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Le premier pays à légaliser la torture

Au sein des tribunaux militaires d’Israël

par Lisa Hajjar, maître de conférence et présidente du programme Loi et Société à l’université de Californie, Santa Barbara

samedi 3 novembre 2007

publié le vendredi 2 novembre 2007.

Les Etats-Unis, qui cherchent à redéfinir un équilibre entre sécurité et liberté dans la « guerre contre le terrorisme », devraient-ils suivre l’exemple d’Israël dans sa façon de traiter les détenus palestiniens ?

C’est ce que préconisent des avocats de détenus à Guantanamo, Avi Stadler et John Chandler d’Atlanté, et quelques autres. Que des personnes détenues par les Américains puissent être tenues au secret pendant des années sans inculpation, et qu’elles puissent être poursuivies ou détenues indéfiniment sur la base d’aveux arrachés par la torture, c’est plus qu’une honte nationale. C’est une attaque au fondement même d’un Etat de droit.

Mais le cas d’Israël dans sa réponse au terrorisme, bien qu’il soit complètement différent de celui des Etats-Unis, est au moins aussi honteux.

Bien avant le premier attentat suicide par les Palestiniens en 1994, Israël avait eu recours aux assassinats extrajudiciaires, aux démolitions de maisons, aux expulsions, aux couvre-feux et à d’autres formes de punitions collectives interdites par le droit international.

L’emprisonnement fut l’une des stratégies clé pour le contrôle israélien de la population palestinienne et depuis 1967, plus d’un demi million de Palestiniens ont été poursuivis par les tribunaux militaires qui sont bien loin des normes internationales pour des procès réguliers.

La plupart des condamnations sont basées sur des aveux obtenus par la contrainte et depuis des décennies, les méthodes d’interrogatoires israéliennes ont impliqué l’usage de la torture et de sévices. Des dizaines de milliers de Palestiniens n’ont jamais été poursuivis en justice, mais ont été à la place gardés en détention administrative pendant des mois voire des années.

Israël a eu la particularité infâmante d’être le premier Etat à « légaliser », publiquement et officiellement, la torture. Adoptant la recommandation d’une commission d’enquête israélienne en 1987, le gouvernement a donné son aval à ce qui est appelé pudiquement « des pressions physiques modérés », et des dizaines de milliers de Palestiniens en ont subi les conséquences.

En 1999, la Haute Cour israélienne a interdit l’utilisation systématique de ces « pressions physiques modérés ». Mais sa décision laissait la porte ouverte à la torture dans « des circonstances exceptionnelles ».

Ces méthodes, dont beaucoup ont été employées par les enquêteurs américains sur des prisonniers étrangers, notamment les enchaînements douloureux, le maintien dans des positions stressantes, la privation prolongée de sommeil, les variations de températures et de sons, et différentes formes de traitements dégradants et humiliants. Dans une interview de trois enquêteurs israéliens, publiée par le quotidien de Tel Aviv, Ma’ariv, en juillet 2004, l’un déclare que le Service général de la sécurité « utilise toute les manipulations possibles, jusqu’aux traumatismes et aux coups. »

Environ 10 000 Palestiniens sont emprisonnés en Israël et plus de 800 sont détenus administrativement. Leur famille de Cisjordanie et de la bande de Gaza n’ont pas le droit de venir en Israël, aussi les détenus palestiniens sont, dans ce sens, aussi isolés que les prisonniers de Guantanamo. La semaine dernière, la Cour suprême israélienne a ordonné à l’un des centres de détention les plus connus de permettre aux prisonniers un accès de 24 h aux toilettes.

Le système judiciaire militaire israélien se compare à celui établi par les Américains à Guantanamo que des avocats US comme Stadler et Chandler déplorent à bien des égards. En plus d’être soumis à des interrogatoires coercitifs pour arracher des aveux et pour justifier la garde en détention, les prisonniers en Israël peuvent être tenus au secret pendant des périodes prolongées, et les avocats se trouvent confrontés à des exigences de coût qui font obstacle à la visite de leurs clients.

Quand il arrive que les détenus soient conduits devant un juge militaire israélien, à un certain stade, le procès est alors particulièrement partial. De telles audiences ne servent qu’à prolonger la détention et se déroulent souvent dans les centres d’interrogatoire, et pas dans des tribunaux. Les détenus sont rarement assistés de leur avocat ou instruits de leurs droits, notamment de celui de pouvoir se plaindre des mauvais traitements ou revendiquer son innocence. L’absence de cette déclaration d’innocence à l’audience peut être utilisée comme une preuve de culpabilité.

Toute information, même des on-dit et des déclarations sous la torture par d’autres prisonniers, peut être utilisée pour condamner ou détenir administrativement les Palestiniens.

Si nous devons tirer quelque chose, alors, de l’expérience israélienne, ce doit être peut-être que la torture et la détention arbitraire ou illimitée exacerbent un conflit et constituent une menace pour les civils.

Les Américains devraient être fiers du noble travail des avocats de Guantanamo qui font pression afin de rétablir l’engagement du gouvernement des Etats-Unis à la primauté du droit. Si ces avocats souhaitent tirer un exemple approprié d’Israël, ce ne doit être ni le gouvernement ni le système judiciaire militaire.

En réalité, ce sont les communautés israéliennes et palestiniennes pour les droits humains qui travaillent depuis des décennies pour faire respecter les droits humains et donner la primauté au droit.

Lisa Hajjar est maître de conférence et présidente du programme Loi et Société à l’université de Californie, Santa Barbara