Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Les racines historiques de l’alliance impérialo-sioniste

Source : http://www.al-moharer.net/

Les racines historiques de l’alliance impérialo-sioniste

Par Abdul Wahhab Al-Kayyali

jeudi 31 janvier 2008

L’impérialisme, en tant que système politico-économique fondé sur le concept de l’inégalité matérielle et morale entre les nations, dont découle la soumission et l’exploitation du gouverné par le gouvernant au moyen du recours à la force oppressive, ainsi qu’à d’autres méthodes, est nécessairement un phénomène raciste. Cela est mis en évidence par l’histoire de l’impérialisme à travers le monde, et sans une telle vision fondamentale, aucune lecture correcte du racisme et de l’histoire contemporaine n’est possible

L’évidence historique montre que le sionisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est né dans le cadre de la pensée et des projets impérialistes des premières décennies du dix-neuvième siècle, en Europe, et qu’il a été adopté avec enthousiasme par des intellectuels et des activistes juifs influencés par les idées chauvines et racistes prédominant vers la fin de ce siècle.

Le dénominateur commun était la recherche de solutions aux problèmes et aux besoins de l’Europe au détriment d’autres peuples. Dans le cas d’espèce : au détriment des Arabes.

Le recours au mot "alliance" fait référence au partenariat et à la nature du lien entre les deux parties, et en aucun cas à une quelconque parité entre les deux, étant donné qu’il est évident que le sionisme n’est qu’un des scions de l’arbre de l’idéologie impérialiste.

Les particularités de l’idéologie et de l’entité sionistes tendent à en confirmer la nature raciste, bien loin de l’infirmer.

Le sionisme, en tant qu’idéologie politique moderne et que mouvement organisé efficace, ne peut être conçu que comme une solution artificielle et temporaire aux trois défis concomitants auxquels l’Europe est confrontée au dix-neuvième siècle, époque de l’apogée de l’impérialisme occidental :

1 – La croissance et l’expansion de l’impérialisme européen, qui nécessitait la recherche de nouvelles sources de matières premières et de débouchés pour les produits transformés, ainsi que de sécuriser les voies de communication, tant commerciales que militaires.
L’importance des territoires arabes, en tant que seuils de l’Afrique et que pont vers l’Asie a été mise clairement en évidence par la campagne de Napoléon en Egypte (1797-1797) et par les "dangers" qu’est censée avoir représentés la tentative de Mohammad Ali de former un Etat indépendant englobant l’Egypte et les pays arabes.
Ainsi, le besoin d’étouffer tout état indépendant en devenir, dont le danger avait redoublé, pour l’impérialisme, après que se fut répandu le sentiment nationaliste arabe, ne cessa d’être de plus en plus prégnant, tandis que l’Empire ottoman, qualifié d’"Homme malade de l’Europe", ne cessait de s’enfoncer dans la désintégration.

2 – L’échec du libéralisme européen et des idées d’égalité et de démocratie à intégrer et à assimiler les juifs, conjugué à la crise du capitalisme en Europe orientale. L’adoption de l’industrialisation a conduit à une perte de leur foi religieuse chez un grand nombre de juifs, qui ne parvenaient pas à s’adapter à la transformation du système économique féodal. Il est important de noter que l’"exclusivisme" juif avait été, par le passé, un facteur qui avait contribué au phénomène de l’antisémitisme.

3 – L’expansion du nationalisme agressif et chauvin, en Europe, qui mit l’accent sur les fondements raciaux de l’Etat nation, ainsi que le sentiment de supériorité raciale et la nécessité ressentie d’une expansion territoriale (Lebensraum), furent dérivés vers des colonies et des possessions outre-mer.
La supériorité, l’exploitation et la domination furent portées au niveau d’une mission sacrée, civilisationnelle, sous l’égide de la notion du « fardeau de l’Homme blanc ».

Les deux premiers de ces trois défis étaient connus sous la dénomination de « Question d’Orient ou de « Question syrienne » et de « Question juive ».

Les rivalités intereuropéennes et la recherche fébrile de colonies entraînèrent des guerres mondiales et des révolutions, et devinrent la « question coloniale ». La première question incita les principaux dirigeants impérialistes à proposer l’idée consistant à créer un Etat colonial-client en Palestine, visant originellement à empêcher la réalisation de l’unité et de l’indépendance de cette région stratégique du monde, et à servir les intérêts de ses promoteurs.

Les événements du dernier quart du dix-neuvième siècle conduisirent à l’élaboration d’un consensus dans la pensée des principaux hommes politiques impérialistes occidentaux, avec la coopération de juifs occidentaux millionnaires et d’antisémites du monde entier, en faveur du sionisme et de l’émigration des juifs vers la Palestine, et de la création, en Palestine, d’un Etat juif.

L’interaction entre les défis et la persistance des problèmes et des questions alimentèrent le dessein impérialiste et dirigèrent les événements vers l’invention de « solutions » au détriment des peuples du Tiers-Monde.

Vers la fin du dix-huitième siècle, l’intérêt des puissances occidentales pour la région arabe s’intensifia, tandis que l’Empire ottoman vieillissant dépendait de plus en plus des pouvoirs européens, qui obtenaient des capitations [des privilèges économiques], des pied-à-terre et des sphères d’influence au sein de l’Empire ottoman même.

Ces puissances s’attachèrent à établir des relations directes avec les diverses populations et les diverses sectes religieuses dans cette région du monde. Ainsi, la France devint-elle la protectrice des communautés catholiques en Syrie, au Liban et en Palestine, tandis que les chrétiens orthodoxes se retrouvèrent placés sous la protection de la Russie.

C’est durant sa campagne militaire en Palestine, en 1799, que Napoléon, motivé par ses besoins militaires, puis ensuite par son ambition de se gagner la loyauté des juifs, en tant qu’agents dans le monde entier, publia son appel à la reconstruction du Temple de Jérusalem, et au « retour » des juifs en Palestine, à des fins politiques. La campagne napoléonienne elle-même avait suscité l’intérêt britannique pour la Palestine, en raison du fait qu’elle représentait une menace pour la route britannique terrestre vers l’Inde.

Quand Mohammad Ali, d’Egypte, entrepris la réalisation de son projet ambitieux de modernisation de l’Egypte et d’édification d’un puissant Etat indépendant comprenant l’Egypte, la Grande Syrie et la Péninsule arabique, durant les premières décennies du dix-neuvième siècle, le gouvernement britannique adopta une politique d’interventions militaires directes, et il joua un rôle crucial dans la défaite des armées d’Ibrahim Pacha (lequel était le fils de Mohammad Ali), qui durent faire retraite, vaincues, et se replier en Egypte.

L’avancée militaire de Mohammad Ali en Syrie ouvrit la Question de Syrie (une question qui reste encore aujourd’hui synonyme des projets et des efforts occidentaux visant à empêcher la réalisation de l’unité arabe). De nouvelles politiques britanniques furent formulées. Une des clés de cette nouvelle approche était désormais la Palestine, les juifs représentant un constituant fondamental de cette pointe de flèche.

En 1838, les Britanniques décidèrent d’installer un agent consulaire à Jérusalem, et, l’année suivante, ils ouvrirent le premier consulat européen dans cette même ville.

Durant les années 1840 et 1950, le gouvernement britannique, qui n’avait pas de protégés qui lui fussent propres, établit une connexion avec les juifs vivant en Palestine (soit, au total, environ 9 700 personnes), ainsi qu’avec les Druzes, au Liban et qu’avec les nouvelles églises (missionnaires, ndt) protestantes. "Derrière la protection du commerce et des minorités religieuses, il y a les intérêts politiques et stratégiques fondamentaux des puissances". [1]

Dès le début, la présence britannique fut associée à la promotion des intérêts juifs. « La question de la protection britannique des juifs devint, toutefois, et resta, des années durant, le principal sujet de préoccupation du consulat britannique de Jérusalem ». [2]
La formulation et le cadre de la politique impériale britannique dans la région ont été excellemment décrits par le Premier ministre d’alors, le Vicomte Palmerston.

Dans une missive adressée à l’ambassadeur britannique à Constantinople, expliquant pourquoi le Sultan ottoman devait encourager l’immigration des juifs en Palestine, Palmerston écrivait : « … le peuple juif, pour peu qu’il revienne sous la sanction, sous la protection et à l’invitation du Sultan, permettrait de maintenir sous contrôle tout projet voyou à venir de Mohammad Ali lui-même, ou de son successeur ». [3]

Il est tout à fait remarquable que Palmerston utilisât le terme de « peuple juif » en faisant ainsi référence à une unité racialo-religieuse, étant donné qu’il n’y avait aucun autre type de lien entre les juifs, à une époque où même les juifs les plus éminents parlaient de « communautés » juives, alors même que le mouvement juif assimilationniste – la Haskalah -, ne cessait de progresser.

A noter également le recours au verbe « revenir », en référence à des origines raciales erronées – comme si l’Histoire s’était arrêtée depuis deux mille ans – et en faisant de souvenirs religieux un titre de propriété, avec un mépris total, pour ne pas dire en totale contradiction à la volonté des habitants du pays.

Tout cela précéda la conversion du père du sionisme, ainsi que la naissance de ce mouvement, de plus d’un demi-siècle. L’idée de Palmerston ne représenta nullement un coup de tonnerre dans le ciel de la politique impériale britannique. Cette idée particulière, de créer un Etat colonial juif de peuplement en Palestine, afin de servir les intérêts impériaux et une variété de prétentions morales, était partagée et soutenue par plusieurs Premiers ministres, d’hommes d’Etat, de chefs militaires et d’aventuriers britanniques impérialistes.

Parmi ceux-ci, nous citerons Palmerston, Shaftesbury, le colonel Gawler, Disraeli, Ceci Rhodes ainsi que le Colonel C.H. Churchill, Lawrence Oliphant, Joseph Chamberlain, le général Smuts [4] et, enfin, A.J. Balfour et Winston Churchill, pour n’en nommer que quelques-uns.

Beaucoup de ces épigones du sionisme n’étaient en rien des philosémites, comme on le suppose trop généralement.

La position pro-sioniste de Balfour avait été déterminée par l’argument avancé par Herzl devant une Commission (parlementaire) royale britannique sur l’immigration des juifs en Grande-Bretagne (1902) – argument selon lequel le détournement des juifs vers la Palestine était la solution à ce problème britannique.

Lawrence Oliphant donne un résumé très clair de la contradiction entre les prétentions moraux et idéalistes des sionistes gentils (= non-juifs) et leurs motivations impérialistes réelles. D’après le biographe de Lawrence, cet homme « partageait le plus gros de l’antisémitisme primesautier de son époque » [5]

Un exemple plus récent est fourni par le président Richard Nixon, qui donna plus d’armes et d’argent à Israël que tous les présidents américains avant lui pris ensemble, mais qui, d’après des articles de presse au sujet des enregistrements de la Maison Blanche, pouvait parfois s’abaisser à proférer des remarques méprisantes au sujet des juifs, durant les réunions à huis clos de son cabinet personnel.

Les graines sionistes de l’impérialisme britannique ne germèrent pas immédiatement : il leur fallut attendre les ondées des intérêts impérialistes plus larges dans la région : ouverture du Canal de Suez, dans les années 1860, occupation britannique de Chypre et de l’Egypte dans les années 1870 et 1880, respectivement. Un coup de fouet supplémentaire vint les réveiller : la flambée d’antisémitisme en Europe (tout d’abord orientale, puis occidentale).

L’ascension de l’influence occidentale « amena les communautés juives des pays occidentaux à jouer un rôle de plus en plus important, en Terre Sainte » [6]. Ce rôle était compatible avec les limites des intérêts placés sous la protection des privilèges (capitulations) accordées par le Sultan de Turquie aux puissances occidentales. Il était financé, et géré, par de riches juifs d’Europe occidentale, étroitement associés aux cercles dirigeants de cette région du monde.

Les premières organisations à faire la promotion du programme de colonisation projeté furent britanniques. Elles étaient inspirées par la ligne de pensée Palmerston-Shaftesbury. Il s’agissait notamment de la Société anglo-étrangère pour la promotion de la restauration de la nation juive en Palestine [British and Foreign Society for Promoting the Restoration of the Jewish Nation to Palestine], de l’Association pour la promotion des colonies juives en Palestine [The Association for Promoting Jewish Settlements in Palestine] et de la Société de promotion du travail agricole juif en Terre Sainte [The Society for the Promo¬tion of Jewish Agricultural Labour in the Holy Land].

Le journal Jewish Chronicle fut fondé, et ne tarda pas à devenir « un véhicule important de la popularisation de la colonisation de la Palestine, dans les milieux juifs » [7].

En 1861, la Société juive londonienne pour la colonisation de la Terre sainte [The London Hebrew Society for the colonization of the Holy Land] et l’Alliance Française créèrent l’école d’agronomie Mikveh Israel près de Jaffa, manifestement en vue de l’installation de juifs en Palestine, sur une échelle considérable.
Richard Stevens expliqua ce soudain regain d’intérêt, en France : « A la suite de la guerre de Crimée, on assista, de manière générale, à un intérêt renouvelé pour l’extension de l’influence française au Levant et divers publicistes politiques se firent les champions non seulement de la protection d’une province chrétienne autonome au Liban, mais aussi d’une province autonome juive de Palestine » [8].

A ce stade, plusieurs écrivains britanniques publièrent des libelles faisant la promotion de l’idée d’une colonisation de peuplement juive de la Palestine. Les Hebrew Melodies de Byron, le roman Daniel Deronda de George Eliot et le roman Tanored de Disraeli véhiculaient une touche romantique, et cela stimula l’acceptation par l’opinion publique de l’idée inspirée par les seuls intérêts égoïstes de l’Empire britannique, d’un « retour » des juifs en Palestine.

Ces prises de position, ces attitudes et ces initiatives occidentales fournirent le contexte indispensable à l’émergence du sionisme.
Comme nous l’avons déjà indiqué, deux développements survenus en Europe durant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle ont fourni les conditions nécessaires et suffisantes à la naissance de l’idée sioniste, marquée au coin de l’impérialisme, qu’elles implantèrent dans les esprits juifs au point de les faire passer pour une évolution juive à la fois naturelle et venue de l’intérieur d’eux-mêmes. Le premier de ces développements fut le résultat, direct et indirect, de la montée intellectuelle et politique du nationalisme chauvin européen.

Ce n’est pas un hasard si le premier propagateur de l’idée nationale juive, en tant qu’idéologie moderne, Moses Hess, intitula son ouvrage Rome et Jérusalem (1862), dans une allusion directe au mouvement nationaliste italien – un ouvrage dans lequel il fit siens les concepts raciaux, ainsi que les théories raciales pseudo-scientifiques en vogue au dix-neuvième siècle…

Hess y soulignait que les juifs devaient éviter, par-dessus tout, l’assimilation, et réaffirmer leur unicité en « reconstituant leur centre national en Palestine ».
Malgré ses tentatives de logique, Hess, à l’instar de la plupart des penseurs sionistes, trahit les traits intrinsèquement superstitieux et messianiques de ce qui, la plupart du temps, n’est qu’un sionisme agnostique, quand il parle d’une imminente victoire de l’idée juive, se faisant ainsi le héraut du « Shabbat de l’Histoire ».

Ce n’est pas l’impact immédiat produit par le livre ‘Rome et Jérusalem’ qui est d’une importance historique primordiale, mais bien plutôt le climat intellectuel et politique qui l’a produit. Pour les fondateurs intellectuels et politiques du sionisme, la realpolitik des hommes d’Etat occidentaux était un idéal formidable, et celle de Bismarck, particulièrement carabinée, les inspira, littéralement.

Le deuxième développement qui mit en avant l’idée sioniste, ce furent les pogromes survenus en Russie, en 1881. Ces pogromes entraînèrent un exode massif de juifs vers l’Europe de l’Est et de l’Ouest, et ils causèrent l’effondrement du mouvement d’assimilation de la Haskala [ ère des Lumières, chez les juifs, ndt].

Le supplanta un nouveau mouvement, Hibbath Zion (Les Amoureux de Sion), inspiré par le pamphlet Auto-Emancipation, publié par Leo Pinsker en 1882. Des sociétés furent fondées, dans les centres juifs, afin de débattre de la question de l’installation en Palestine, vue sous l’angle d’une perspective immédiate et concrète, et de refaire de l’hébreu une langue vivante. Les premiers colons juifs appartenaient à une organisation d’étudiants juifs russes, connue sous le nom de Bilu, qui avait été fondée, à Kharkov, dans le but spécifique de coloniser la Palestine.

Herzl et la montée du sionisme

En dépit de l’éclosion, comme champignons après la pluie, des organisations juives à orientation colonialiste, aucun leadership central ne se dessinait. Le flux continu d’immigrants juifs en Europe occidentale amena l’antisémitisme et intensifia l’intérêt des juifs occidentaux les plus influents pour le sort des juifs d’Europe orientale.

Une famille juive célèbre, les richissimes Rothschild, finança une tentative de réduire l’immigration juive en Europe occidentale en détournant ce flux d’immigrés juifs vers la Palestine ; ainsi, les conséquences redoutables [pour cette célèbre famille…, ndt] de l’antisémitisme furent évitées, et la juiverie fut alignée sur les intérêts impérialistes expansionnistes au Moyen-Orient, durant la période postérieure à l’ouverture du canal de Suez [9].
Un jeune juif viennois, journaliste de profession, nommé Théodore Herzl, allait fournir le leadership organisationnel et politique du nouveau mouvement.

Ce qui convertit Herzl, d’indifférent à sa judéité qu’il était, à l’activisme sioniste, ce fut l’affaire antisémite, dite Affaire Dreyfus, qui éclata en 1894.
En 1896, son ouvrage Der Judenstaat [L’Etat juif] suscita l’intérêt d’activistes juifs dans diverses régions du monde occidental. Ce livre traitait de la situation des juifs, et il avançait l’argument que ce n’était qu’au moyen de l’obtention d’une nationalité, sur une terre leur appartenant exclusivement, que la Question juive pourrait être résolue.

L’année suivante, Herzl fut en mesure de réunir le Premier Congrès sioniste, à Bâle, en Suisse, en août 1897, et de créer l’Organisation Sioniste Mondiale [World Zionist Organisation]. Herzl en fut élu président, et son programme très soigneusement formulé déclarait que le sionisme avait pour objectif « un foyer national publiquement reconnu et garanti par la loi, en Palestine » [pour les juifs, bien sûr… ndt] – un foyer à obtenir au moyen de l’organisation, de la colonisation et de la négociation, sous le parapluie des puissances impérialistes.

Les mots ne suffisent pas à décrire l’importance qu’eurent les idées et les effets des efforts de Herzl sur le mouvement sioniste. En tant que père fondateur, il laissa son empreinte sur toute la structure de ce mouvement, et on peut dire qu’il l’a influencé plus qu’aucun autre de ses dirigeants.

Une lecture de ses œuvres, et l’étude de son cadre de pensée et de ses modes d’action, ainsi qu’une analyse du congrès de Bâle, sont particulièrement révélateurs, en particulier à la lumière de ses Mémoires autobiographiques [Diaries], dans lesquels il enregistre tout, méticuleusement et candidement [10].
Ses idées, ses stratégies et ses méthodes eurent un impact incroyable sur la pensée et sur l’action sionistes, au point de devenir des caractéristiques fondamentales de ce mouvement.

Le sionisme herzélien était un avatar de la Question juive et de la vision qu’avait Herzl d’une solution à cette Mère de Toutes les Questions dans le cadre d’une alliance avec les puissances impérialistes dominantes telles qu’elles avaient été coulées dans le moule par les idéologies nationalistes/racistes des divers mouvements et associations européens.

Pour Herzl, ces associations étaient à jamais incapables de tolérer les juifs, lesquels étaient aliénés par leur particularisme et leur non-conformisme, et cela fut la base tant de l’antisémitisme que du déracinement des juifs.

La solution ne pouvait en aucun cas être la réforme desdites sociétés, au moyen de notions telles la liberté et l’égalité, ni, pour les juifs, la perte de leur identité et de leur exclusivisme, mais bien plutôt la prise de conscience de leur conformité, sur « une base nationale », et l’alignement de l’Etat-nation juive envisagée, qui devait être établie sur un territoire à cent-pour-cent juif, à l’aide des puissances européennes, dont le parapluie et le patronage étaient requis pour faire apparaître cet Etat, ainsi que pour le protéger, par la suite, en retour des services qu’ils rendaient auxdites puissances européennes, contre et au détriment de tierces-parties…

La relation entre les puissances européennes et l’Etat-colon sioniste proposé était conçue sur une base impérialo-colonialiste. Nonobstant ce fait sous-jacent, le colonialisme sioniste avait des nuances propres, qui, à leur tour, le rendent plus anomal, ou plus extrémiste.

La première de ces nuances tenait au fait que, si les colonialistes européens étaient l’extension d’une identité nationale et d’un Etat déjà établis, les colonialistes juifs aspiraient, quant à eux, à forger une nation ou une identité nationale au travers de l’acte de colonisation lui-même. A la différence des autres mouvements nationalistes, celui-ci allait être fondé sur la religion, étant donné que ses épigones ne parlaient pas la même langue, n’avaient pas les mêmes normes sociales, et étaient dépourvus d’une expérience historique commune, sur la longue durée [11].

Afin de rendre leur projet plus acceptable pour la mentalité européenne, les sionistes décrétèrent l’unité raciale des juifs, ajoutant ainsi la pseudoscience à l’anachronisme que représentait le concept consistant à édifier un Etat nation religieux.

Une autre caractéristique du sionisme était le fait que, tout en ambitionnant se gagner le patronage enthousiaste des puissances occidentales les plus puissantes ou les plus motivées, il se fonda sur le consensus entre les puissances impérialistes occidentales et ce, dans tous les domaines.

Le sionisme rechercha ainsi, et procura, les bénéfices résultant de la compétition inter-impérialiste, à la différence d’autres Etats coloniaux de peuplement.

La plus discriminante de ces nuances était de nature essentiellement idéologique, à savoir que le sionisme visait à expulser les « indigènes », leur stratégie fondamentale prônant un Etat national purement juif. Tout examen attentif des écrits et des lignes directrices de la théorie et de la praxis sionistes révèle l’impact dynamique et prépondérant de la pensée et du modus operandi impérialistes, ainsi que l’influence dominante du racisme propre à l’Europe du dix-neuvième siècle.

Pour illustrer ce point, nous proposons de passer en revue la représentation que se faisait du monde Herzl, ainsi que ses méthodes en ce qui concerne les concepts et les questions fondamentaux impliqués dans l’alliance impérialo-sioniste, avec des références occasionnelles à ses successeurs, afin de mettre en évidence la consistance et la continuité de la stratégie et des tactiques sionistes.
Il convient de noter à quel point les propositions et la pensée de Palmerston furent influentes, et même décisives, et par conséquent, le climat instauré par la pensée raciste impérialiste britannique et européenne, sur la question d’un Etat colon de peuplement juif en Palestine.

Exposition des principes du sionisme

Les concepts fondamentaux sous-tendant la pensée d’Herzl et la vision du monde sioniste se trouvent dans l’ouvrage Der Judenstaat dudit Totor.
"En supposant que sa Majesté le Sultan veuille bien nous donner la Palestine, nous pourrions, en retour, nous charger de réguler la totalité des finances de la Turquie. Nous représenterions, là-bas, u ne partie du rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de civilisation, par opposition à la barbarie. Nous devrions, en tant qu’Etat neutre, rester en contact avec la totalité de l’Europe, qui aurait à garantir notre existence" [12].

Le même thème revient, à très juste titre, dans le discours adressé par Herzl au Premier Congrès Sioniste : "Il est de plus en plus dans l’intérêt des nations civilisées et de la civilisation en général qu’une forteresse culturelle soit établie sur le plus court chemin vers l’Asie. Cette station-relais, c’est la Palestine, et nous, les juifs, nous sommes ces porteurs de culture qui sommes prêts à donner nos biens et mêmes nos vies, pour en faire advenir la création." [13]

Vingt-et-un ans après, l’éminent successeur d’Herzl, Chaim Weizmann, allait exposer à l’homme d’Etat britannique impérialiste généralement le plus spontanément associé au sionisme, Arthur James Balfour, le plan sioniste envisagé : "une communauté de quatre à cinq millions de juifs, en Palestine…, à partir de laquelle les juifs pourraient irradier dans l’ensemble du Moyen-Orient… Mais toute ceci présuppose un développement libre et sans encombres du foyer national juif en Palestine, et non pas simplement plus de facilités, en matière de colonisation." [14]

Ce concept faisait non seulement écho à la proposition de Palmerston, mais il répondait aux besoins occidentaux croissants de l’Occident dans la région, après l’ouverture du Canal de Suez, l’occupation britannique de l’Egypte, et la Première guerre mondiale.

L’essentiel de cette pensée stratégique britannique a été exposée dans un mémorandum de l’état-major général au ministère de la guerre : « la création d’un Etat-tampon juif en Palestine, même si cet Etat sera faible, en lui-même, est stratégiquement désirable, pour la Grande-Bretagne. » [15]

Stratégie fondamentale

Le Programme de Bâle, formulé par le premier Congrès sioniste, déterminait que « le sionisme a pour objectif de créer, à l’intention du peuple juif, un foyer national en Palestine, protégé par le droit public. »

Une lecture des Mémoires de Herzl, ainsi que l’étude des agissements sionistes ultérieurs, allaient révéler que le terme « droit public » faisait référence, de fait, à la supervision des puissances impérialistes.

Cette supervision était jugée nécessaire, à bien des égards. Herzl rechercha une concession coloniale bénéficiant d’un soutien impérialiste explicite et public, car cela aurait pour effet de renforcer sa propre crédibilité chez les juifs [6], tout en conférant viabilité et protection à son aventure.

Il envisageait que les puissances occidentales apporteraient leur soutien au sionisme et, ce, pour l’une des trois raisons suivantes (au moins) :
(1) l’intérêt bien compris de l’impérialisme ;
(2) leur désir de se débarrasser, à la fois, des juifs et de l’antisémitisme (dans le cas de l’Ouest de l’Europe, en évitant un déferlement d’immigrés juifs d’Europe orientale) et
(3) en utilisant l’influence de la communauté juive organisée pour combattre les mouvements révolutionnaires, ainsi que d’autres facteurs d’ordre interne.

Herzl s’adressa au Kaiser d’Allemagne, le « seul homme qui fût à même de comprendre mon projet » [17], non pas seulement en raison de l’influence culturelle germanique à l’intérieur des rangs sionistes, mais parce que l’Allemagne était arc-boutée sur la percée de son expansion impérialiste vers l’Orient :

La politique allemande a pris une dimension orientale, et il y a quelque chose de symbolique, dans le voyage du Kaiser en Palestine, à plus d’un titre. Je suis, par conséquent, plus convaincu que jamais que notre mouvement recevra de l’aide – une aide que je n’ai cessé d’attendre, patiemment, depuis deux ans. Aujourd’hui, il est clair que la création du plus court trajet vers l’Asie par des éléments nationaux neutres (pour les pays Européens) pourrait s’avérer également précieuse pour la politique orientale de l’Allemagne [18].

Dans un projet de lettre au Kaiser, Herzl expliqua, par la suite, l’objectif sioniste et son utilité pour la politique orientale de l’Allemagne, à savoir que les juifs étaient les seuls colons européens prêts (et même désireux) de coloniser la Palestine, tant cette terre était pauvre, et que la Palestine devait être pacifiée, étant donné qu’elle occupe une position stratégique. L’Europe, ajoutait-il, « allait extrêmement rapidement autoriser aux juifs de s’y installer. Moins en raison au droit historique qui leur est reconnu dans l’écrit le plus sacré de toute l’humanité, mais aussi en raison d’une inclinaison, existant dans la plupart des pays, à laisser les juifs s’en aller. » [19]

C’est ce dernier argument qui fut son viatique avec M. Pleuwhe, le ministre russe de l’Intérieur, un antisémite, qui adopta l’idée sioniste, en 1903. [20]

Il était inévitable que Londres devînt, en la matière, le centre de gravité. [21] La Grande-Bretagne était la puissance impérialiste la plus intéressée à l’avenir de la Palestine, en raison de ses possessions dans les pays voisins, ainsi que de son intérêt pour la route terrestre des Indes.
Aussi est-ce à Londres qu’Herzl approcha le Secrétaire archi-impérialiste des Colonies, Joseph Chamberlain, via les bons offices de Lord Rothschild, qu’Israël décrivit comme « la plus grande force effective que notre peuple n’eut jamais portée, depuis sa dispersion » [22].

Au cours de son entretien avec Chamberlain, en octobre 1902, la voix de Herzl tremblait, tandis qu’il expliquait les raisons de son opposition à un partenariat anglo-sioniste impliquant des concessions coloniale pour les juifs à Chypre, à El-Arish et dans la Péninsule du Sinaï, devant servir de « point de ralliement pour le peuple juif, dans le voisinage de la Palestine. » [23] (Nous ferons allusion, plus loin, au raisonnement impérialo-colonialiste utilisé par Herzl).

Pour Chamberlain et pour Lord Lansdowne, le secrétaire aux affaires étrangères, Herzl expliqua qu’en chapotant l’action sioniste, l’Empire britannique ne « s’augmenterait pas seulement d’une riche colonie », mais aussi de dix millions de juifs, qui porteraient à jamais l’Angleterre dans leurs cœurs, si, grâce à une telle initiative, elle devenait la puissance tutélaire du peuple juif. D’un seul coup, l’Angleterre se gagnera dix millions de sujets occultes, mais loyaux, actifs dans tous les domaines de la vie économique et ce, dans le monde entier.

A un seul signal, tous ces gens viendraient se mettre au service de la nation magnanime lui apportant l’aide si longtemps désirée… L’Angleterre gagnera, dès lors, dix millions d’agents oeuvrant à sa grandeur et à son influence. Et l’effet de ce genre de choses s’étend, ordinairement, du domaine politique au domaine économique. [24]

C’est en cela que réside, précisément, le qui pro quo du sionisme : à la grande puissance qui entreprend d’être un protecteur universel, il offre les juifs en qualité d’agents mondiaux, et il offre l’Etat juif de colonisation de peuplement en tant qu’Etat-client.

Les efforts déployés par Herzl en Angleterre consistèrent notamment à solliciter le soutien des principaux épigones du colonialisme, dont le plus éminent était un certain Cecil Rhodes. Dans un courrier envoyé à Rhodes, Herzl expliquait que, bien que son projet n’impliquât nullement l’Afrique, mais une partie de l’Asie mineure, « si vous (Cecil) aviez trouvé cette région sur votre chemin, vous auriez d’ores fait (ce que nous voulons faire), à l’heure qu’il est ! » [25]

Posant ensuite la question rhétorique de savoir pour quelle raison il s’adressait ainsi à Rhodes, le leader sioniste historique répondait lui-même à sa propre question, en ces termes : « Mais c’est parce que notre projet est de nature coloniale, mon cher Cecil ! » [26].
Ce à quoi Herzl aspirait, c’était à un certificat de viabilité et de désirabilité coloniales estampillé par Rhodes : « Je soussigné, Rhodes, déclare avoir étudié ce projet, et l’avoir trouvé correct et praticable », et excellent pour l’Angleterre, pour la Très Grande Bretagne, aurait-il pu ajouter. De plus, l’entrée en piste des sionistes ne pouvait qu’être profitable, pour Rhodes et ses acolytes.

Mais Rhodes mourut avant qu’Herzl n’ait obtenu ce qu’il attendait de lui. Quinze ans plus tard, le successeur d’Herzl, Weizmann, obtint des impérialistes britanniques ce qu’Herzl n’aurait pas été en mesure d’obtenir de ses sympathisants britanniques, à savoir une protection et une supervision impérialistes en vue d’un foyer national juif, sous la forme de la Déclaration Balfour, du 2 novembre 1917.
Des ratifications internationales s’ensuivirent, de la part des autres puissances, et cette Déclaration fut incorporée au Mandat sur la Palestine, contre la volonté du peuple arabe palestinien, qui représentait l’écrasante majorité de la population de la Palestine, à l’époque [27].

Ultérieurement, les sionistes obtinrent le patronage américain à leur Etat, garanti par le « droit international » sous la forme de Plan de partage de la Palestine (1947), qui fut suivi par la Déclaration tripartite (1950), les puissances impérialistes majeures (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France) garantissant l’Etat sioniste expansé.

La résolution de l’Onu de novembre 1975, considérant le sionisme comme une forme de racisme, représente un début de rectification de cette situation anormale. [souligné par le traducteur].

Tactiques fondamentales

Le sionisme chercha à s’auto-réaliser au moyen de la mobilisation des juifs, de négociations avec les puissances impérialistes, et de la colonisation. La première force de mobilisation en faveur du sionisme fut l’antisémitisme, lequel, comme nous l’avons déjà vu, attirait des politiciens gentils dans les rets du sionisme.

Herzl expliqua : « Aucune coercition majeure ne sera requise afin de stimuler le mouvement d’immigration. Les antisémites se chargent eux-mêmes de cette partie du programme, à notre place… » [28].
De fait, un éminent sioniste « spirituel » - Ahad Ha’am – décrivit le sionisme herzlien comme « le produit de l’antisémitisme, auquel il doit entièrement son existence. » [29]

Le Grand Duc de Bade indiqua à Herzl que les « gens voyaient dans le sionisme une sorte d’antisémitisme » [30] et Herzl nota cette observation sans y élever la moindre objection. Là où l’antisémitisme était faible, ou inexistant, le mouvement sioniste chercha à susciter le « sentiment national juif » aux moyens de la propagande et des provocations, ou en mettant en scène des violences anti-juives, en utilisant des agents spéciaux, comme cela se produisit, en Irak, après 1948.

Une autre méthode de mobilisation de l’opinion juive consistait à faire appel aux complexes des juifs, en utilisant certaines notions juives, et tout particulièrement la notion de « peuple élu ».

Dans le climat raciste de l’Europe du dix-neuvième siècle, cette notion fut déformée afin de la faire ressembler à celle du « fardeau de l’homme blanc », et ils l’associèrent aux concepts de « Terre promise » et de promesse du « retour (des juifs) », en dépit du fait que les chefs sionistes étaient soi non-religieux, soit carrément agnostiques. Moses Hess maintenait que « tout juif est fait du bois dont on fait les Messies, et toute juive est une Mater Dolorosa en puissance ».

Ahad Ha’am affirma, quant à lui : « Nous avons le sentiment d’être l’aristocratie de l’Histoire ».
Herzl déclara : « notre race est plus efficace, dans tous les domaines, que la plupart des autres peuples de la Terre. » [31]
En 1957, Ben Gourion affirma la même notion : « Je crois en notre supériorité morale et intellectuelle, susceptible de servir de modèle pour la rédemption de la race humaine » [32].

La seconde tactique – celle des négociations avec les impérialistes – impliquait que fussent soulignés les intérêts communs contre des tierces parties, servant de fondements au partenariat, et le recours à la tromperie et aux pots-de-vin.

Durant ses négociations avec Chamberlain, au sujet de la colonisation de Chypre, Herzl trahit sa vision du monde et ses méthodes colonialistes : « Une fois que nous aurons établi la Jewish Eastern Company, dotée de cinq millions de livres-or de capital, afin de coloniser le Sinaï et El-Arish, les Chypriotes voudront cette pluie d’or sur leur île, aussi. Les musulmans dégageront ; les Grecs vendront leurs terres pour un prix modique, et ils émigreront vers Athènes ou vers la Crète. » [33].

La tactique de colonisation fut encore plus significative de la nature du sionisme, car elle explicite la nature colonialiste de ce mouvement, sa dépendance vis-à-vis de l’impérialisme et ses attitudes racistes envers les indigènes arabes, ainsi que son rôle délibérément réactionnaire dans la région.

Les noms et les objectifs des premiers instruments de colonisation et de meccano national en disent long sur la nature véritable du mouvement sioniste : le Jewish Colonial Trust (1898), la Palestine Land Development Company.

Dès le début, les colonisateurs sionistes cherchèrent à acquérir des terres dans des endroits stratégiques, à évincer les paysans arabes, et à boycotter le travail arabe, le tout, en étroite association avec l’essence du sionisme, la création d’une nation juive, sur une terre « purement » juive, aussi juive que l’Angleterre était anglaise, pour reprendre son expression demeurée célèbre [34].

Cette même notion était manifestement implicite dans le concept d’Etat colonial juif jouant le rôle d’un rempart.

Ces aspects du sinonisme devinrent de plus en plus prononcés au fur et à mesure que s’étendait l’invasion coloniale sioniste. Là encore, ces tradictions sionistes doivent leurs origines à Herzl et à sa mentalité dominée par le racisme colonial : « Les expropriations volontaires seront accomplies par l’intermédiaire de nos agents secrets… après quoi nous revendrons ces terres exclusivement à des juifs, et toute propriété immobilière ne fera l’objet de ventes et d’achats qu’exclusivement entre juifs. » [35]

Qu’en advenait-il du sort des indigènes ? « Nous nous efforcerons de faire disparaître la population sans le sous à travers la frontière, en leur procurant du travail dans ses pays de transit, tout en lui refusant tout emploi dans notre propre pays… Les propriétaires se rangeront de notre côté. Tant le processus d’expropriation que l’expulsion des pauvres doivent être menés à bien dans la discrétion et avec circonspection. » [36]

Mais, avant de les faire se volatiliser, Herzl avait du travail à donner aux indigènes :

« Si nous nous installons dans une région où vivent des animaux sauvages auxquels les juifs ne sont pas habitués, comme de gros serpents, par exemple… - j’utiliserai les indigènes, avant de leur donner du travail dans les pays de transit ; je leur demanderai d’exterminer ces animaux sauvages… » [37].

Quand, plus tard, il découvrit que les colonies sionistes nécessitaient de très importants travaux de drainage, il décida, là encore, de recourir aux Arabes, car les ouvriers affectés à ces travaux extrêmement pénibles contractaient la malaria et d’autres maladies parasitaires, et il ne voulait pas exposer ses sionistes délicats à de tels dangers [38].

Mais qu’allait-il se passer, si les Arabes refusaient de déguerpir du pays qu’ils considéraient tout naturellement comme le leur, puisque c’était le leur ?

Herzl ne pouvait pas avoir ignoré ce que tous les colonialistes et ce que toutes les aventures coloniales considèrent comme une précondition de leur entreprise : « De ce prolétariat d’intellectuels, je ferai l’état-major et les cadres de l’armée dont la mission sera d’explorer, de découvrir et de conquérir la terre. » [39]
Son projet d’armée aurait compris « un dixième de la population masculine ; c’était le minimum requis, au plan interne. » [40]
De fait, la vie dans son Etat sioniste en projet ne pouvait être que paramilitaire : « Organiser les bataillons du travail tout au long des lignes de front, aussi avancées que possible. » [41]

Nul ne peut accuser Herzl d’avoir ignoré les conclusions logiques de ce projet : l’éviction des indigènes allait représenter une tâche énorme, et le ratio sans précédent d’un dixième de la population masculine aux fins d’assurer l’ordre à l’intérieur des frontières était dans l’ordre des choses. Enrégimenter le travail est un corollaire de l’Etat de caserne, cette citadelle avancée de la « civilisation » occidentale dans ce qu’Herzl considérait les « débarras dégueulasses » de l’Orient [42].

Le recours à la force armée, c’est ce que les bayonnettes impérialistes britanniques devaient faire, en Palestine, afin d’imposer le foyer national juif, au lendemain du mariage satanique anglo-sioniste déclaré le 2 novembre 1917.

Weizmann ne perdit pas une minute, plaçant les Britanniques devant les faits de la vie impérialiste en Palestine, dès 1919 : « Les Britanniques vont-ils appliquer l’auto-détermination [euphémisme désignant le pouvoir pour le sionistes, en weizmannien, ndt] en Palestine, laquelle se trouve à cinq heures à peine de l’Egypte, ou non ? Sinon, nous devrons l’y contraindre… Oui, ou non ? Tout se résume à ça. » [43].

Sur ce point, ainsi que sur beaucoup d’autres questions, Weizmann se retrouvait sur les mêmes positions que les principaux hommes politiques impérialistes britanniques. [44]

L’expansionnisme sioniste

Les annales de l’histoire sioniste sont pleines de dirigeants sionistes surpassant d’autres dirigeants sionistes sur la question de l’importance de la puissance militaire et du rôle de l’action militaire et de la terreur dans l’édification et la sauvegarde de l’Etat sioniste : Joseph Trumpeldor, Vladimir Jabotinsky, Menahem Begin, Ben Gourion et tous les généraux-reconvertis-en-politiciens.

Dans certains de leurs écrits et révélations, les dieux de la machine de guerre sioniste affirment que la violence et la coercition sont la colonne vertébrale du plan visant à imposer le projet sioniste, en plus d’être une adulation de la puissance en réaction à la faiblesse juive durant toute l’Histoire européenne. Il ne pouvait en aller différemment, puisque les sinoistes envahissaient le pays, évinçaient la majorité de sa population, et fit succéder à ces exaction un recours effrené à la force et au terrorisme [45], continuant à poursuivre ses plans expansionnistes au moyen de guerres et de l’occupation militaire.

L’Etat-caserne se devait d’étendre l’emprise de la citadelle sous la forme d’un mécanisme interne (économique, politique et psychologique), ainsi qu’intimider les Arabes, au bénéfice des desseins impérialistes pour le Moyen-Orient.

L’expansionnisme n’était pas quelque chose de nouveau, pour Herzl, qui admirait les expansionnistes allemands au moins autant que les impérialistes britanniques : « Nous ne faisons que demander ce dont nous avons besoin : toujours plus d’immigrants, pour toujours plus de terres. » [46]

L’histoire de l’expansionnisme sioniste est une longue histoire [47], il suffit de lire la déclaration ci-dessus à la lumière de l’objectif sioniste : le rassemblement de tous les juifs du monde en Palestine occupée, et de se souvenir des éructations des principaux leaders d’Israël en 1956 et en 1967, qui reflétèrent, pour l’essentiel, un autre des mots-d’ordre d’Herzl : « Notre territoire ? Du Nil à l’Euphrate ! » [48]

Ce sont là des attitudes typiques du sionisme.
Jay Gonen, un universitaire israélien, écrit, dans un ouvrage qu’il consacre à on ne sait trop quelle « Question arabe » : « Dès le début de l’entreprise sioniste, la plupart des sionistes étaient manifestement affectés par un point aveugle, en ce qui concerne les Arabes, un point aveugle qui était une absence totale de vision, puis, par la suite, une vision déformée » [49].

Ils qualifiaient les Arabes de tous les quolibets les plus racistes et méprisants, et ils étaient convaincus que "les Arabes ne comprennent que le langage de la force, un préjugé qui persista de nombreuses années, et qui devint particulièrement prégnant après l’Holocauste." [50]

Les Israéliens, de surcroît, sont convaincus que « la force physique est la seule réalité politique tangible qui ait un quelconque poids et qui ait une quelconque signification en matière de politique nationale et internationale… la vision politique actuelle, en Israël, est conceptualisée, pour l’essentiel, en termes de tanks et d’avions de chasse. » [51]

La prégnance du complexe de Massada (ou complexe obsidionnal) en Israël n’a rien d’anecdotique. Ni non plus la rhétorique absurde de Golda Meir, le 15 juin 1969, jour où elle affirma, péremptoire : « Les Palestiniens… ? Qui sont-ils ? Ils n’existent pas ! » [52]
Le rapport Koenig [53] n’est que la manifestation la plus récente, mais en aucun cas la plus extrême, de l’attitude sioniste vis-à-vis des Arabes de Palestine.

Il serait à la fois erroné, et dangereux, toutefois, de penser que les attitudes racistes/colonialistes des sionistes envers les Arabes palestiniens sont isolées du contexte plus large de l’attitude impérialo-sioniste vis-à-vis de l’unité arabe et de l’avenir arabe, de manière générale.

A plusieurs occasions, Herzl chercha à présenter le sionisme sous le jour d’un point de convergence entre le christianisme et le judaïsme, dans leur position commune face à l’Islam et à la « barbarie » de l’Orient. Une lecture attentive d’Herzl montre que, pour lui, ainsi que pour les autres impérialistes, le mot « Islam » réfère aux Arabes et à nul autre peuple musulman.

Cela devint encore plus évident après que les sionistes se furent alliés aux Jeunes Turcs, un mouvement [franc-maçon, ndt] issu de la Révolution Ottomane de 1908, « dans leur combat commun contre le mouvement national arabe naissant et contre l’indépendance arabe. » [54]

En 1919, lors d’une rencontre secrète à laquelle assistèrent Weizmann et un certain nombre de hauts responsables britanniques, cette question fut discutée en toute franchise. Ormsby-Gore, qui devint par la suite secrétaire aux colonies et fut donc chargé du pouvoir effectif sur la Palestine, préconisait d’encourager des non-musulmans, Européens et juifs, à développer et à stabiliser le Moyen-Orient, en ayant en vue que l’Islam représentait le principal danger.

Dès lors, l’organisation sioniste fournit l’élément humain requis afin de tenir l’avant-poste palestinien, dans le combat de l’Europe contre l’Islam : « Il est dans l’intérêt de la Grande-Bretagne d’aider l’organisation sioniste et toute autre organisation susceptible de coopérer avec elle dans le développement pratique d’une colonie juive en Palestine. » [55]

L’idée de la balkanisation fut appliquée durant la division de la nation arabe consécutive à la Première guerre mondiale. Le sionisme, néanmoins, continua à œuvrer à la création d’Etats sectaires plus petits, cette fois-ci en coopération avec les impérialistes français.
Durant les années 1930, se produisit un rapprochement entre les sionistes et les dirigeants maronites pro-français du Liban. En 1941, les sionistes commencèrent à pousser dans le sens de la déclaration de leur Etat.
C’est alors qu’un associé de Ben Gourion, Berl Katznelson, déclara : « Nous devons dire aux peuples arabes : en nous, les juifs, vous voyez un obstacle sur la voie de votre indépendance et de votre unité ; nous ne saurions le nier. » [56]

Après 1948 [année funeste de la création de l’entité sioniste, ndt], l’Etat sioniste oeuvra à créer de toute pièce une « nationalité druze », au moyen de textes juridiques et d’une ségrégation renforcée à l’encontre des autres composantes de la population arabe de Palestine.

En 1965, le principal porte-parole sioniste, le ministre israélien des Affaires étrangères, à l’époque, écrivit un article retentissant dans la revue américaine Foreign Affairs, dans lequel il présentait une version politiquement correcte et glacée au sucre de la pensée et de la stratégie sionistes. Eban y répétait l’opposition des sionistes à l’unité arabe, affirmant que le Moyen-Orient est une mosaïque et qu’un Etat juif, par conséquent, fait partie du décor. Plus récemment, les sionistes ont pris un rôle extrêment actif dans la guerre civile libanaise. Leur soutien aux isolationnistes maronites est un secret de Polichinelle.

Du point de vue de l’impérialisme, l’opposition sioniste à l’unité arabe est la raison d’être d’Israël. Du point de vue des sionistes, c’est un impératif absolu. Considéré dans le contexte impérialiste général, Israël est essentiellement un outil, un pari, contre la libération, l’unité et le progrès des Arabes.

Historiquement, le sionisme cherchait à rallier les juifs et les non-juifs impérialistes contre les Arabes, et à leur détriment. Ils aspiraient à instaurer un conformisme juif, en adoptant les notions réactionnaires mêmes qui aggravèrent considérablement la situation des juifs en Europe. Le sionisme accepta et encouragea (ailleurs) les notions propres aux ennemis européens des juifs : le nationalisme chauvin, l’antisémitisme et les gouvernements réactionnaires.

Avec l’aide de l’impérialisme occidental, ils recréèrent le ghetto, en Orient, sous la forme d’un Etat-nation aliène et agressif, et ils réincarnèrent le rôle tradtionnel consistant à être des agents du seigneur féodal en devenant l’agent de la puissance impérialiste dominante. Seulement, cette fois, ils purent jouer le rôle de l’oppresseur, pour une fois.

C’est la raison pour laquelle le sionisme voyait dans l’antisémitisme un de ses meilleurs alliés, car ces deux idéologies constituent les deux faces de la même médaille : le sionisme représentait un mouvement réactionnaire de fuite en avant, un verdict négatif contre les sociétés humaines et leur incapacité à tolérer les juifs au seul motif qu’ils sont différents.

Dans la mesure où Israël est une régression vers l’idée de religion en tant que fondement d’un Etat-nationon, cet Etat est un anachronisme. Dès lors qu’il s’agit d’une invasion aliène, occidentale, du territoire arabe, le sionisme n’est qu’une nouvelle Croisade, condamnée, comme les premières, à l’échec. Dès lors qu’Israël est un Etat colonialiste-raciste, il est un ennemi de l’esprit propre à l’ère de la libération et de l’égalité.

Ainsi, les peuples du Tiers-Monde ont commencé à dénier au sionisme la légitimité internationale dont il a pu jouir injustement depuis la déclaration de création de son Etat.

Dès lors qu’il est organiquement lié aux puissances impérialistes dans leur combat contre les droits arabes et contre le futur des Arabes, cet Etat s’effondrera avec la défaite de l’impérialisme dans la patrie arabe, de la même manière qu’il a été vaincu, ailleurs.

Le verdict de l’Histoire est clair : il n’y a nulle place, dans le siècle qui vient, pour le racisme, le sionisme et l’impérialisme. Les peuples du Tiers-Monde affirmeront leurs droits, et se libèreront eux-mêmes, débarrassant ainsi toutes les sociétés humaines du fardeau de l’inégalité et de l’oppression.

Notes

1 - Albert Hourani, "Ottoman Reform and the Politics of Notables," in Beginning of Modernisation in the Middle East : The Nineteenth Century, ed. William Polk and Richard Chambers (Chicago, 1968), pp. 41-68.

2 - Albert Hyamson, The British Consulate in Jerusalem in Relation to the Jews of Palestine, 1838-1914 (London, 193941) pt.l, p. xxxiv.

3 - Viscount Palmerston to Viscount Ponsonby, August 2,1840, P.O. 78/390 (No 134), Public Record Office.

4 - See the excellent study by Richard Stevens, Weizmann and Smuts (Beirut, 1976).

5 - See Philip Henderson, The Life of Lawrence Oliphant, Traveller, Diplomat, and Mystic (London, 1956).

6 - Ben Halpern, The Idea of a Jewish State (Cambridge Mass., 1961), p. 107.

7 - A. Taylor, The Zionist Mind, (Beirut, 1974).

8 - Richard Stevens, Zionism and Palestine Before the Mandate (Beirut, 1972), p. 6.

9 - Les Rothschilds eux-mêmes étaient extrêmement impliqués dans le percement du Canal de Suez. C’est Disraeli, avec l’argent des Rothschilds, qui avait fait l’acquisition de la part britannique dans le capital de la holding Suez, qui fomenta, par la suite, l’invasion de l’Egypte par les Britanniques.

10 - Raphael Patai, ed. and Harry Zohn, traduction, Diaries of Theodor Herzl (New York and London, 1960).

11 – Pour un examen plus approfondi de cette question, voir : Godfrey Jansen, Zionism, Israel and Asian Nationalism (Beirut, 1971), pp. 12-79.

12. Patai, ed., Diaries p. 213.

13 - Quoted in Jansen, Zionism, p. 83.

14 - "Note on the Interview with Mr. Balfour," December 4, 1918, P.O. 371/ 3385, PRO.

15 - "The Strategic Importance of Syria to the British Empire," General Staff, War Office, December 9, 1918, P.O. 371/4178, PRO.

16 - Patai, ed., Diaries, pp. 223, 240-41 and 445.

17 - Ibid., p. 187.

18 - Ibid., pp. 63940.

19 - Ibid., p. 642.

20 – Ibid., p. 1535.

21 - Ibid., p. 276.

22 - Ibid., p. 1302.

23 - Ibid., p. 1362.

24 - Ibid., pp. 1365-66.

25 - Ibid.,p. 1194.

26 - Ibid.,

27 - For a detailed history of Palestinian Arab resistance to Zionism and imperialism, see Abdul Wahhab Kayyali, Tarikh Falastin al-Hadith [Modern History of Palestine] (Beirut, 1970).

28 - Patai, ed., Diaries, p. 152.

29 - A. Hertzberg, The Zionist Idea (New York, 1959), p. 24.

30 - Patai, ed., Diaries, p. 657.

31 - Quoted in Junsen, Zionism, pp. 33-34.

32 - See Patai, ed., Diaries, pp. 70, 322, 568 etc.

33 - Ibid., p. 1362.

34 - See Kayyali, Tarikh Falastin.

35 - Patai, ed., Diaries, p. 89.

36 - Ibid., p. 88.

37 - Ibid.,p. 89.

38 - Ibid., p. 740-741.

39 - Ibid., p. 28.

40 - Ibidp.38.

41 - Ibid., p.64.

42 - Ibid., p. 1449.

43 - May 10, 1919, Central Zionist Archives, Z/16009.

44 - See Balfour to Prime Minister, February 19, 1919, P.O. 371/4179.

45 - For a detailed account of Zionist terrorism see Who Are the Terrorists, (Beirut, 1974).

46 - Patai, ed., Diaries, p. 701.

47 - For a detailed account see al-Matame al Sahhiyoniyyah al-Tawsuuyyah [Zionist Expansionism] (Beirut, 1966).

48 - Patai, ed., Diaries, p. 711.

49 - Jay Gonen,A Psychohistory of Zionism (New York, 1975), p. 182.

50 - Ibid., p. 180.

51 - Ibid., p 181.

52 - Zionist propaganda had previously circulated the totally deceptive motto "Land without people, people without land," in reference to Palestine and the Jews.

Auparavant, la propagande sioniste avait mis en circulation le mot-d’ordre « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »..

53 - Al Hamishmar, September 7, 1976.

54 - See Kayyali, Tarikh Falastin, chap. 2.

55 - May 10, 1919, C.Z.A. Z/16009.

56 - Gonen, Psychohistory, p. 186.

Source : http://www.al-moharer.net/  Traduction : Marcel Charbonnier