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Paix et Justice au Moyen-Orient (volet N°57)

Aujourd’hui : Du « chaos constructif » à la pagaille

Notre rubrique géopolitique

dimanche 21 octobre 2007

Strasbourg, le 21 octobre 2007

La semaine écoulée fut extrêmement riche en événements : préparation de la réunion d’Annapolis aux Etats-Unis sur le conflit israélo-palestinien ; voyage de Poutine, président russe, en Iran ; menace d’intervention turque au Nord de l’Irak ; retour d’exil de Benazir Bhutto au Pakistan le 18 octobre, au cours duquel elle a échappé à un attentat meurtrier ; démission d’Ali Larijani, négociateur iranien (dossier nucléaire) et son remplacement par Saïd Jailli, vice ministre des affaires étrangères.

La Russie, puissance eurasienne, est une puissance atypique. Asiatique et concurrente directe des puissances anglo-saxonnes (britannique et américaine), elle est vue avec méfiance par les puissances occidentales qui, à l’occasion, n’hésitent pas à l’encercler, à s’introduire dans son « pré carré », à la déstabiliser et à contrôler ses portes d’accès aux « mers chaudes ». A ce titre, la Russie se trouve dans le même camp que la Chine et l’Iran.

Européenne, la Russie est foncièrement colonialiste. En 1978, profitant de l’affaiblissement des Etats-Unis, la Russie a envahi l’Afghanistan et mis la main sur l’Angola et l’Ethiopie.

Peu de temps après leur défaite vietnamienne, les Etats-Unis ont reconquis le terrain perdu, poussant les Russes à la défensive. Après avoir « perdu » sa souveraineté sur l’Asie centrale (installation de bases militaires américaines), puis la Géorgie et l’Ukraine, la Russie est actuellement menacée par la prochaine installation d’une base d’antimissiles américains en Pologne et de radars de détection de lancement de missiles en République tchèque. D’autant plus que l’Occident cherche fébrilement à arracher la Biélorussie, le dernier pays européen resté encore dans le giron russe.

L’attitude de la Russie à l’encontre de l’Iran est révélatrice de l’ambiguïté historique de la position russe. D’une part, pour donner satisfaction aux Occidentaux, elle retarde l’achèvement de la centrale nucléaire de Bouchehr et, d’autre part, pour aider l’Iran à faire face aux menaces occidentales, elle renforce le potentiel militaire de l’Iran où la Russie détient d’importantes parts de marché nucléaire, civil et militaire.

Le soutien, même timide, apporté à l’Iran au Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que la collaboration avec la Chine au sein du Conseil de coopération de Shanghai, montrent bien l’agacement de la Russie face à l’attitude humiliante occidentale à son égard. Il est à souligner que par oligarques pro-occidentaux interposés, la Russie a failli perdre sa souveraineté sur ses richesses naturelles.

Tout porte à croire que l’affaiblissement des Etats- unis en Irak, son impasse afghane et ses déboires pakistanais, encouragent la Russie à créer une grande alliance russo-iranienne en vue de résister aux menaces américaines, sur son flanc ouest et sud, voire de passer à l’offensive. Le remplacement d’Ali Larijani, négociateur iranien sur le nucléaire, et son remplacement par Saeed Jalili, un proche du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, serait-il un signe du raidissement de l’Iran, sûr du soutien russe, après le voyage de Poutine en Iran ?

Toujours est-il que des signes de pagaille régionale, conséquence de l’affaiblissement des positions américaines au Moyen-Orient, se multiplient.

Peut-on résumer les menaces d’intervention turque en Irak à son désir d’en découdre avec les maquisards Kurdes du PKK ? Pas sûr si l’on se réfère aux propos de Mullah Bakhtiar, responsable des relations internationales pour l’Union patriotique du Kurdistan (UPK, dirigé par Jalal Talabani, président d’Irak). « « Le PKK n’est qu’un prétexte » à cette intervention. Le nœud de la crise est « la question du fédéralisme en Irak, plus précisément, la question de la ville de Kirkouk (…) Cette riche cité pétrolifère pourrait assurer l’indépendance économique de la région kurde. « Pour la Turquie, il s’agit d’une ligne rouge » » (Le Monde du 20/10/07). Suite au fiasco irakien des Etats-Unis et à sa défaite morale, la Turquie, soutenue par l’Iran, se prépare à briser dans l’oeuf toute velléité de séparatisme au Kurdistan irakien, nuisible à son intégrité territoriale.

A son tour, P. Musharraf, président pakistanais, incapable de venir à bout des résistants islamistes, met le pays au bord de la pagaille généralisée. L’attentat suicide visant Benazir Bhutto le 18 octobre « n’est que le dix-neuvième attentat dans le pays depuis l’assaut contre la mosquée Rouge d’Islamabad en juillet » (Françoise CHIPAUX- LM du 20/10 /07). En faisant revenir B. Bhutto au Pakistan, les Etats-Unis espèrent pouvoir circonscrire l’incendie révolutionnaire qui menace d’embraser le pays tout entier. En effet, « B. Bhutto accorde aux Etats-Unis un quasi droit d’intervention dans les zones tribales » (même référence). Or, la dictature de Musharraf puise sa « force » dans la corruption, le népotisme et la terreur fasciste. Frédéric BOBIN, journaliste, rapporte dans Le Monde du 7-8/10/07 q’un des soutiens de Musharraf se nomme « Muttahida Quami Movement » (MQM) qui contrôle une banlieue sinistrée de Karachi. Ce parti est connu pour ses pratiques violentes, voire terroristes. Le MQM contrôle la mairie de Karachi et co-dirige la province du Sind, dont la cité est le chef-lieu. Selon un journaliste local, qui préfère ne pas être cité, le MQM « c’est un parti de type fasciste » qui a mis Karachi en coupe réglée. Bombarder les zones tribales pour sauver le régime de Musharraf revient à casser le thermomètre pour sauver le malade. Avec Musharraf, B. Bhutto et les Etats-Unis, la pagaille au Pakistan a un « bel avenir ».

La situation n’est pas meilleure en Palestine. La soi-disant « réunion internationale » en novembre aux Etats-Unis, ressemble plutôt à un rassemblement d’urgence des « amis » des Etats-Unis (Israël, Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, etc.) autour d’une table afin de combattre les incendies qui risquent de s’étendre à toute la région, qu’à une tentative de résoudre la question palestinienne. Pour faciliter la présence des Saoudiens autour d’une table avec l’ennemi sioniste, il est possible que les Israéliens fassent de petites concessions aux Palestiniens, qui seront de toute façon à mille lieux de mettre fin au régime d’apartheid et à la colonisation israélienne. Tout porte à croire que l’impasse palestinienne perdurera, favorisant du coup le développement de l’influence du Hamas en Cisjordanie.

Aux Etats-Unis même, les tensions sont fortes au sein de l’administration Bush, secouée par des démissions, des révélations sur la torture, des prisons secrètes, des pratiques anti-constitutionnelles de la clique au pouvoir à la Maison Blanche et le « déséquilibre » de l’armée américaine. La pagaille menace l’Empire qui, selon Tony Judt, professeur d’études européennes à l’université de New York (LM du 19/10/07), a commis « la plus grave erreur diplomatique jamais commise par les Etats-Unis ».

Le comité de rédaction