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Abraham Burg, ancien membre de la Knesset

Abandonner le ghetto sioniste : un livre-bombe d’Abraham Burg

Source : blog du Monde Diplomatique

dimanche 10 juin 2007

samedi 9 juin 2007, par Alain Gresh

Q. Etes-vous toujours sioniste ?

R. « Je suis un être humain, je suis un juif et je suis un Israélien. Le sionisme a été un instrument pour me transporter de l’Etat juif à l’Etat d’Israël (to move me from the Jewish state of being to the Israeli state of being). C’est Ben Gourion qui déclarait que le mouvement sioniste était l’échafaudage pour construire une maison et que, après l’établissement de l’Etat, il devait disparaître. »

Q. Donc vous confirmez que vous n’êtes plus sioniste ?

R. « Lors du premier congrès sioniste, c’est le sionisme de Herzl qui a vaincu le sionisme d’Ahad Ha’am. Je pense que le XXIe siècle devrait être le siècle d’Ahad Ha’am. Nous devons abandonner Herzl et passer à Ahad Ha’am. »

Note de AG sur Ahad Ha’am : de son vrai nom Asher Tzvi Ginsberg (1856-1927). Fondateur de l’organisation des Amants de Sion et l’un des pères de littérature hébraïque, il met en doute l’idée que l’Etat juif est la solution idéale aux problèmes du peuple juif et prône, plutôt, la création en Palestine d’un centre spirituel. Il est aussi l’un des premiers à prendre conscience du "problème arabe". A l’issue de son premier voyage en Palestine, il écrit un article intitulé « Vérité de la terre d’Israël ». Il écrit : « Nous avons pris l’habitude de croire, hors d’Israël, que la terre d’Israël est aujourd’hui presque entièrement désertique, aride et inculte, et que quiconque veut y acheter des terres peut le faire sans entrave. Mais la vérité est tout autre. Dans tout le pays, il est dur de trouver des champs cultivables qui ne soient pas cultives. (...) Nous avons l’habitude de croire, hors d’Israël, que les Arabes sont tous des sauvages du désert, un peuple qui ressemble aux ânes, qu’ils ne voient ni ne comprennent ce qui se fait autour d’eux. Mais c’est là une grande erreur. L’Arabe, comme tous les fils de Sem, a une intelligence aiguë et rusée. (...) S’il advient un jour que la vie de notre peuple (les juifs) dans le pays d’Israël se développe au point de repousser, ne fût-ce qu’un tout petit peu, le peuple du pays, ce dernier n’abandonnera pas sa place facilement. »

Q. Cela signifie-t-il que vous ne trouvez plus la notion d’Etat juif acceptable ?

R. « Cela ne peut plus fonctionner. Définir l’Etat d’Israël comme un Etat juif est le début de la fin. Un Etat juif, c’est explosif, c’est de la dynamite. »

Q. Et un Etat juif démocratique ?

R. « Les gens trouvent cette notion confortable. Elle est belle. Elle est à l’eau de rose. Elle est nostalgique. Elle est rétro. Elle donne un sens de plénitude. Mais "démocratique-juif", c’est de la nitroglycérine. »

(...)

Q. Est-ce que nous devons abandonner la Loi du retour ?

R. « Nous devons ouvrir la discussion. La Loi du retour est une loi, elle est une image en miroir de Hitler. Je ne veux pas que Hitler définisse mon identité. »

Interrogé sur le fait qu’il n’est pas seulement un post-sioniste mais aussi un anti-sioniste, il répond :

R. « Ahad Ha’am a reproché à Herzl que tout son sionisme avait sa source dans l’antisémitisme. Il pensait à autre chose, à Israël comme centre spirituel – ce point de vue n’est pas mort et il est temps qu’il revienne. Notre sionisme de confrontation avec le monde est un désastre. »

Q. Mais ce n’est pas seulement la question sioniste. Votre livre est anti-israélien, au sens le plus profond du terme. C’est un livre dont émane une répugnance à l’égard de l’israélité.

R. Quand j’étais un enfant, j’étais un juif. Dans le langage qui prévaut ici, un enfant juif. J’allais dans un heder [école religieuse]. D’anciens étudiants de la yeshiva y enseignaient. La langue, les signes, les odeurs, les goût, les places. Tout. Aujourd’hui, ce n’est pas assez pour moi. Je suis au-delà de l’israélité. Des trois identités qui me constituent – humaine, juive, israélienne – je sens que l’élément israélien me dépossède des deux autres.

(...)

Q. Vous dites qu’Israël est un ghetto sioniste, impérialiste, une place brutale qui ne croit qu’en elle-même.

R. « Regardez la guerre du Liban. Les gens sont revenus du champ de bataille. Des choses ont été accomplies, d’autres ont échoué, il y a eu des révélations. Vous pourriez penser que les gens du centre (mainstream) et même de la droite comprendraient que l’armée voulait gagner et qu’elle n’a pas gagné. Que la force n’est pas la solution. Et puis on a Gaza, et quel est le discours sur Gaza ? Nous allons les écraser, nous allons les éradiquer. Rien n’a changé. Rien. Et ce n’est pas seulement nation contre nation. Regardez les relations entre les gens. Ecoutez les conversations personnelles. Le niveau de violences sur les routes, les déclarations des femmes battues. Regardez l’image d’Israël que renvoie le miroir. »

Q. Vous dites que le problème n’est pas seulement l’occupation. A vos yeux, Israël est une sorte d’horrible mutant.

R. « L’occupation n’est qu’une petite partie du problème. Israël est une société effrayante. Pour regarder la source de cette obsession de la force et pour l’éradiquer, vous devez affronter les peurs. Et la méta-peur, la peur primaire, ce sont les six millions de juifs qui sont morts avec l’holocauste. »

(...)

Q. Dans votre livre, nous ne sommes pas seulement des victimes du nazisme. Nous sommes presque des judéo-nazis. Vous êtes prudents. Vous ne dites pas qu’Israël est l’Allemagne nazie, mais vous n’en êtes pas loin. Vous dites qu’Israël est dans le stade de l’Allemagne pré-nazie.

R. « Oui. J’ai commencé mon livre par l’endroit le plus triste. Comme un deuil, mais un deuil d’Israël. Alors que j’écrivais, je pensais à un titre : "Hitler a gagné". Je pensais que tout était perdu. Mais, petit à petit, j’ai découvert que tout n’était pas perdu. Et j’ai découvert mon père comme représentant des juifs allemands, qui était en avance sur son temps. Ces deux thèmes nourrissent mon livre du début à la fin. A la fin, je deviens optimiste et la fin de mon livre est optimiste. »

Q. La fin est peut-être optimiste, mais tout au long du livre vous dressez un signe d’égalité entre Israël et l’Allemagne. Est-ce vraiment justifié ? Y-a-t-il une base suffisante pour cette analogie ?

R. « Ce n’est pas une science exacte, mais je vais vous donner quelques éléments qui s’inscrivent dans cette analogie : une grande sensibilité à l’insulte nationale ; un sentiment que le monde nous rejette ; une incompréhension aux pertes dans les guerres (unexplained losses in wars). Et, comme résultat, la centralité du militarisme dans notre identité. La place des officiers de réserve dans notre société. Le nombre d’Israéliens armés dans la rue. Où est-ce que cette foule de gens armés va ? Les expressions hurlées dans la rue : "les Arabes dehors". »

Abraham Burg
Blog du Monde diplomatique -http://blog.mondediplo.net/

Voir aussi : sur la même interview : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1076