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Source : AFPS

Le pouvoir au peuple !

par Jeff Halper

samedi 26 janvier 2008

Le peuple de Palestine l’a fait encore une fois ; il a pris son destin en mains après avoir été abandonné par ses propres dirigeants politiques “modérés” et même par toute la communauté internationale dans sa lutte pour la liberté.
Tôt ce matin il a simplement fait voler en éclats le mur qui sépare Gaza de l’Égypte, rompant un siège qui lui est imposé par un gouvernement arabe en collaboration avec Israël [1]

Nous, les peuples du monde, devrions éprouver une grande fierté et un grand encouragement dans ce refus absolu de la société civile d’accepter l’assujettissement , d’abandonner son sort à des gouvernements, y compris le sien, pour lesquels les vies des gens ordinaires ne sont que du grain à moudre pour leurs jeux politiques – Annapolis et le “processus de paix” qui en découle ne représentant qu’une dernière manifestation de cynisme. Parce que les Palestiniens représentent beaucoup plus qu’eux-mêmes. Leur refus de se soumettre aux dictats de gouvernements, ou au manque d’intérêt en général des gouvernements pour le bien-être de leur peuple reflète le désir qu’ont des milliards d’opprimés d’une identité reconnue, de liberté, d’une vie convenable, et la réalisation de leurs droits collectifs et individuels comme de leurs potentialités. La plupart des opprimés, les “damnés de la terre” comme les a appelés Franz Fanon il y a un demi siècle, sont trop préoccupés de leur désespérant combat quotidien de survie pour organiser leur résistance. D’autres résistent d’une foule de façons mais sont le plus souvent réprimés par leurs propres “dirigeants” politiques et économiques et tombent dans l’anonymat. Dans un petit nombre de cas ils ont réussi à mettre sur pied une résistance efficace à l’oppression et même à l’emporter – cependant les milliards dépensés pour les guerres anti insurectionnelles par les États Unis, l’Europe, la Russie, Israël et beaucoup de pays “en développement” sont de mauvais augure pour les populations qui tentent de renverser des régimes oppresseurs. .

Dans cette lutte les Palestiniens sont en première ligne, à l’avant-garde des populations qui exigent partout que leurs droits, leur bien-être et leurs valeurs fondamentales en tant qu’êtres humains soient respectés par les gouvernements. Et ils agissent ainsi (et, en tant qu’Israélien, j’écris cela avec beaucoup de tristesse et de honte) contre la puissance militaire la plus forte et les plus brutale du monde – une puissance qui les a dépossédés de 85% de leur terre, qui essaie de transformer son occupation en un régime permanent d’apartheid, qui depuis des décades les appauvrit et réduit leurs libertés ; c’est la quatrième puissance nucléaire qui se présente malgré tout comme une victime. Non seulement les Palestiniens ont subi la déshumanisation que toutes les populations opprimées et colonisées connaissent, non seulement en a-t-on fait la plus grande terreur du riche et du puissant, les méchants “terroristes” qui pourraient mettre à mal leur “civilisation” privilégiée, on en a fait en plus des cobayes. Israël peut s’imposer dans l’industrie anti insurrectionnelle et obtenir d’entrer dans le cœur du complexe militaro/high tech américain en faisant des territoires occupés un laboratoire pour le développement d’armes et de tactiques diaboliques conçues pour être employées contre des gens.

Et pourtant la population palestinienne – et particulièrement celle qui reste résolument en Palestine – continue non seulement à résister mais encore à surprendre et à déconcerter à chaque occasion les Israéliens qui voudraient la soumettre. Malgré une autorité sans limite, un monopole exclusif de l’emploi de la force, une dureté extrême et le réputé Shin Beit, le service de renseignement militaire d’Israël, les Palestiniens votent comme ils le veulent, résistent, mènent leur vie quotidienne avec dignité – et font de grands trous dans les murs et les politiques établis pour les enfermer et les abattre.

Ce n’est pas ce qu’ont en tête les gens désespérés qui se sont précipités en Égypte aujourd’hui. Ils n’ont peut-être pas le “beau rôle”. Ils méritent cependant le respect et la reconnaissance de chaque personne qui veut un monde meilleur fondé sur les droits humains et la dignité, un monde accueillant. Comme juif israélien, j’ai été attristé et humilié que mon propre peuple, après tout ce qu’il a subi, ne soit pas capable de voir ce qu’il est en train de faire subir à d’autres. Mais, sur un plan plus large, non plus comme juif israélien mais comme être humain, je me sens encouragé par le refus déterminé des Palestiniens de se laisser broyer par un système mondial qui produit des richesses et des instruments de puissance inimaginables pour un petit nombre aux dépens de la foule croissante des malheureux.

Je ne suis pas palestinien ; je ne suis pas l’un des opprimés. J’espère seulement pouvoir tirer parti efficacement de ma situation privilégiée pour payer en retour le cadeau que la population de Gaza nous a fait à tous : la prise de conscience que la population a réellement un pouvoir et peut l’emporter même face à un pouvoir écrasant. Chacun de nous peut témoigner à la population de Gaza de ce qu’il lui doit de la façon qui lui convient le mieux, mais en notre qualité de privilégiés nous avons le devoir de faire quelque chose. Nous devons cela aux Palestiniens, nous leur devons au moins cela.

[1] voir les photos sur RFI : http://www.rfi.fr/actufr/articles/097/article_61867.asp

23 janvier 2008

(Jeff Halper est le coordinateur du Comité Israélien Contre la Démolition des Maisons (ICAHD)

[Traduit de l’anglais : FL]