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Interpellation (ndlr)

Lettre ouverte à Madame la Secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme.

par Stéphane Hessel, Bernard Ravenel, Brahim Senouci

jeudi 13 mars 2008

Madame la Ministre, vous êtes-vous inscrite aux abonnés absents le 10 mars dernier ?

Le récent séjour du Colonel Kadhafi en France vous a visiblement troublée. Ce trouble était légitime, eu égard au passé très récent du personnage et aux crimes auxquels son nom est associé. Le Président Sarkozy a expliqué qu’il avait choisi de le recevoir parce que le personnage avait évolué, qu’il avait versé d’énormes compensations financières aux familles des victimes des attentats organisés par ses services, qu’il avait renoncé définitivement à la fabrication d’armes de destruction massive et qu’il participait dorénavant et de manière active à la « lutte contre le terrorisme ». Ces arguments ne sont pas totalement irrecevables mais n’ont pas dissipé totalement votre malaise. D’ailleurs, il faut bien dire que plus ce séjour durait, plus l’embarras des autorités était grand et plus on trouvait l’invité encombrant. Vous n’avez pas dû être la seule à pousser un soupir de soulagement quand il a enfin quitté le sol français.

Le 10 mars prochain, la République a accueilli, pour la première fois sous la présidence de M. Sarkozy, un chef d’Etat étranger en visite d’Etat. Il s’agit du Président d’un Etat qui détient dans ses prisons plus de 11.000 prisonniers politiques dont une centaine de femmes et près de quatre cents enfants. Près de cinq mille de ces prisonniers ont été condamnés alors que quatre mille cinq-cents autres sont en attente d’être jugés. Près d’un millier, enfin, sont en « détention administrative » et, à ce titre, peuvent attendre un jugement indéfiniment. Cet Etat commet des exécutions extra judiciaires, ce qu’une juriste française nomme des « condamnations à mort préventives ». Cet Etat torture, vole des terres, détruit méthodiquement des cultures, des villages. Cet Etat érige un Mur sur des terres qui ne lui appartiennent pas, un Mur qui engendre spoliations, arrachage d’oliviers, destructions de maisons, un Mur qui détruit l’environnement et défigure le paysage, un Mur qui annexe chaque jour un peu plus de territoires. Cet Etat fait fi de toutes les obligations juridiques auxquelles il doit théoriquement se soumettre. Il ignore superbement les dizaines de résolutions des Nations Unies qui lui enjoignent de se conformer au droit. Il bafoue les Conventions de Genève. Il traite par le mépris l’Avis de la Cour Internationale de Justice qui l’appelle à détruire le Mur et à indemniser les populations qui en ont subi les effets néfastes. Cet Etat organise des punitions collectives en organisant un siège d’un autre âge sur des populations civiles. Cet Etat empêche depuis des décennies l’émergence d’un Etat souverain à ses côtés, s’opposant ainsi à la philosophie fondamentale qui a présidé à la constitution des Nations Unies, celle qui garantit aux peuples le droit à disposer d’eux-mêmes.

Contrairement à son prédécesseur libyen, le représentant de cet Etat que la France s’apprête à accueillir n’a fait nul acte de contrition, ne reconnaît aucun de ses forfaits et persiste plus que jamais dans son œuvre de destruction.

Les Champs-Elysées seront pavoisés aux couleurs de cet Etat en mars prochain.

Serez-vous du comité d’accueil, Madame la Ministre ? Donnerez-vous l’accolade ? Ce que vous avez refusé à un fauteur de guerre repenti, l’accorderez-vous à un fauteur de guerre en exercice ?

Gageons que non et faisons confiance à votre sens de la justice qui ne saurait s’accommoder des crimes des uns, sans être révulsée par ceux des autres. Gageons que vous faites vôtre la Déclaration des Droits de l’Homme dont c’est cette année le soixantième anniversaire, déclaration qui, après la proclamation liminaire de l’égalité de tous les hommes, rappelle en ses articles 15 et 17 respectivement que « Tout individu a droit à une nationalité » et que « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».

Pour ce qui nous concerne, citoyens épris de justice, nous protestons contre cette visite. Peut-être nous accompagnerez-vous de votre compréhension, même muette…

Stéphane Hessel, Bernard Ravenel, Brahim Senouci