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« Affaire Hariri »

« Washington cherche à instrumentaliser le tribunal international »

L’analyse de Walid Charara, politologue libanais, chroniqueur à Al Akhbar.

lundi 4 juin 2007

D’aucuns évoquent un passage en force pour qualifier la décision de l’ONU d’instituer un tribunal international dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Qu’en pensez-vous ?

Walid Charara. Ce passage en force, comme vous le dites justement, était attendu. Il est clair que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux cherchent à instrumentaliser l’assassinat de Rafic Hariri, d’abord à travers la commission d’enquête internationale et aujourd’hui à travers le tribunal international dans le but de renforcer la position des forces libanaises qui leur sont acquises et pour exercer des pressions contre l’opposition libanaise - le Hezbollah, le Courant patriotique libre de Michel Aoun et le Parti communiste ainsi que les autres forces politiques libanaises opposées au gouvernement actuel. Il vise également à exercer des pressions contre la Syrie, dont une partie du territoire, le Golan est occupé par Israël, et peut être contre d’autres acteurs régionaux.

Mais comment expliquez-vous que les assassins de Rafic Hariri n’aient pas été retrouvés ?

Walid Charara. Vous savez, il y a eu beaucoup d’assassinats dans l’histoire contemporaine, comme Kennedy par exemple, qui n’ont pas été élucidés. Cela dit, il aurait fallu que l’enquête puisse suivre son cours et ne pas être instrumentalisée à d’autres fins que la recherche de la vérité. En ce qui me concerne, ce qui doit étonner, c’est cet empressement à constituer un tribunal international alors que l’enquête est en cours et qu’elle n’a pas abouti à des preuves tangibles permettant d’accuser telle ou telle partie. Rappelez-vous que les commissions d’enquête internationales - notamment celle de Serge Brammertz - ont abouti à des conclusions semblables à l’enquête libanaise.

C’est-à-dire ?

Walid Charara. C’est-à-dire que l’attentat contre Hariri était bel et bien une opération kamikaze et qu’il n’y avait pas de bombe sous la chaussée comme certains l’avaient affirmé. Or, la première commission dirigée par Detlev Melis a ignoré ce fait.

Ce qui fait que tout a été fait pour orienter l’enquête vers un service étatique afin d’écarter dès le départ d’autres pistes éventuelles, la piste d’un réseau salafiste, de groupes instrumentalisés par certains services étatiques dans la région... Tout a été fait dès le départ pour incriminer la Syrie.

Comment, d’après-vous, la situation va se développer maintenant que l’ONU a imposé la mise en place de ce tribunal, et à partir du moment où une partie importante des libanais y est opposée ?

Walid Charara. Cela va aggraver la crise au Liban, et ce, bien que je pense que les principaux acteurs politiques libanais veulent à tout prix éviter le piège de la guerre civile. Reste qu’un conflit interne peut être exacerbé par des acteurs extérieurs comme c’est le cas en Irak où l’occupation américaine et la stratégie communautariste théorisée par les néo-conservateurs de Washington a exacerbé les tensions inter-confessionnelles, dite « instabilité constructive » pour faire valoir leurs intérêts géopolitiques, et mené ce pays à la situation qu’il vit aujourd’hui. Ce que l’on craint au Liban est que les Etats-Unis ne recourent à ce type de stratégie afin d’affaiblir la résistance libanaise après l’échec de l’offensive israélienne de l’été 2006.

Par conséquent, vous n’écartez pas le risque de guerre civile ?

Walid Charara. Je le crains même si les Libanais ne le veulent pas. Une stratégie de la provocation peut être mise en oeuvre. Nous sommes devant une situation extrêmement dangereuse.

Entretien réalisé par Hassane Zerrouky
http://www.humanite.fr/journal/2007-06-01/2007-06-01-852182