Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Il y a du sang dans l’air

Opinion

Il y a du sang dans l’air

par Ran HaCohen - professeur universitaire en Israël - Palestine Chronicle

dimanche 1er juillet 2007

La défaite du Fatah était pratiquement prévisible : demandez à n’importe quel analyste ou examinez les résultats des élections de l’année dernière. Israël et les Etats-Unis n’ont rien fait pour aider Abbas à survivre, simplement parce qu’ils s’en fichaient complètement.

Cinq ans après que Son Altesse G. W. Bush - Président des Etats-Unis d’Amérique, Tsar d’Afghanistan, Empereur d’Iraq, ‘démocratiseur’ du Moyen-Orient, etc., etc. - ait lancé sa « Feuille de route pour la Paix au Moyen-Orient » prévoyant un Etat palestinien pour 2005, l’opinion israélienne a trouvé un nouveau passe-temps. Le débat public en Israël maintenant est axé sur la question « Trois Etats pour deux peuples ? » : autrement dit, l’Etat juif doit-il utiliser le coup du Hamas à Gaza pour séparer la bande de Gaza de la Cisjordanie et traiter avec deux Etats palestiniens, ou Israël doit-il garder les deux secteurs reliés ? En gros, la droite garde l’ancienne démarche, avec des arguments du genre : « diviser et régner », « deux Etats sont plus faciles à manipuler qu’un seul », etc. - tandis que la gauche tend vers l’autre possibilité, se souvenant qu’Israël est obligé par les accords d’Oslo de traiter les deux secteurs comme une entité politique unique, avec des arguments comme « un seul ennemi, c’est mieux que deux », « deux Etats rivaliseraient dans la haine », etc.

Débat incroyable en effet. Peu importe que la bande de Gaza et la Cisjordanie soient séparées dans les faits depuis des années par Israël, ce qui a même obligé le parlement palestinien à recourir à la vidéo pour ses sessions, la seule façon de pouvoir « se réunir ». Ce qui est épouvantable avec ce débat, c’est qu’alors que les Palestiniens n’ont jamais été aussi loin d’avoir un Etat indépendant, les Israéliens laissent libre cours à leur imagination dans laquelle un tel Etat existerait déjà, peut-être même deux. Effectivement, quand les dieux veulent détruire une nation, ils commencent par lui boucher la vue.

Retour à la réalité

C’est évident, il n’y a aucun Etat palestinien et il ne peut n’y en avoir un (ni deux). La bande de Gaza est un « Etat indépendant » comme l’est n’importe quelle cellule de prison : une cellule hermétiquement fermée, surpeuplée avec 1,3 million de personnes ; sans port maritime ni aéroport ; sans aucun contrôle sur ses propres frontières, ses espaces maritime et aérien ; même la base de données de sa population, sans oublier l’eau, la nourriture, l’électricité, l’essence et le matériel médical, sont strictement réglementés par Israël.

Quant à la Cisjordanie, il suffit de regarder sa dernière carte réalisée par les Nations unies pour comprendre pourquoi aucun Etat palestinien ne peut s’en dégager : remarquez comme cette petite région a été pulvérisée en de multiples cellules minuscules pour les hommes, séparées par des colonies, des barrières, des barrages et des check-points israéliens. Notez que ce sont des cellules pour les humains non juifs uniquement : les Juifs se déplacent librement sur leur terre (de qui ?).

Comment les choses ont changé

Que devient Israël - soutenu comme toujours par les USA ? Les médias encore une fois y célèbrent la paix. Olmert est très sérieux selon les analystes israéliens. Certains suggèrent qu’il est assez fort maintenant pour faire la paix, d’autres prétendent qu’il est si faible que la paix est sa seule stratégie de survie ; qui s’en soucie du moment qu’on le présente comme un homme de paix.

Ce fut une question de jours, le Président palestinien Mahmoud Abbas s’est retrouvé transformé d’ennemi peu sûr qu’il était en un ami précieux. Soudain, le boycott contre les Palestiniens est levé, Israël débloque des revenus fiscaux des Palestiniens et on promet à Abu Mazem tout un ensemble de gestes généreux de la part d’Israël, et qu’il sera invité à un sommet de dirigeants.

Et pourquoi Abbas mérite-t-il tout ça tout d’un coup ? c’est la récompense de son impressionnante réussite : à savoir, avoir cédé Gaza aux forces du Hamas. On prétend que la défaite du Fatah à Gaza a été inattendue ; qu’Israël et les USA voulaient aider Abu Mazem mais que leur aide fut insuffisante et trop tardive, et qu’Israël a finalement réalisé qu’il était temps de sauver le mouvement national palestinien non islamique en faisant la paix avec ses dirigeants modérés. Et nous sommes censés avalés tout ça.

Flairer la proie

Permettez-moi de suggérer un autre avis. La défaite du Fatah était pratiquement prévisible : demandez à n’importe quel analyste, ou consultez les résultats des élections de l’année dernière. Israël et les Etats-Unis n’ont rien fait pour aider Abbas à survivre, simplement parce qu’ils s’en fichaient complètement : Gaza contrôlée par le Hamas est plus facile à désigner comme un nid de terroristes, libérant Israël de toute obligation à son égard et périssant étranglée comme le ministre fasciste israélien, Avigdor Lieberman, et aussi certaines voix américaines le proposent maintenant ouvertement.

Apparemment, le seul à être vraiment choqué par la défaite du Fatah à Gaza est le Fatah lui-même. Ayant perdu les dernières élections et après avoir été violemment évincée par le Hamas, la petite élite du Fatah est confrontée finalement à la haine qu’elle a gagnée parmi les Palestiniens, en presque une décennie et demie de pouvoir corrompu. Quatorze années durant lesquelles les Palestiniens se sont retrouvés petit à petit mis en cages et étranglés par des murs et des check-points, le chômage et la pauvreté, pendant qu’un petit groupe d’officiels de l’ OLP se déplaçaient librement dans de luxueuses voitures grâce à leurs cartes de VIP remises par Israël.

Confrontés à l’animosité populaire, Abu Mazen et son élite, maintenant, crèvent de peur. Ils ont suivi, s’ils ne les ont pas expérimentées eux-mêmes, les atrocités commises par le Hamas à Gaza. Et ils savent que leur popularité en Cisjordanie n’est pas très grande. L’élite du Fatah lutte réellement pour sa vie.

Le temps de faire des amis

Nous avons connu cette situation déjà dans les années 90. Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin a serré la main de Yasser Arafat juste au moment où celui-ci était sur le point de finir sa carrière de vieux leader dépassé, profitant d’une vie agréable dans son exil tunisien. Arafat combattait pour sa survie ; Israël le savait très bien. Les dirigeants sur le point d’être oubliés ou, comme dans le cas d’Abbas, d’être balancé d’une fenêtre du 15ème étage, sont d’excellents partenaires pour les régimes colonialistes. Reprenez soigneusement ce que Zakaria Zbeidi, le chef militaire du Fatah à Jénine, disait à Zvi Yehezkeli, sur la chaîne 10 de la télévision israélienne, le 24 juin : « Nous serons votre armée du Sud Liban, aidez-nous simplement. » L’Armée du Sud Liban (SLA) était une milice libanaise, financée, équipée et entraînée par Israël, qui a servi l’occupation israélienne jusqu’au retrait d’Israël en 2000, alors la plupart de ses officiers ont cherché refuge en Israël dans la crainte d’être jugés (ou pire) pour leur défection et pour haute trahison. C’est précisément ce qu’Israël recherche en Cisjordanie : un associé impitoyable, faible et haï, combattant contre son propre peuple pour survivre, et comptant sur Israël plutôt que s’y confrontant.

Ce qu’offre Israël

Jetez un coup d’œil sur la liste des « gestes » offerts à Abu Mazem. D’abord, le retrait de barrages routiers a été réfléchi : renforcer Abu Mazen en donnant un apaisement et un espoir à la rue palestinienne désespérée, et en montrant les intentions pacifiques d’Israël. Il a suffi de deux jours à Israël pour changer d’idée : pas de retraits de barrages (« l’armée s’y oppose » bien sûr - Ha’aretz du 25 juin). Qu’offre Israël ? voici la liste :

« Libération de fonds appartenant à l’Autorité palestinienne et collectés par Israël », de sorte que le Fatah puisse acheter des armes et payer ses partisans.

« Poursuite de l’aide humanitaire à la bande de Gaza », payée par la communauté internationale évidemment, pas par l’occupant israélien, pour éviter les situations embarrassantes de la faim.

« Renouvellement des cartes de VIP aux Palestiniens et augmentation du nombre d’autorisations pour les hommes d’affaires palestiniens désirant passer en Israël » - c’est-à-dire, des primes supplémentaires pour l’élite ralliée.

« Autorisation pour la cession de véhicules blindés aux forces du Fatah de Cisjordanie » - sans commentaire.

« Reprise de la coopération sur la sécurité en Cisjordanie », entre Israël et la milice palestinienne qui lui est fidèle.

« Reprise du travail de la commission mixte pour la Sécurité - Israël, Egypte, Autorité palestinienne, USA - en particulier pour réduire la contrebande d’armes vers la bande de Gaza depuis le Sinaï », pour être sûr que seule la bonne milice palestinienne reçoive des armes.

Pas une seule mesure pour améliorer la vie quotidienne des millions de Palestiniens appauvris et étranglés par les murs et les barrages, exposés au terrorisme de l’armée israélienne et des colons. Toutes ces mesures ont juste un objectif en commun : renforcer la milice du Fatah et lui permettre d’écraser toute opposition. L’hystérie du Fatah devrait le transformer maintenant en mandataire d’Israël, dépendant d’Israël pour survivre, servant les intérêts d’Israël, et utilisant encore plus la violence contre l’opposition palestinienne, laquelle était arrivée à gagner les élections démocratiques.

Oubliez le retrait des barrages et à plus forte raison des avant-postes et les colonies ; oubliez les permis de travail en Israël ; oubliez la liberté, de déplacements ou d’autre chose ; oubliez l’Etat palestinien. L’occupant est là pour y rester.

Le Dr Ran HaCohen est né aux Pays-Bas en 1964 et a grandi en Israël. Il est professeur universitaire en Israël ; traducteur littéraire (depuis l’allemand, l’anglais et le néerlandais) et critique littéraire pour le quotidien israélien Yediot Aharonot. La lettre d’Israël sort occasionnellement sur antiwar.com.