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Réponse d’un honnête homme à un honnête homme

Réponse à Monsieur Marc Kravetz, Les matins de France Culture

Un dialogue exemplaire et malheureusement.........si rare

jeudi 5 juillet 2007

Cher Monsieur,

Permettez-moi d’emblée de vous dire combien je suis sensible à la courtoisie qui marque à la fois le fond et la forme de votre réponse à ma lettre du 02 juillet..

Avant d’aller plus loin que la surface des choses, je ne puis éviter de revenir sur l’aventure finale de ce malheureux Farfur, puisque le texte que vous avez bien voulu me communiquer se termine en effet par la phrase "That’s right...the Jews are criminals and enemies. We must expel them from our land."

Cependant, l’article de la BBC que j’avais cité ne reprend pas un tel dialogue, mais emploie les tournures "Israeli agent", "Farfur was martyred defending his land," a "terrorist", ou encore "by the killers of children".

Il est donc clair que les sources utilisées diffèrent. Je regrette de ne pas connaître les références de celle que vous avez cité. En fait, l’une comme l’autre sont des traductions, et il faudrait pour en avoir le coeur net disposer de la bande en version originale. J’ai effectivement fait quelques pas dans ce but dans le google-istan, et j’ai bien vite battu renoncé devant l’abondance de références Farfur dont chacune comportait plusieurs épisodes au son peu clair.

Ainsi ; j’avais entendu votre chronique en désapprouvant la caractérisation de ceux qui agressent les Palestiniens comme “des Juifs”, qui “sont des criminels et des ennemis qui doivent être expulsés de notre terre”

Ce n’est qu’à la lecture du texte de la dépêche de la BBC citée dans mon courrier précédent, venue sous mes yeux dans le cadre d’une autre activité, que j’ai été frappé par le fait qu’il n’y était pas fait référence aux “Juifs” mais aux “agents sionistes”, et que, ne pouvant douter de l’exactitude précise d’une source aussi prestigieuse, j’ai été amené à me dire “Allons bon, lui aussi !”

Vous voyez que mon mouvement d’humeur n’était donc pas dépourvu de fondement.

Je vous remercie des précisions que vous m’apportez, même si je constate qu’elles ne lèvent pas complètement le mystère. Elles ont en revanche le mérite de me ramener à l’image que j’avais de vous, celle d’un honnête homme.

D’autant qu’à mes yeux, l’essentiel, comme je vous l’ai écrit, n’est pas là.

Il est dans la nécessité de faire prendre conscience à nos concitoyens que les Palestiniens sont d’abord des êtres humains comme les autres qui réagissent à une situation de plus en plus intolérable, et que nous en pouvons sans au minimum nous salir passer notre chemin en détournant notre regard.

Le travail que vous aviez fait l’an passé, comme d’ailleurs les émissions de Jean Lebrun faites depuis la Palestine au moment des élections de janvier 2006, était un apport remarquable à cet égard et l’annonce que vous entendez le reprendre cette année est une très bonne nouvelle.

Les progrès du fondamentalisme musulman dans le monde arabe en général et dans la population Palestinienne en particulier peuvent parfois donner lieu à des expressions à nos oreilles peu agréable particulièrement quand nous croyons pouvoir y reconnaître une connotation antisémite, encore qu’il soit nécessaire d’avancer sur ce terrain avec la plus grande prudence, car les propos ou les attitudes antisémites n’ont pas la même signification qu’en Europe.

Et tout particulièrement dans les situations de crise.

Le problème est que, en dépit de toutes les objurgations, les mises en garde, les appels au bon sens, la direction sioniste, au cours de quarante années qui ont suivi le conflit de 1967, a suivi avec un obstination digne d’un meilleur emploi une politique qui ne peut conduire à rien d’acceptable.

Quelles que soient les souffrances endurées ailleurs par les parents des immigrants sionistes, il est clair que les droits qui doivent leur être reconnus ne peuvent évidemment pas s’exercer sur une base qui précisément nie les droits, assurément incontestables, du peuple qui vivait en Palestine avant leur arrivée. Et les décisions d’une ONU dominée par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, qui prétendent donner une base juridique à l’existence d’un “Etat d’Israël”, sont particulièrement contestables : jamais cet organisme n’a été mandaté pour déshabiller Pierre afin de vêtir Paul.

Le danger de voir l’établissement sioniste balayé par une offensive générale des pays arabes étant écarté de manière à peu près définitive depuis 1967 (la guerre du Kippour a tout juste permis aux armées arabes de sauver la face), on pouvait espérer que la direction sioniste saurait trouver la voie de la sagesse, celle de l’apaisement des tensions, du développement de relations de bon voisinage d’abord, plus tard d’amitié, avec les pays de l’environnement où les sionistes ont choisi de s’établir. D’autant qu’elle semblait bien s’être engagée dans une telle voie après la conclusion d’un accord de paix avec l’Egypte.

Il n’en a rien été. Les conseils de Ben Gourion, qui recommandait au lendemain de la guerre des six jours l’évacuation totale de la Cisjordanie, de Leibovitz, de bien d’autres, n’ont pas été entendus. Aucune stratégie de réconciliation avec le peuple Palestinien n’a été mise en oeuvre. La résolution 242, dont les conclusions, quoi qu’on ait pu prétendre, sont claires, n’a jamais été sérieusement mise en application et les territoires occupés n’ont jamais cessé de l’être. De proche en proche, la part de la Palestine mandataire où les Palestiniens pouvaient envisager de construire un état a été rognée inlassablement.

Le nombre de colons implantés en Cisjordanie atteint presque un demi million, et on se fonde sur ce fait accompli pour refuser un retrait de Cisjordanie évidemment incompatible avec leur maintien. On avance maintenant que leur nombre est trop grand pour qu’on puisse envisager leur évacuation. Cela est proprement absurde : ils ont bien été capables de venir, il n’est pas très difficile de les faire partir. Et il n’est pas sérieux de faire valoir le manque de place en zone sioniste, considérablement moins exiguë que la Cisjordanie !

Tout cela s’est fait avec l’appui constant, explicite ou implicite, des Etats Unis, qui ont vu tout l’intérêt de disposer dans une région aussi importante d’un allié militairement surpuissant et d’une fidélité politiquement à toute épreuve. L’Europe, à l’exception de la France gaulliste, a, comme d’habitude, suivi, avec un regard navré pour les violations incessantes du droit international dont l’entité sioniste se rend coupable et pour les souffrances des Palestiniens.

Nous avons vu, autant dire sous nos yeux, se dérouler le scénario du pire, où les occidentaux ont renoncé à imposer aux sionistes, alors qu’ils auraient dû cent fois le faire, le respect du droit international, à commencer par le droit des Palestiniens à posséder un état national.

Cette lâcheté leur a apporté un peu de tranquillité. Elle a détruit leur crédibilité.

Comment s’étonner que beaucoup, dans le monde arabe, dans la société Palestinienne, renoncent à espérer quoi que ce soit des paradigmes juridiques occidentaux ? La lutte des Palestiniens a pour premier objectif de recouvrer la dignité d’êtres humains qui leur est refusée par le système d’occupation coloniale où les enferme le régime sioniste.

Il ne faut pas s’étonner de leur rejet des normes occidentales, manifesté avec éclat lors des élections législatives de janvier 2006 où ils ont refusé la victoire au parti de celui qui apparaissait comme une marionnette entre les mains des sionistes et des occidentaux, Abbas, et s’en sont remis au Hamas.

Au point où en sont les choses, qui se rapprochent chaque jour de la catastrophe, l’urgence n’est plus de savoir si chez certains idéologues du Hamas on fait encore une distinction claire entre “juifs” et “sionistes”.

Elle est d’arrêter la machine infernale qui semble se mettre en place pour s’efforcer de réaliser les conceptions de l’impérialisme étasunien et du racisme sioniste.

Des hommes aussi respectables que Michel Warschawski, Ilan Pappé, Edgar Morin, Uri Avnery, Eric Hazan, et bien d’autres, hurlent “casse-cou !”. Rien n’y fait. Les petits malins continuent à alléguer de raisons purement formelles pour refuser d’adresser la parole à un parti qui a gagné les dernières élections et qui, d’après les sondages, l’emporterait à 2 contre 1 contre celui d’Abbas. Mais Madame Livni continue d’exiger qu’il adopte des “paramètres démocratiques”.

On continue à construire le Mur d’Annexion condamné par la Cour de Justice Internationale, à développer des implantations coloniales, à empêcher les Palestiniens de vivre normalement, à tuer et à emprisonner sans inculpation ni jugement (où est passé l’habeas corpus ?). On découpe les bantoustans qu’on confiera à la présidence du Quisling du moment.

On envisage maintenant d’envoyer une force de l’OTAN en Palestine (sic !) où Mr Bush verrait volontiers s’établir une pacification analogue à celle qu’il a réalisée en Irak
(re-sic ! : http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/6251982.stm )

Cela serait, en d’autres lieux ou d’autres temps, hilarant.

Alors il faut dire les choses, et le plus vite possible, car la maison de nos voisins est près de brûler, et je ne pense pas que nous puissions sortir indemnes de ce spectacle.

Permettez-moi de citer Edgar Morin, qui écrit dans son dernier livre (“Le monde moderne et la question juive”, au Seuil) : “Seule la prise de conscience en Israël, dans le monde arabe, en Europe, aux Etats Unis que nous chevauchons tous désormais vers l’abîme pourrait provoquer l’inversion du processus. Parfois dans l’histoire, mais pas toujours hélas, l’approche du désastre a provoqué le salut”

Tournons donc la page de Farfur, et laissons les marionnettes mortes s’enterrer entre elles.

J’avais beaucoup apprécié l’honnêteté du travail que vous aviez fait en Palestine, des deux côtés de la frontière (quelle qu’elle soit), et je me souviens d’avoir téléphoné à des camarades de se hâter d’écouter les émissions faites depuis la Palestine par Marc Kravetz.

Que vous vous prépariez à reprendre ce travail est, comme je l’ai dis, une bonne nouvelle.

Acceptez s’il vous plaît, cher Monsieur, mes encouragements les plus sincères pour ce projet.

M. E. H.
Mercredi 04 juillet 2007