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On-the-Left-Side, octobre 2007

L’héritage de Rabin, tout autour, la tempête fait rage

par Gideon Spiro

mardi 23 octobre 2007

La semaine prochaine, l’Etat d’Israël commémorera le 12e anniversaire de l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin, selon la date hébraïque. Les cérémonies officielles, tout comme le rassemblement sur la place Rabin, vont se dissoudre dans le consensus. La famille Rabin a tout fait pour ramener « le cher Yitzhak » au sein de l’unanimité nationale. Ce qui allait alors de soi pour les gens de la Gauche radicale est aujourd’hui repris par beaucoup, parce que l’opposition présente, avant l’assassinat, entre lui et les colons autour des accords d’Oslo, était largement imaginaire.

Les colons attribuaient à Rabin des intentions qui n’étaient absolument pas les siennes. Il n’a pas évacué une seule colonie, il n’a pas mis en œuvre une seule phase importante des accords qui n’offraient, de toute façon, aucune trace des questions centrales (réfugiés, frontières, Jérusalem) et pour autant qu’il m’en souvienne, il n’a jamais fait mention des mots « Etat palestinien » comme d’un objectif politique, il ne s’est bien évidemment pas retiré aux lignes de l’armistice, la fameuse Ligne Verte.

La Droite a réussi à transformer ces cérémonies en tribune du haut de laquelle se font entendre les appels à « l’union nationale » et qu’il est interdit de « déchirer le peuple ». Les représentants du parti Travailliste multiplient, le même jour, les discours sur la démocratie (pour les Juifs uniquement, bien sûr, puisque l’apartheid et l’occupation se poursuivent avec leur bénédiction) et élèvent Rabin au statut d’homme de paix bien au-delà de ce qu’il mérite.

Nul doute que du point de vue de Rabin – qui était un militaire et avait été un Ministre de la Défense briseur d’indépendance lors de la première Intifada – la signature des accords d’Oslo constituait un tournant vers un regard différent sur le conflit, mais c’est encore loin d’en faire « un homme de paix marchant d’un pas décidé vers la conclusion du conflit », selon ce que la rhétorique officielle a bâti autour de lui.

Le rassemblement de la place Rabin, organisé à la date de l’assassinat selon le calendrier grégorien (soit le 4 novembre) et qui était censé avoir une couleur politique plus évidente, non pas rouge éclatant mais au moins rose, a été lui aussi aseptisé avec les années et englouti par le consensus sacré, au point que même des représentants de la Droite ont été invités à y tenir un discours. Seules les organisations de la gauche extérieure au gouvernement, qui distribuent leurs publications au cours du rassemblement, rappellent les fondements du désaccord et ce pour quoi nous combattons.

A ma grande désolation, on ne peut échapper à la conclusion selon laquelle l’assassinat de Rabin est jusqu’à présent un succès impressionnant. Il a réussi à arrêter tout véritable processus de paix même s’il n’en était encore qu’à un stade embryonnaire.

Les admirateurs de Rabin n’arrêtent pas de parler de « l’héritage de Rabin », mais il faut dire la vérité : c’est d’une prétention sans fondement. Rabin n’est pas un politicien ni un intellectuel ayant laissé un héritage. Il suffit de voir les héritiers de Rabin, ceux que même sa famille reconnaît comme tels – Peres et Barak – qui ont travaillé dur pour stopper, saboter et détruire tout ce qui pouvait comporter une quelconque indication d’un « danger de paix ».

Ehoud Barak est l’homme qui a contribué à ruiner la Gauche et à renforcer la Droite avec son slogan « il n’y a pas de partenaire », à son retour de l’échec des négociations de Camp David. La période pendant laquelle il a rempli la fonction de Premier ministre s’est caractérisée par un investissement énorme dans les colonies, par l’assassinat de civils palestiniens au début de la seconde Intifada et aussi par le meurtre de 12 citoyens israéliens au cours des événements d’octobre 2000.

Peres a participé à tous les gouvernements qui ont aggravé, durci l’occupation et il a été de ceux qui ont décidé et appuyé la seconde guerre au Liban, avec ses crimes et ses folies.

Héritage du bellicisme.

Le Centre Yitzhak Rabin pour l’héritage d’Israël, qui a été établi par une loi du Parlement et est financé par le budget de l’Etat, est une garantie qui ne devrait pas trop assombrir l’humeur nationale. La composition du conseil d’administration et du conseil public est un chef d’œuvre de distribution politique « équilibrée ». Le Premier ministre délègue ses représentants, de même que le Ministre de l’Education. Vous trouverez là des gens de droite, comme l’ancien Ministre des Finances du gouvernement Netanyahou et ami des colons, le professeur Yaakov Neeman ; le général de réserve Amos Yaron, l’un des criminels de la première guerre du Liban et, jusqu’il y a peu, le directeur général du Ministère de la Défense ; l’ancien directeur de la Sécurité générale (Shabak), spécialiste en matière de torture, et le millionnaire du jour Yaakov Peri ; et de l’autre côté, A. B. Yehoshua et autres semblables. Ce n’est pas de là que sortira un véritable tournant.

Face au défunt Yitzhak Rabin, son meurtrier : Yigal Amir. Tous deux sont devenus, sans le vouloir, des espèces de frères siamois. Il est quasi impossible de parler de l’un sans mentionner l’autre.

Yigal Amir a le droit d’éprouver de la satisfaction. Il est parvenu à perpétrer son dessein et à rester en vie. Le nombre de ses sympathisants ne cesse de croître. Un site Internet portant son nom existe depuis longtemps. Selon ce qu’indiquent les derniers sondages, il a droit à l’affection grandissante du public religieux. Il a réussi dans sa mission politique. Le processus de paix, s’il y a jamais eu quelque chose de cet ordre, a été interrompu et détruit pour de nombreuses années. Yigal Amir n’a aucune raison d’exprimer de regret.

Même dans sa vie personnelle, il peut se créditer d’une réussite. Il s’est marié et son épouse, qui doit accoucher d’un garçon, en est aux dernières étapes de sa première grossesse.

Dans la presse, on traite abondamment de questions piquantes comme la date de la naissance de son fils, qui pourrait – qui sait ? – tomber le jour anniversaire de l’assassinat de Rabin. Les discussions autour de l’hypothèse que la chose serait même programmée ne sont, selon moi, que balivernes et j’accepte l’explication donnée par son épouse selon laquelle celui qui a fixé les dates, c’est le service des établissements pénitentiaires qui a retardé de trois ans le moment de leur union.

Ces mêmes admirateurs de Rabin qui se tiennent pour des pacifistes, du côté du Meretz, de la Paix Maintenant et des marges du parti Travailliste, produisent beaucoup de vapeur à s’occuper d’Yigal Amir. A leur instigation, le Parlement a promulgué une loi interdisant sa libération ; son destin est de pourrir en prison jusqu’au jour de sa mort.

Se focaliser ainsi sur l’assassin, jusqu’à légiférer pour lui personnellement, est une erreur. Je ne pense pas que le sang de Rabin était plus rouge que celui d’autres personnes assassinées – celui du millier d’enfants palestiniens assassinés par l’armée israélienne d’occupation (et pour lequel personne n’est en prison), celui des sept ouvriers palestiniens assassinés par Ami Popper (qui a déjà eu droit à de nombreux congés), celui des Palestiniens citoyens d’Israël assassinés par des policiers lors des événements d’octobre 2000 (aucun de ces policiers n’a fait de la prison), celui des femmes assassinées par leur mari, celui des vieillards assassinés par des voleurs, celui de cet enfant, Oren Yarden, qui a été assassiné par Zvi Gour, celui de cette touriste, Mela Melavski, assassinée dans le cadre d’un vol, par Hava Yaari (qui a été libérée après 14 ans de prison), celui de Hodaya Kedem, âgée de deux ans, assassinée par son père, Eli Feimstein, qui l’a noyée dans sa baignoire, et la liste est longue.

Il est de coutume dans les pays civilisés que des assassins soient libérés après une détention prolongée, d’une vingtaine d’années. Il n’y a aucune raison d’appliquer un autre standard à Yigal Amir.

Qui plus est, Yigal Amir n’est que celui qui, en bout de course, a appuyé sur la détente du revolver, mais il n’est pas le seul meurtrier. Les rabbins qui ont lancé contre Rabin un arrêt de mort (« din rodef ») ainsi que ceux consultés par Amir et dont il avait reçu le feu vert, ne sont pas moins coupables, et selon moi, ils le sont davantage mais ils ont échappé à toute peine : pas de procès, pas de condamnation et pas de détention. Ils continuent d’empoisonner l’appareil politique israélien avec des idées de meurtre, de transfert, d’occupation et d’apartheid.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)