combats ont cessé et que l’armée y est déployée ? De plus, les sources de l’opposition estiment que la réaction de la communauté internationale n’a pas été à la hauteur de l’attente des forces du 14 Mars. Mais de toute façon, estiment ces mêmes milieux, ce qui est fait est fait, et maintenant il faut passer à la négociation.

Ces sources révèlent aussi que le président de la Chambre Nabih Berry a proposé à Walid Joumblatt de lui envoyer une voiture pour lui permettre de sortir sous bonne garde de chez lui et de se rendre là où il le désire, mais que ce dernier a refusé l’offre, préférant rester à Clemenceau.

Il reste que l’opposition ne croit plus à une possibilité d’utiliser la carte militaire ailleurs, et le scénario pour elle est de pousser le gouvernement à accepter les conditions de Nasrallah et de revenir à la table de dialogue pour discuter de la crise politique. Une utopie, alors que le terrain bouge encore ? En fin de compte, estiment les sources de l’opposition, le dialogue reste la seule voie de salut...

Scarlett Haddad