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Publié dimanche 11 novembre 2007

Quelle feuille de route ?

par Jeff Halper - ICAD

lundi 12 novembre 2007

Tout comme ses déclarations en août dernier à Jéricho, où il indiquait sa volonté de se retirer d’une région équivalant à 100% des territoires occupés, le dernier discours tenu par le Premier Ministre Ehud Olmert au Forum Saban en présence de Condoleezza Rice et de Tony Blair avait l’air prometteur, voire enthousiasmant, « Annapolis est une étape importante » dit-il « sur la voie de négociations et d’un effort véritable visant la réalisation de la vision de deux nations : l’Etat d’Israël - nation du peuple juif ; et l’Etat palestinien- nation du peuple palestinien.

Il a en outre exprimé l’espoir que la solution des deux Etats serait menée à terme avant la fin du mandat du Président George W, Bush en janvier 2009,

Le discours avait l’air sincère, voire passionné, Olmert donnait l’impression qu’il était prêt à confronter toutes les difficultés - notamment la nécessité pour Israël de remplir son rôle dans la feuille de route. Il a dit fermement et clairement qu’Israël avait maintenant « des partenaires pour la paix » dans le leadership palestinien. Tous les sujets semblaient avoir été couverts ; l’engagement du gouvernement israélien vis-à-vis la feuille de route et la solution des deux Etats ne faisaient pas de doute.

Alors, où est le problème ? La pièce manquante, le document capital qui sape toute solution à deux Etats viable, un facteur entrant dans les considérations stratégiques d’Israël mentionnées en passant par Olmert il y a quelques jours seulement, cette pièce manquante est la lettre de Bush d’avril 2004 adressée au premier ministre de l’époque Ariel Sharon.

Ce document, peu remarqué, a fondamentalement changé les paramètres de la teneur des discussions de tout « processus de paix » ainsi que les obligations incombant à Israël en vertu de la feuille de route. Le gouvernement israélien considère cette lettre comme l’élément majeur des efforts qu’il déploie pour garder les principales colonies empêchant ainsi toute possibilité de voir naître un Etat palestinien viable.

Au coeur de la lettre de Bush, qui a été ratifiée à la Chambre des Représentants par un vote de 407 à 9 voix et au Sénat par 95 voix à une, se trouve le passage suivant : « Étant donné la réalité sur le terrain, notamment l’existence de grands centres de population israélienne, il est chimérique de compter que l’issue des négociations sur le statut final se traduira par un retour complet aux lignes d’armistice de 1949 ».

En une phrase apparemment innocente annulant le retour obligatoire d’Israël à la Ligne verte (avec ajustements à convenir) qui aurait permis la création d’ un Etat palestinien viable, le Président Bush a sapé, de manière fatale et sciemment, la Résolution 242 des Nations unies, base même de la solution des deux États depuis 1967 ainsi que sa propre feuille de route,

La position étasunienne a été rejetée- quelle importance ? - par les trois autres membres du Quartette chargé de la feuille de route (ONU, Europe et Russie) mais Israël considère que selon cette position, il peut garder ses six principales colonies. Il y en a six ou sept : Jordan Valley, le bloc d’Ariel, le bloc Modi’in, les trois blocs qui constituent le Grand Jérusalem (Givat Ze’ev, Ma’aleh Adumim et le bloc Etzion /Efrat), et peut-être un saillant dans Hébron.

Alors, quand Olmert parle de se « conformer à la feuille de route » il parle du retrait de tout le territoire occupé extérieur à ces colonies, puisque la lettre de Bush les annexe en fait à Israël. La construction de bâtiments et de routes dans ces blocs de colonies ne constituent donc pas une infraction aux engagements d’Israël de geler la construction de colonies dans la première phase de la feuille de route, puisque ces colonies ne font plus partie du territoire occupé.

La superficie des blocs de colonies qu’Israël veut garder peut ne pas sembler étendue : entre 10 et 20% de la Cisjordanie, y compris le « Grand Jérusalem ». Mais ces terres sont capitales pour un Etat palestinien viable - et la « viabilité » fait partie du cadre de référence de la feuille de route.

Les blocs de colonies d’un « Grand Jérusalem » israélien enlèvent aux Palestiniens le coeur économique de leur futur Etat, puisque, selon la Banque mondiale, jusqu’à 40% de l’économie palestinienne dépend du tourisme à Jérusalem. Les autres blocs dépècent la Cisjordanie en trois « cantons » (appellation de Sharon puisque le Plan de Convergence d’Olmert, qu’il n’a jamais abandonné, est basé sur le plan de cantonisation de Sharon. Le bloc Jordan Valley, donne à Israël le contrôle de la frontière et de l’eau du Jourdain.

Effectivement, tout en acceptant la feuille de route, Olmert envisage un document très différent de celui des Nations unies, des Européens, des Russes et des Palestiniens eux-mêmes. Inhérente à la version israélienne du document figurent en annexe les « 14 réserves » qui en fait annulent la feuille de route en tant que véritable voie vers la paix.

La réserve numéro 5 par exemple dit « "L’Etat provisoire aura des frontières provisoires et certains aspects de souveraineté, il sera complètement démilitarisé, il n’aura aucune autorité pour engager des alliances de défense et de coopération militaire. Israël contrôlera toutes les entrées et sorties des personnes et des marchandises, tout comme son espace aérien et son spectre électromagnétique."

Finalement, les Palestiniens auront peut-être 80-90% de la Cisjordanie, mais ils n’obtiendront pas un Etat viable. Ils auront des bandes de territoire stériles tandis qu’Israël gardera le contrôle des frontières, du mouvement des personnes et des marchandises tant à l’intérieur de l’Etat palestinien qu’entre celui-ci et les pays limitrophes ; il gardera presque toute l’eau, l’espace aérien palestinien et jusqu’au contrôle de ses communications.

L’Etat palestinien est privé d’une économie viable. Comme 60% des Palestiniens ont moins de 18 ans et que ce mini-Etat doit absorber des centaines de milliers de réfugiés, il n’a aucune chance de viabilité, de stabilité et de véritable indépendance étant donné les paramètres défnis dans la lettre de Bush.

Il y aura un Etat palestinien. Du point de vue démographique, Israël doit se débarrasser des près de quatre millions de Palestiniens des territoires occupés. Il pourrait même essayer de faire un échange de quelques centaines de milliers de citoyens israéliens arabes du triangle de Galilée sous prétexte de donner plus de terres aux Palestiniens.

La question cruciale est la suivante : y aura-t-il un Etat viable ? S’il est vrai qu’Olmert compte qu’Israël gardera en permanence les blocs de colonies, un « Grand » Jérusalem israélien et le contrôle effectif de tout le pays jusqu’au Jourdain, nous remplacerons simplement l’occupation par une forme sophistiquée d’apartheid.

Le piège est dans les détails.

Jeff Halper

* Jeff Halper est le coordonnateur du Comité israélien contre les destructions de maisons.