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Source : CCIPPP

Mustapha Barghouti, une voix singulière et précieuse

par Brahim SENOUCI

dimanche 16 septembre 2007

Durant son bref séjour parisien, les 28 et 29 juin derniers, le docteur Mustapha Barghouti a eu l’occasion de développer sa vision du futur, affirmant par là même sa singularité dans le paysage politique palestinien. Son emploi du temps a été bien rempli : il a commencé par un débat qui l’a opposé à l’historien israélien Zeev Sternhell, jeudi 28 juin, à la Fondation des Sciences politiques, en présence d’Hervé de Charrette et de Stéphane Hessel, débat qui s’est prolongé le lendemain matin sur France Culture durant l’émission animée par Ali Baddou.

Le lendemain, c’est dans une salle du Sénat qu’il a eu l’occasion de développer ses idées, après avoir assuré une conférence de presse au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère. Le débat qui l’a opposé à Zeev Sternhell a été sans conteste un moment fort de cette visite : les deux interlocuteurs ont tous deux répondu à l’invitation qui leur a été lancée depuis Paris et ont accepté de bonne grâce de confronter leurs points de vue. L’historien israélien comme le médecin palestinien se sont écoutés avec un intérêt réciproque et digne. Chacun s’est prêté au face-à-face qui s’est révélé édifiant à plus d’un titre pour l’auditoire composé pour sa plus grande part d’étudiants de Sciences politiques. En effet, le débat opposait deux hommes de paix, sans nul doute, tous deux à l’évidence cohérents, droits et honnêtes, mais leur confrontation a mis au jour ce constat malheureusement implacable : ces deux hommes n’évoluent pas dans le même système de référence.

La préoccupation obsessionnelle de Zeev Sternhell, vieux routier du mouvement « La Paix Maintenant », est à l’évidence israélienne Pour lui, même s’il admet la souffrance palestinienne, la paix passe avant tout par la reconnaissance par les Palestiniens non seulement d’Israël, mais également du sionisme. Il accorde à un futur Etat palestinien le droit à l’existence dans les frontières de 1949 mais écarte le démantèlement total des colonies au motif que cela créerait une guerre civile entre Israéliens, « analogue à celle qui a cours dans les territoires ». Il exige aussi l’abandon de toute référence au droit au retour. Loin de reconnaître la responsabilité d’Israël dans la tragédie palestinienne, il semble ne la considérer que comme le dommage collatéral d’une entreprise « légitime parce que nécessaire », celle qui a fondé Israël et qui a favorisé son expansion. C’est en toute bonne foi qu’il demande aux Palestiniens de reconnaître le bien fondé d’une idéologie qui les a jetés sur les routes de l’exode et dont ils subissent encore et toujours les effets funestes. Ce n’est qu’à ce prix que Zeev Sternhell croira à leur sincérité, souligne-t-il. Que Zeev Sternhell, dont le mouvement « La Paix Maintenant » est aujourd’hui très minoritaire, soit tenu par la société israélienne pour un « dangereux gauchiste » en dit long sur la vision actuellement en cours dans cette société de la question palestinienne …

Mustapha Barghouti a quant à lui choisi de s’inscrire dans le système de référence universel, celui du respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, des droits de l’Homme et du respect du pluralisme. C’est sur cette base qu’avec pragmatisme il a intégré l’acceptation de l’Etat d’Israël. Son action s’inscrit bien sûr dans la lutte contre l’occupation mais avec la perspective d’un avenir dans lequel se dessinent les contours d’un voisinage harmonieux entre deux Etats, voués de toutes manières à s’entendre. Toute la philosophie du docteur Barghouti plaide en faveur de son honnêteté : il y a d’abord son choix délibéré d’une carrière active dans le mouvement associatif plutôt que dans les cénacles politiques. Il a pris ses responsabilités et s’est proposé au suffrage universel, et un bon nombre de ses concitoyens (20%) lui ont accordé leur confiance. Il n’a accepté de responsabilités ministérielles que dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale qui avait pour tâche de dépasser les guerres intestines entre Fatah et Hamas. Après le coup de force de ce dernier à Gaza, dont il a condamné la violence, il a refusé d’intégrer le gouvernement d’urgence voulu par Mahmoud Abbas, considérant que la seule issue réside dans le dialogue et l’union. M. Hervé de Charrette, dans une remarquable intervention, a noté qu’il fallait désormais que chaque camp s’attache à réfléchir et à choisir l’avenir qu’il entend se donner. « Choisir, c’est aussi renoncer ». Mustapha Barghouti est pour sa part, à l’évidence, porteur d’une vision lucide se projetant dans un futur constructif.

Il est le type de personnalité politique qui a fait cruellement défaut à nombre de mouvements de libération antérieurs à celui de la Palestine. Il ne milite pas seulement pour la libération des territoires occupés et l’établissement d’un Etat palestinien dans les frontières de 1949, c’est-à-dire celles qui correspondent à la Ligne Verte. Il milite aussi, et peut-être surtout, pour la forme de cet Etat. C’est aujourd’hui, durant la lutte de libération, que ses bases doivent être jetées, estime-t-il. C’est aujourd’hui que se décide son avenir. Pour Mustapha Barghouti, il doit être démocratique, pluraliste, scrupuleusement attaché au respect des droits de l’Homme.

C’est à ce titre que, tout en dénonçant les violations israéliennes, il refuse de se taire quand les mêmes violations sont le fait de factions palestiniennes. Il n’a pas le sentiment d’affaiblir le mouvement national palestinien en dénonçant les faits de corruption et les tentations d’accommodement avec l’occupant qui le traversent. Dans bon nombre de pays colonisés, les mouvements de libération nationale ont imposé, au nom du primat du combat pour l’indépendance, l’interdiction d’expression de sensibilités différentes en leur sein même. On connaît la suite… L’indépendance advenue, l’instauration de la démocratie a vite été reléguée au magasin des accessoires petits bourgeois ; bien des peuples « libérés » ont vécu des décennies durant sous des régimes dictatoriaux. Les exemples sont légion, en Afrique et en Asie. Non seulement, les lendemains d’indépendance se sont traduits par la confiscation des libertés et le mépris des droits de l’Homme, mais les dirigeants issus des mouvements de libération se sont révélés le plus souvent incapables d’apporter à leurs peuples respectifs la santé, une éducation solide, la prospérité.

La majeure partie des anciennes colonies constitue aujourd’hui un paysage sinistré où règnent la corruption, les pillages, les maladies, quelquefois même les guerres civiles… Il n’est pas interdit de penser que la matrice de cet échec doit quelque chose à la forme de l’Etat post colonial. Reproduisant inconsciemment la pensée impérialiste, les nouveaux dirigeants ont pris soin de tenir leurs administrés à l’écart des décisions politiques parce qu’ils les pensaient inaptes, ou du moins « pas encore mûrs » pour la démocratie. Or, il est clair que le développement est l’affaire de l’ensemble de la société ou n’est pas. C’est sans doute parce qu’il connaît ce schéma mortifère que Mustapha Barghouti a en tête le souci de ne pas le reproduire. C’est ainsi qu’il s’investit dans le mouvement associatif pour être au plus près de la population et qu’il n’accepte de faire des incursions dans les exécutifs que si ceux-ci sont l’émanation d’une volonté populaire.

La voie tracée par Mustapha Barghouti est sans doute la plus prometteuse. Loin des obscures manœuvres politiciennes de ceux qui ont prospéré à l’ombre de l’occupation ou en surfant sur la vague rigoriste, loin de la culture de la tribu et du sérail, il représente la chance d’une Palestine libre et démocratique. Au Sénat, à la Fondation des Sciences Politiques, à France Culture, à la Maison de la Radio , dans ses nombreuses interviews, il n’a cessé d’affirmer dans un même souffle son rejet de l’occupation et son attachement à l’Etat de droit que devra être, selon ses vœux, la future Palestine libre.

On a pu mesurer le fossé qui sépare les Palestiniens de la société israélienne, notamment à travers le difficile débat entre Mustapha Barghouti et Zeev Sternhell. Ce fossé est largement dû à l’impossibilité israélienne de reconnaître ses torts d’occupant et sa responsabilité historique dans le malheur des Palestiniens, malheur qui n’est pas moins important que la réalisation du rêve sioniste de la création de l’Etat d’Israël. Cette impossibilité d’admettre sa culpabilité est sans aucun doute liée aux millénaires d’histoire durant lesquelles les juifs étaient assignés au rôle de victimes. Bien que la situation ait changé, les Israéliens veulent continuer, en dépit du bon sens, de tenir cette posture. C’est ainsi que l’Autre, même faible, occupé, tyrannisé, humilié, à l’occasion massacré, est présenté comme un danger existentiel.

Le discours de Zeev Sternhell est parfaitement éloquent à ce sujet. Il est marqué du sceau de la méfiance envers les Palestiniens considérés comme des ennemis irréductibles, donc indignes d’être de vrais partenaires. On mesure ainsi l’extrême difficulté de la société israélienne à engager un dialogue véritable, sans arrière-pensées, avec des Palestiniens qu’elle acceptera enfin de traiter comme des égaux. L’un des marqueurs de cette évolution nécessaire sera l’attitude future de ses intellectuels qui doivent se départir du magistère moral qu’ils s’auto octroient avec beaucoup de générosité pour se colleter à la réalité de la catastrophe subie, du fait d’Israël, par un peuple innocent de la destruction des juifs d’Europe, un peuple qui a montré son extrême sagesse en acceptant de se défaire pour toujours de ses droits sur près des quatre cinquièmes de sa patrie historique au profit d’Israël.
Mustapha Barghouti, bien que sincèrement attaché à la solution civilisée de « deux peuples, deux états », n’a pas trouvé grâce pour l’instant aux yeux de Zeev Sternhell. C’est pourtant le plus à même de faire évoluer les intellectuels israéliens. Il a exploré le malheur juif et il sait que les ressorts de l’intransigeance israélienne actuelle sont tapis dans ces deux millénaires d’opprobre. Il est le plus à même d’imposer à la société israélienne un examen de conscience qui l’amènera à considérer enfin les Palestiniens comme ses propres victimes et l’obligera à ne pas entraver le rétablissement partiel de leurs droits que leur reconnaît la communauté internationale. Bien sûr, les mouvements de soutien n’ont pas vocation à choisir les dirigeants des mouvements de libération. La Palestine représente toutefois un cas particulier. Depuis les accords d’Oslo, des institutions y existent. Les élections y sont libres, tout comme la parole. Il est donc évident que les interlocuteurs naturels sont les leaders que le peuple s’est donné.

Il n’est pas non plus interdit de porter une parole qui contient la promesse d’un avenir de démocratie et de prospérité pour le peuple dont ils défendent la cause.

Brahim SENOUCI