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Méthode Coué

Une nation morale !

par Alternative Information Center (AIC)

lundi 24 septembre 2007

Malgré le fiasco de l’agression de l’été dernier contre le Liban et le nombre colossal d’accusations de corruption portées contre les membres de la direction politique israélienne, la population d’Israël se dit quand même satisfaite. Un sondage d’opinions réalisé par le prestigieux Mina Tsemah Center et publié dans le quotidien Yediot Aharonot révèle un haut niveau de satisfaction parmi la population israélienne, on peut même parler de bonheur.

86 % des Israéliens interrogés répondent qu’ils sont heureux ; 67 % qu’ils sont satisfaits de leurs conditions économiques ; 74 % qu’ils sont sûrs qu’Israël existera toujours dans un avenir lointain, et presque autant rejettent l’idée de quitter Israël. Enfin, 84 % disent qu’ils sont fiers d’être Israéliens.

D’un autre côté, la popularité du Premier ministre Olmert est très basse et, en général, la direction politique, comme la direction militaire, n’est pas très appréciée par les citoyens israéliens.

Que peut-on apprendre de ce scrutin confirmé par plusieurs autres enquêtes et rapports récemment publiés par les médias israéliens ?

La première conclusion, et la plus importante, concerne la situation objective d’Israël : à la veille de son 60è anniversaire, Israël semble tenir la bonne forme. Au niveau de la sécurité individuelle, on ne se souvient même pas avoir connue une meilleure période : aucune opération militaire à l’intérieur du territoire israélien, aucun attentat suicide et même très peu d’opérations de l’armée sur les territoires occupés palestiniens. Au niveau de la sécurité nationale, Israël ne paraît menacé par aucun de ses voisins et les tensions avec la Syrie sont à 100 % à l’initiative des Israéliens. Economiquement, bien que selon l’Institut national des Assurances d’Israël le taux de pauvreté se situe entre 20 et 25 % de la population, la majorité vit très bien, avec un niveau de vie plus élevé que dans certains pays de l’Union européenne, et l’économie se porte bien (plus de 5 % de croissance annuelle ces 3 dernières années). Enfin, et ce n’est pas rien, la situation internationale d’Israël n’a pas été aussi bonne depuis le début des années 70 et les adversaires traditionnels de la politique israélienne, dans le tiers-monde comme en Europe (en France), soutiennent cette politique aujourd’hui. « Jamais, notre situation n’a été aussi bonne » a pu légitimement déclarer Simon Peres, président d’Israël, dans son allocution à la nation pour le Nouvel An juif.

Plus révélateur est l’effet qu’a cette situation objectivement favorable sur le moral de la nation : il y a dix ans, la tendance à quitter le pays était forte (même seulement par la pensée) et beaucoup de ses habitants avaient une perception de leur pays nettement négative. De nos jours, les Israéliens sont, en général, fiers et satisfaits des réalisations de leur Etat et de leur société.

Ce n’est pas le cas néanmoins pour ce qui concerne la direction politique (et militaire) qui, selon le même sondage d’opinions, n’est pas du tout estimée : Olmert est généralement méprisé par l’opinion, l’ancien ministre de la Défense et ancien dirigeant du Parti travailliste, Amir Peretz, est l’objet d’un nombre incroyable de plaisanteries, et l’ancien chef de l’armée israélienne, le major général Dan Halutz, est présenté dans la presse comme un « chef d’état-major déséquilibré ». Quant aux dirigeants politiques qui pourraient potentiellement remplacer cette direction ratée, ils sont encore pires, ils n’ont aucune intelligence politique - comme ils l’ont confirmé lorsqu’ils étaient aux commandes. De plus, Netanyahu et Barak ont deux gros défauts, l’aventurisme et l’arrogance.

L’énorme fossé existant entre la perception positive de l’ensemble des citoyens de la situation du pays, et celle, négative, de sa direction, génère un effet important de « dépolitisation » de l’opinion israélienne : aux yeux de la majorité, les politiques ne sont plus dans le coup, c’est comme si la société civile s’était elle-même complètement déconnectée des questions politiques, lâchant des politiciens incongrus... et l’appareil chargé de sa sécurité.

Une telle tendance peut avoir des conséquences dangereuses, spécialement quand cet appareil de sécurité se prépare, derrière l’écran du secret, à une aventure militaire contre la Syrie et/ou contre l’Iran. Dans un pays comme Israël, politique veut souvent dire guerre, et, comme nous le rappelle la dernière contre le Liban, la guerre n’est pas un jeu réservé aux seuls militaires, elle frappe en plein la population civile et affecte énormément l’avenir. La société civile israélienne ne peut se payer le luxe fantasmatique d’ignorer la politique, car la politique, et ses coûts, et ses conséquences, sont comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.

Y a-t-il encore des limites ?

En lisant Ha’aretz, cette semaine, je me suis demandé si nous étions arrivés à un moment de l’histoire israélienne où les limites ultimes aux convenances et à l’humanité s’étaient estompées. L’existence des dingues d’extrême droite n’est certainement pas une nouveauté, ni en Israël ni en d’autres pays du monde. Mais le fait qu’un quotidien estimé comme Ha’aretz ait ouvert ses pages, deux jours de suite, à de tels fanatiques doit nous inquiéter.

Le 16 septembre, l’ancien chef du centre d’études politiques du ministère des Affaires étrangères, Arie Levin, a publié un édito intitulé « Missile pour missile ». Il écrit : « Si le gouvernement du Hamas, ou les factions du Fatah, ou d’autres groupes, utilisent largement des missiles et des roquettes pour frapper les populations civiles, leur population civile ne sera pas épargnée non plus. Nous devrons exercer des représailles. A chaque Qassam qui cible la population civile, il faut répondre par des tirs d’artillerie sur le territoire de Gaza, les pertes accidentelles seront ce qu’elles seront. » Afin de justifier cette incitation à commettre des crimes de guerre, Levin prend un exemple qu’il tire de l’épouvantable guerre entre l’Iran et l’Iraq : « Vers la fin de la guerre Iraq/Iran, l’ayatollah Khomeini refusait d’arrêter les combats malgré les pressions de ses collaborateurs. Il n’a accepté de commencer des négociations que lorsque Saddam Hussein a décidé de lancer massivement des roquettes sur le secteur au sud de Téhéran. » Levin perçoit bien le problème moral que pose sa proposition : « Un tel projet peut soulever une objection : ce n’est pas moral ; c’est ce que dira le monde, ce que diront l’Europe, les Nations unies, etc. [...]. Nous devons (cependant) mettre les cartes sur la table. Tout Etat souverain doit protéger ses citoyens contre des agressions continuelles. Nous devons agir, même si les voix du chœur anti-israélien se font à nouveau entendre. »

Le lendemain, 17 septembre, un autre édito sort dans Ha’aretz sous le titre : « Rendre à Gaza ce qu’elle mérite ». L’article tout entier vise à justifier les attaques contre les cibles civiles : « L’argument selon lequel Israël n’aurait pas le droit de s’en prendre à des cibles civiles dans Gaza [...] est sans fondement. [...] Israël a le droit non seulement de couper l’électricité dans Gaza mais aussi d’y détruire toute les centrale électriques, car c’est avec l’électricité de ces centrales que les missiles Qassam sont fabriqués. Israël a le droit de détruire tous les ponts et toutes les routes dans Gaza, car c’est par ces routes et ces ponts que les missiles Qassam qui visent les civils israéliens sont transportés. C’est ainsi que tout pays normal réagirait. »

Le fait que Ha’aretz publie ces deux articles confirme que l’atmosphère générale en Israël est carrément pour la guerre, et que les derniers réflexes de morale, tout autant que politiques et de bon sens, sont en train de disparaître. La stratégie néo-conservatrice pour une guerre sans limite, que ce soit dans le temps ou dans les moyens, est devenue non seulement la ligne politique du gouvernement mais aussi l’idéologie sociétale dominante, y compris dans le secteur libéral.

En bref

Plus de corruption au plus haut niveau

La semaine dernière, le procureur de l’Etat d’Israël, Eran Shendar, a recommandé au conseiller juridique du gouvernement d’ouvrir une enquête criminelle contre le Premier ministre, Ehud Olmert, à propos de deux affaires dans lesquelles il est impliqué et qui datent de la période où il était ministre de l’Industrie, du Commerce et du Travail. Une autre enquête est en cours remontant à l’époque où le Premier ministre était ministre des Finances. Dans toutes ces affaires, Olmert est suspecté d’avoir utilisé ses fonctions pour servir ses intérêts personnels.

Censure et liberté de la presse

C’est une véritable révolution : la direction politique dans son intégralité garde le silence, ne fait aucun commentaire sur le dernier raid aérien - s’il y a bien eu raid aérien - au-dessus de la Syrie. Dans le passé, deux minutes s’étaient à peine écoulées après une telle opération que le monde entier savait déjà ce qui était arrivé, qui en avait donné l’ordre et quels étaient les noms des pilotes.

Alors que la plupart des commentateurs de la presse israélienne font l’éloge du silence des autorités israéliennes, d’autres journalistes, peu nombreux, critiquent sévèrement la décision.

L’analyste politique de Ha’aretz, Akiva Eldar, écrit : « Le manque de déclarations du côté israélien empêche toute possibilité de débat public » et le député Yossi Beilin, du Meretz, ajoute : « Je ne sais pas si nous parlons d’un fait important ou d’un fait insensé. Il est pathétique de discuter à propos d’un geste stupide si je ne suis pas censé être au courant de ce qui s’est passé. »

Selon Ha’aretz, le Dr Alon Liel, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères et chef du mouvement israélien pour la paix avec la Syrie, se demande si, à la suite de cela, il doit continuer à brandir le drapeau de la paix avec la Syrie ou, au contraire, le baisser : « Je ne me souviens pas de cas où l’on ait réduit ainsi au silence la presse et l’opinion. Jouer avec la question de la sécurité en ce qui concerne la Syrie, c’est porter un coup à la démocratie, à la liberté d’expression et au droit élémentaire de l’opinion à être informée sur la situation concernant justement sa sécurité ». (Ha’aretz, 11 septembre 2007).

Gidéon Lévy est encore plus dur et s’en prend aux médias israéliens pour leur soumission inconditionnelle aux diktats de la censure : « L’association du black-out total par la censure et d’une presse qui ne défend pas suffisamment sa liberté d’informer est dangereuse. Israël a attaqué ou pas ? il a bombardé ou pas ? Qui le sait ? L’opinion n’est pas informée, tout est secret, l’opinion ne peut rien contrôler. [...] La presse israélienne a capitulé sans condition devant un écran de fumée. La mission de la presse est d’informer, pas de déterminer les facteurs de guerre. Quand elle n’essaie même pas de faire son devoir, la presse trahit sa mission. » (Ha’aretz, 16 septembre 2007).

L’Autre Front : du 16 au 24 septembre 2007 - publié le 20 septembre 2007 par Alternative Information Center (AIC) - traduction : JPP