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Appel d’un universitaire israélien à la Société Civile européenne

Aller résolument de l’avant

par Ilan Pappe

jeudi 5 mai 2005

APPEL

( Ilan Pappe )
publié le jeudi 28 avril 2005 sur www.protection-palestine.org

Illan Pappe, professeur d’université à Haïfa, est l’un des rares Israéliens apportant son soutien au boycott d’Israël. Il explique ici pourquoi.

Je fais appel à vous aujourd’hui pour que vous rejoigniez un mouvement et un moment historiques qui peuvent permettre de voir la fin de plus d’un siècle de colonisation, d’occupation et de dépossession des Palestiniens.

Je fais appel à vous en tant que juif israélien qui souhaite depuis des années, et par divers moyens, mettre un terme à ce mal commis contre les Palestiniens dans les territoires occupés, à l’intérieur d’Israël comme dans les camps de réfugiés.

J’ai consacré toute ma vie d’adulte, avec d’autres, à créer un substantiel mouvement pour la paix à l’intérieur d’Israël et dans lequel nous souhaitions que les universitaires jouent un rôle prédominant. Mais après 37 années d’une sévère et brutale oppression du peuple de Cisjordanie et de Gaza, et après 57 années de colonisation et dépossession des Palestiniens dans leur ensemble, je pense à présent que ce projet est irréaliste et que d’autres voies sont à étudier de façon à faire cesser ce conflit qui, au final, met en danger l’ensemble de la paix dans le monde.

La violence et la lutte armée ont aussi échoué, et elles ne peuvent être facilement pardonnées par des gens comme moi qui sont viscéralement pacifistes. Des exemples historiques comme l’Afrique du Sud et le mouvement de Ghandi en Inde prouvent qu’il y a des voies pacifiques pour faire cesser ce qui est la plus longue oppression et violation des droits humains dans le dernier siècle.

Le boycott et les pressions externes n’ont jamais été réellement expérimentés dans le cas d’Israël, un pays qui prétend faire partie du monde démocratique et civilisé.

Israël a cependant joui d’un tel statut depuis sa création en 1948, et pour cette raison, il prétend maintenant obtenir un statut privilégié vis-à-vis de l’Europe en surmontant les nombreuses résolutions des Nations-Unies qui condamnent sa politique.

La position élevée qu’occupent les universités israéliennes dans la communauté savante internationale est le reflet de ce support de l’Occident à « la seule démocratie » du Moyen-Orient. Protégés par ce soutien tout particulier aux universités et autres organismes culturels, l’armée israélienne et les services de sécurité peuvent poursuivre leur besogne en démolissant des maisons, en expulsant des familles, en maltraitant les citoyens et en tuant presque tous les jours des enfants et des femmes sans avoir à rendre compte de leurs crimes, que ce soit au niveau de la région ou au niveau mondial.

Le soutien militaire et financier dont bénéficie Israël fonde la capacité de l’Etat hébreu à poursuivre sa politique. Toute mesure diminuant cette aide est la bienvenue dans la lutte pour la justice et la paix au Moyen-Orient. Mais l’image culturelle d’Israël alimente la décision politique à l’Ouest de soutenir les destructions israéliennes commises contre la Palestine et les Palestiniens.

Le message qui pourrait être directement envoyé à ces universités qui se sont particulièrement rendues coupables d’aider l’oppression depuis 1948 et l’occupation depuis 1967, serait le lancement d’une campagne réussie pour la paix (comme l’avait fait le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud).

Appeler au boycott contre son propre pays et ses universités n’est pas chose facile pour un membre des ces universités. Mais j’ai appris combien les communautés universitaires au niveau mondial peuvent se mobiliser au bon moment alors que j’étais menacé d’expulsion de l’université d’Haïfa, en mai 2002.

Une politique très bien ciblée de pressions m’avait laissé, quoiqu’avec des restrictions et du harcèlement, poursuivre mes cours et mes recherches, lesquels tendent à démontrer la victimisation des Palestiniens à travers les années. Ce parcours est tout à fait particulier, car je suis le seul à le suivre dans mon université, et l’un des rares à le suivre à l’échelle du pays, mais aussi parce que l’université a une large composante d’étudiants palestiniens qui sont empêchés par des règles draconiennes d’exprimer leur colère et leur frustration par rapport à ce qui a été fait, et est encore fait, contre leur peuple.

Ces étudiants sont tombés dans l’isolement complet depuis que l’université a établi des liens étroits avec les appareils de sécurité dans le pays. Le fait que l’université ait des liens étroits avec les services de sécurité - en fournissant des degrés universitaires supérieurs - n’est pas un crime en soit, mais comme il s’agit dans notre cas des agences qui participent quotidiennement à l’occupation des zones palestiniennes, leur présence dans le campus signifie que l’université est impliquée dans la perpétuation de ce mal.

Comme je l’ai appris par mon propre cas, les pressions extérieures ont de l’effet sur un pays dont les gens veulent être vus comme partie intégrante du monde civilisé ; mais leur gouvernement, avec leur aide explicite et implicite, poursuit une politique qui viole chaque droit humain et civil connu. Ni les Nations-Unies, ni les gouvernements des Etats-Unis et de l’Europe et leurs sociétés n’ont envoyé de message en direction d’Israël disant que sa politique était inacceptable et devait cesser.

Il est temps pour les sociétés civiles, à travers les organisations comme les vôtres, d’envoyer des messages aux universités israéliennes, aux hommes d’affaires, aux artistes, aux industriels de haute technologie et tout autre secteur de cette société, disant que c’est le prix à payer pour cette politique.

Je vous remercie par avance pour votre soutien. Si vous décidez de suivre cette campagne que nous vous suggérons, vous nous renforcerez, moi et mes amis, et nous serons capables, j’en suis convaincu, de construire avec nos amis Palestiniens une véritable base pour la paix et la réconciliation en Palestine.

Ilan Pappe,
Maître de conférences au département de sciences politiques de l’université d’Haïfa. Il est également le président de l’Institut Emil Touma d’Etudes Palestiniennes à Haïfa.