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Des malades au pouvoir et sur le terrain des mutants conditionnés (ndlr)

Des gens formidables, protégeant un pays formidable

par Gideon Levy - Ha’aretz - 12/01/2008

dimanche 13 janvier 2008

Au beau milieu du film, le téléphone a sonné : Avishai, de la Sûreté Générale [Shabak], voulait s’assurer que j’avais bien reçu la réponse de son organisation au témoignage du prisonnier Imad Khotri à propos des tortures sévères qu’il a subies récemment au centre de détention de Kishon et qui ont conduit à une paralysie partielle de ses mains. Khotri a été frappé, attaché dans des postures insupportables et privé de sommeil. « Son interrogatoire a été mené conformément à la Loi, aux règles et aux directives », est-il dit dans la réponse de la Sûreté Générale. Je me suis étalé dans le fauteuil, j’ai remis en route le lecteur de DVD et continué à regarder le film horrifiant, d’où le coup de fil d’Avishai paraissait sortir tout droit.

« Les fantômes d’Abou Ghraib » n’est pas un film sur nous. Pourtant, nous nous y reflétons très bien. Tout Israélien devrait le voir. Il expose en détails les méthodes d’interrogatoire et de torture des Américains dans la prison d’Abou Ghraib, en Irak. De braves gens ont commis là-bas des actes effroyables. Sauf que chez les Américains, il s’est au moins trouvé des gens pour faire un reportage sur l’horreur et le porter à la connaissance du public. Des scènes non moins graves se déroulent dans les salles d’interrogatoires de nos centres de détention, mais elles n’ont jamais bénéficié d’une telle divulgation. Il ne s’est pas même trouvé un enquêteur ou un gardien de prison que sa conscience aurait tourmenté et qui aurait porté des photos à notre connaissance. C’est affligeant. En Amérique, plusieurs sadiques ont aussi été punis, l’un d’eux a même été condamné à 10 ans de prison. Pas chez nous.

Mais, chez nous comme chez eux, si on punit, c’est toujours le lampiste. Le Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, qui, dans ce film, est décrit comme le Milosevic américain, un véritable criminel de guerre, qui, dans des documents et des écrits, encourage les tortures et raille même leurs victimes avec sarcasme (« Moi aussi, je reste debout huit heures par jour »), ne comparaîtra jamais en justice. Même son président, George Bush, celui qui vient chez nous aujourd’hui et qui aura droit ici à toute la pompe et à tous les égards, sort fortement éreinté de ce film courageux et pénétrant de Rory Kennedy, qui a remporté le Emmy Award - encore une chose qui ne pourrait pas se produire chez nous.

« Grâce aux Etats-Unis, 50 millions de personnes mènent une vie libre », dit-il à propos de l’Irak, dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une mauvaise blague. Et aussi : « Des gens formidables se sont engagés dans la défense d’un pays formidable », comme chez nous, avec en arrière-plan les images de l’horreur d’Abou Ghraib. Même les arguties des juristes américains sur la question de savoir comment la Convention de Genève pourrait ne pas s’appliquer à ces infortunés prisonniers rappellent fortement les contorsions et la mobilisation de notre appareil judiciaire, qui déclare casher n’importe quelle vermine.

Les tortionnaires, dans le film, c’est vous et moi, ou le voisin d’en face.

D’aimables jeunes femmes et des types avenants, pas ce que vous auriez pensé. Des gens ayant subi un lavage de cerveau effrayant. « Je ne pensais pas que mon rôle était de mettre quoi que ce soit en cause », dit l’un d’eux. « C’était le travail », dit une autre, face aux images terribles. Une soldate, Naima Marah, a été photographiée alors qu’elle était occupée à glisser le cadavre d’un prisonnier torturé à mort, dans un sac en plastique : le regard tourné vers l’appareil photo, elle arbore un sourire Colgate. « Je souris toujours quand on me prend en photo ».

Regardez ce film : vous nous verrez. Nos méthodes d’interrogatoire diffèrent un peu - le cerveau juif nous a inventé des formules brevetées - mais le mal est exactement le même mal.

Note :

(1) Voir sur http://www.dailymotion.com/video/x1... (et suivants). En anglais.

Gideon Lévy