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Les enfants de l’an 5767 - A lire absolument avant de se regarder dans la glace ! (ndlr)

Implacable réquisitoire d’un Israélien contre l’armée israélienne tueuse d’enfants (entre autres) (ndlr)

par Gideon Lévy, Haaretz

lundi 22 octobre 2007

Il faut absolument lire ce document qui fait voler en éclat la trés épaisse couche de supercherie médiatique soigneusement accumulée par Israël et ses alliés qu’ils soient déclarés ou (pire) sournoisement silencieux.

La déclaration du reporter français qui était sur l’un des lieux du crime vaut son pesant d’encre indélébile et témoigne, s’il en était encore besoin, de la parfaite connaissance de la situation par les médias hexagonaux et par là même de la lâcheté et de la manipulation dont ils sont respectivement à qualifier et victimes, « le haut-lieu » et les marchands de canons estimant le peuple français incapable de supporter le récit ou l’illustration de telles horreurs.

Tout autre commentaire est superflu !

M.F.

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Depuis Mohamed A-Zac, de Sajayah, un enfant de 14 ans qui a été enterré deux fois, à chaque fois la moitié d’un corps, en passant par Boushra Bargis abattue dans sa chambre d’une balle dans la tête tandis qu’elle se préparait pour un examen, jusqu’à Mahmoud Al-Krinawi, 10 ans, tué dans un figuier. 92 enfants tués. Rapport annuel.

Cela aura été une année calme, relativement. Seulement 457 Palestiniens tués et dix Israéliens - selon l’organisation B’Tselem - y compris ceux qui ont été tués par des roquettes Qassam.

Moins de tués que la plupart des années précédentes, mais cela aura été une année terrible : 92 enfants palestiniens tués (aucun enfant israélien n’a, par chance, été tué par les Palestiniens, malgré tous les Qassam). Un cinquième des Palestiniens tués sont des enfants et des adolescents - une proportion dont il n’y avait quasiment pas eu d’exemple. L’an 5767. Presque une centaine d’enfants qui jouaient encore au nouvel an [juif] passé et qui n’auront pas atteint ce nouvel an-ci.

Un an, près de 8.000 kilomètres à bord de la petite Rover blindée du journal, sans compter les centaines de kilomètres parcourus à bord du taxi, une vieille Mercedes jaune, de Mounir et Said, nos chauffeurs dévoués à Gaza. Nous avons vu comment l’occupation célébrait en silence son 40e anniversaire. Quarante. Personne ne pourra plus dire qu’il s’agit d’un fait temporaire, passager. Israël, c’est l’occupation ; l’occupation, c’est Israël. Nous sommes partis sur la trace de combattants, en Cisjordanie et à Gaza, semaine après semaine, essayant de rendre compte des méfaits des soldats de l’armée israélienne, des garde-frontière, des interrogateurs de la Sécurité générale et des gens de l’Administration civile, la grande et puissante armée d’occupation qui laisse derrière elle la mort et des destructions terribles, cette année comme chaque année, depuis 40 ans.

Et cette année aura été l’année des enfants tués. Nous ne nous sommes pas rendus chez tous, seulement chez une partie d’entre eux, maisons endeuillées de parents qui pleurent amèrement leurs enfants qui étaient montés dans le figuier de la cour de la maison, qui étaient assis sur le banc dans la rue, qui préparaient dans leur chambre à coucher leur examen de fin d’études, qui étaient sur le chemin de l’école ou qui dormaient dans la sécurité imaginaire du giron maternel.

Une minorité d’entre eux lançaient aussi des pierres sur une jeep blindée ou touchaient à une clôture interdite. Sur tous, on a ouvert le feu à balles réelles, pour partie de manière délibérée et en visant, les fauchant dans leur jeune âge. De Mohamed (A-Zac) à Mahmoud (Al-Krinawi), depuis l’enfant enterré deux fois à Gaza jusqu’à l’enfant enterré en Israël dont nous avons parlé la semaine dernière - histoires des enfants de 5767.

Le premier d’entre eux a été enterré deux fois. Abdallah A-Zac a identifié la moitié du corps de son fils Mahmoud à la morgue de l’hôpital Shifa de Gaza, d’après la ceinture et les chaussettes qu’il portait. C’était peu avant le précédent nouvel an. Le lendemain, quand l’armée israélienne a achevé avec « succès » l’opération « Jardin fermé » - laissant derrière elle 22 tués et un quartier en ruines - et qu’elle est sortie de Sajayah, à Gaza, le père endeuillé a trouvé les autres restes du corps de son fils et les a apportés pour un second enterrement.

L’enfant avait 14 ans quand il est mort coupé en deux. Il a été tué trois jours avant le début de l’année scolaire. Voilà comment nous avions accueilli la nouvelle année 5767. A l’hôpital Shifa, nous avons vu des enfants amputés des jambes, paralysés, sous assistance respiratoire. Des familles ont été tuées dans leur sommeil, à dos d’âne, ou travaillant au champ - « Jardin fermé » et « Pluies d’été », vous souvenez-vous ? Cinq enfants ont été tués lors de l’opération portant le nom diabolique de « Jardin fermé » - jamais encore il n’y avait eu de « jardin fermé » si peu plaisant à voir. Une semaine durant, les gens de Sajayah ont vécu dans une terreur comme jamais les habitants de Sderot n’en ont connue de semblable - sans vouloir faire insulte à leur angoisse.

Le lendemain du nouvel an [juif], nous nous étions rendus à Rafah. Dam Al-Az Khamad, une enfant de 14 ans, avait été tuée dans son sommeil, blottie dans les bras de sa mère, quand un missile israélien avait fait voler une poutre en béton qui l’avait atteinte à la tête. Elle était la fille unique de sa mère paralysée, tout son pauvre univers. Dans la maison scandaleusement misérable du quartier Brésil, à la limite de Rafah, au bout du monde, nous avons rencontré la mère, posée comme un sac sur son lit, avec les restes de son univers détruit sur elle. Au reporter de la première chaîne de la télévision française qui m’accompagnait, j’avais dit, sur le seuil de la maison, que c’était un de ces moments où j’avais honte d’être israélien. Le lendemain, il m’avait téléphoné : « On n’a pas diffusé vos paroles par crainte des spectateurs juifs en France ».

Peu après, nous avons rendu visite, lors de la fête de l’Ayd al-fitr, à la famille Razal, dans le quartier Draj, au centre de Gaza, à une heure et demie de Tel Aviv. Il n’y a rien dans la maison. La grand-mère avait acheté deux poissons salés pour 10 shekels [ 1,75 ?], cadeau pour la fête. Amani, la mère de la famille, avait posé pour la photo avec son butin. 13 personnes et 2 petits poissons. Il y avait aussi des mets d’accompagnement : tomates et oignon frit. En chour, les enfants avaient imploré pour avoir du jus sucré. Joyeuses fêtes.

A Jérusalem, nous sommes allés rendre visite à Maria Aman, la petite miraculée de Gaza dont presque toute la famille a été anéantie par un missile criminel qui visait peut-être un homme recherché mais qui a atteint une famille innocente à bord d’une voiture. Tout dévoué, son père, Hamdi, est auprès d’elle. Déjà un an et demi passé dans ce fantastique hôpital « Alyn », où elle a appris à nourrir un perroquet avec sa bouche et à actionner de son menton son fauteuil roulant. Tous ses autres membres sont paralysés et elle est reliée nuit et jour à une machine d’assistance respiratoire. Elle est orpheline de mère et de la plupart des membres de sa famille anéantie. C’est une fillette joyeuse et dorlotée, dont le père redoute le jour où, le ciel les préserve, ils seront renvoyés à Gaza.

En attendant, ils sont en Israël. De nombreux Israéliens se sont dévoués pour Maria, lui rendant régulièrement visite. Une présentatrice d’émissions de radio, Lea Lior, l’a emmenée, il y a quelques semaines, à bord de sa voiture pour voir la mer à Tel Aviv. C’était une fin de shabbat [un samedi soir], le quartier était noir de monde mais la fillette dans son fauteuil roulant suscitait la curiosité. Plusieurs personnes l’ont reconnue et se sont arrêtés pour lui souhaiter plein de choses. Peut-être le pilote qui a tiré le missile sur sa voiture est-il passé par là lui aussi ?

Tout le monde n’a pas eu droit à des soins comme ceux reçus par Maria. A la mi-novembre, quelques jours après le bombardement de Beit Hanoun - vous en souvenez-vous ? - nous sommes allés dans la petite ville battue et ensanglantée. 22 tués en un instant, 11 obus criminels sur une bourgade surpeuplée et serrée. Islam, 14 ans, était assise là, vêtue de noir, abattue et pleurant la mort de huit membres de sa famille tués dans le bombardement, dont sa mère et sa grand-mère. Ceux que ce bombardement a rendus invalides n’ont pas obtenu d’aller à l’hôpital « Alyn ».

Deux jours avant le bombardement de Beit Hanoun, nos forces avaient encore tiré un missile sur le minibus du jardin d’enfants Indira Gandhi à Beit Lahiya. Deux passants - deux élèves - avaient été tués sur le coup. L’institutrice maternelle, Najwah Khaliaf, était morte quelques jours plus tard. Elle avait été blessée sous les yeux des 20 petits enfants, ceux de son jardin d’enfants qui étaient assis dans le minibus. Après sa mort, les petits avaient dessiné leur institutrice maternelle : une rangée d’enfants étendus par terre et perdant leur sang avec à leur tête leur institutrice et un avion israélien les bombardant. Dans le jardin d’enfants Indira Gandhi - une institutrice de 35 ans à qui ses parents avaient donné le nom de la dirigeante indienne - nous avons pris congé de Gaza. Nous ne sommes pas parvenus à y retourner depuis.

Mais les enfants sont arrivés chez nous. En novembre, 31 enfants ont été tués dans la Bande de Gaza. L’un d’entre eux, Ayman Al-Mahadi, est mort à l’hôpital « Shiba » de Tel Hashomer où il avait été transféré dans un état critique. Seul son oncle avait été autorisé à être à ses côtés dans ses derniers jours. Elève de 5e, il était assis avec ses copains sur un banc d’une rue de Jebaliya, à côté de son école. Une balle de mitrailleuse tirée depuis un char l’a atteint. Il avait 10 ans.

Des soldats de l’armée israélienne ont tué des enfants en Cisjordanie également. L’enfant aux chevaux du nouveau camp d’Askar, ils lui ont tiré une balle dans la tête. Il avait 14 ans quand il est mort en décembre dernier. Avec ses copains, il lançait des pierres sur une jeep blindée qui passait près du camp, non loin de Naplouse. Le conducteur de la jeep avait excité les enfants, ralentissant puis redémarrant, ralentissant puis redémarrant, jusqu’à ce qu’un soldat sorte de la jeep, vise l’enfant à la tête et tire. Les chevaux de Jamil se retrouvent orphelins, comme toute sa famille en deuil.

Et qu’a fait le jeune Taha Aljawi, pas encore 17 ans, pour être tué ? L’armée a prétendu qu’il avait essayé d’endommager la clôture de fil de fer qui entoure le champ d’aviation abandonné d’Atarot ; ses amis ont rapporté qu’ils jouaient au football et que Taha était allé rechercher le ballon. Dans tous les cas, la réaction des soldats fut prompte et ferme : une balle dans la jambe l’a laissé perdre son sang pendant une longue heure de souffrances, jusqu’à sa mort, étendu dans le fossé boueux du bord de la route. Pas un mot de regret, pas un mot de condamnation dans la bouche du porte-parole de l’armée israélienne, quand nous nous sommes adressés à lui. Tirs à balles réelles, et sans avertissement, sur des enfants sans armes qui ne mettaient personne en danger.

Abir Aramin était plus jeune encore : 11 ans seulement. Fille d’un militant de l’organisation « Combattants pour la paix », elle était sortie de son école à Anata, en janvier dernier, et allait acheter des sucreries dans un magasin. Depuis une jeep de garde-frontière, une arme a été brandie, les garde-frontière ont ouvert le feu et l’ont tuée. Bassam, son père, nous avait dit alors, les yeux mouillés et la voix étranglée : « Je me suis dit que je ne voulais pas me venger. La vengeance serait que ce ’héros’ que ma fille a ’mis en danger’ et qui a tiré sur elle, comparaisse en justice ». Mais il n’y aura pas de procès : il y a quelques jours, les autorités ont annoncé la fermeture du dossier. Les garde-frontière se sont comportés comme il faut. « Je ne vais pas exploiter le sang de ma fille à des fins politiques. C’est l’appel d’un homme. Je ne perdrai pas mon cerveau parce que j’ai perdu mon cour », nous a encore dit ce père en deuil dont de nombreux amis sont israéliens.

A Naplouse, nous avons rapporté l’emploi qui était fait d’enfants comme boucliers humains, la « procédure du voisin », avec une fillette de 11 ans, un garçon de 12 ans et un adolescent de 15 ans. Qu’en est-il alors de l’interdiction prononcée par la Cour suprême ? A Kafr Ayn, nous avons rapporté la mort du petit Khaled dont les parents, Sana et Daoud Pakiah, avaient tenté de transporter d’urgence à l’hôpital, au milieu de la nuit, à une heure où il est interdit a,ux bébés palestiniens de tomber malade. Le bébé était mort à un barrage. Bingo également au village des martyrs, le village d’Al-Shuhada, au sud de Jénine : Ahmed Asasa y avait fui les soldats qui étaient entrés dans le village, en mars. Un tireur d’élite l’avait visé dans sa fuite, une balle dans le cou. 15 ans.

Boushra Bargis n’est même pas sortie de chez elle. Fin avril, elle se préparait pour l’examen de fin d’études de langue, ses cahiers à la main, allant et venant dans sa chambre, dans le camp de réfugiés de Jénine, tôt dans la soirée, et le tireur d’élite a tiré sur elle, de loin, une balle au milieu du front. Ses cahiers ensanglantés, parchemins de sang, restent comme ultime souvenir d’elle.

Et des foetus ? Des foetus aussi. Une balle dans le dos de Maha Katouni, une femme au septième mois de grossesse qui s’était levée pour protéger ses enfants, chez elle, et la balle est entrée dans la tête du bébé qu’elle portait et l’a fracassée à l’intérieur de son utérus. A l’hôpital Rafidya de Naplouse, la mère blessée et en deuil était alitée, reliée à des tuyaux. Daoud est le nom qu’elle comptait donner à son fils qui n’est pas né. Le meurtrier d’un fotus est-il un meurtrier ? Et quel âge avait la victime ? D’une manière ou d’une autre, c’était le plus jeune des nombreux enfants qu’Israël a tués au cours de l’année écoulée. Bonne année.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)