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Autant qu’il faudra jusqu’à ce que justice soit faite.

Prélude à une Troisième Intifada ?

par Anna Baltzer - Electronic Intifada

lundi 7 mai 2007

Je n’ai plus rien écrit depuis trois semaines. La raison en est simple : la situation sur le terrain, ici en Palestine, a été affreuse et m’a laissé peu de temps pour réfléchir.

A Salfit, des manifestants palestiniens suspendent des drapeaux le long des barbelés coupant comme des rasoirs qui bordent la barrière d’Israël dans la Rive Occidentale

Comme d’habitude, la Pâque - fête juive qui célèbre la libération- a été marquée par le renforcement des restrictions à l’encontre des Palestiniens. Alors que les Israéliens juifs étaient à leur festin, les déplacements dans la Rive Occidentale devenaient difficiles, voire impossibles. Exception faite évidemment pour les colons qui remontaient allègrement la file des centaines de Palestiniens qui rentraient chez eux, se rendaient à leur travail, à l’hôpital ou ailleurs, et qui devaient attendre pendant des heures aux postes de contrôle. Il ne servait à rien d’appeler l’armée car la plupart des bureaux et des services étaient fermés à cause de la fête. Les Palestiniens à qui il fallait d’urgence une autorisation pour aller à l’hôpital étaient forcés d’attendre comme tout le monde.

Un coup d’œil sur le rapport hebdomadaire du Centre palestinien des droits humains montre que les forces d’occupation israéliennes ont notamment tué neuf Palestiniens (dont deux enfants et quatre personnes exécutées de façon extrajudiciaire) et en ont blessé vingt ; elles ont effectué 30 incursions dans des communautés palestiniennes de la Rive Occidentale et ont arrêté 44 civils palestiniens (dont huit enfants). Elles ont détruit huit maisons jetant 48 personnes à la rue et ont maintenu l’état de siège total dans les Territoires occupés... tout cela pendant la semaine écoulée. C’est à peu près la moyenne.
Les dernières semaines, des colons israéliens sont aussi retournés dans une colonie qui avait été évacuée à Naplouse. Simultanément, plusieurs centaines de colons juifs ont occupé un grand bâtiment dans le cœur de Hébron et les autorités israéliennes ont immédiatement déployé la troupe pour protéger la nouvelle colonie exclusivement juive. La famille Abu Haykal, qui habite dans le voisinage, fait partie de mes amis et je leur avais rendu visite le mois dernier à Tel Rumeida. Des colons de Hébron ont mis le feu à leur voiture ; tout ce qu’ils veulent est que la famille parte pour qu’une nouvelle colonie puisse être installée à côté de celles qui sont déjà implantées.

Poste de contrôle de Jit ; début avril : la Pâque - fête juive commémorant la libération - s’accompagne du renforcement des restrictions à l’encontre des Palestiniens de la Rive Occidentale.
La brutalité et le harcèlement constants alimentent une tension croissante qui explosera probablement un jour en une troisième intifada (« soulèvement » en arabe). Les signes sont là : intense frustration certes, mais détermination encore plus forte pour rejeter le joug de l’occupation. Des manifestations ont eu lieu dans toute la Rive Occidentale, parfois à raison de plusieurs par jour. Le recours excessif à la force et la poursuite de la colonisation perpétrés par Israël sont car jamais les Palestiniens n’arrêteront de résister. Arrêter la résistance est ne pas avoir d’avenir, commettre un suicide national. Plus l’occupation empire, plus la résistance se renforce.

Bien que ce ne soit pas dit ainsi, la plus grande partie de l’actuelle résistance palestinienne a été non violente. A l’Université Arabe Américaine de Djénine, un groupe d’étudiants du nom de « Résistance verte » a réussi à interdire, dans le campus de cette université, le jus de fruit Tapuzina produit en Israël ; cette action fait partie d’une campagne palestinienne grandissante visant à soutenir la production locale plutôt que de donner de l’argent pour financer l’occupation. Le mois dernier, mon voisin à Haris, Abu Saed, a vu ses arbres arrachés à trois reprises par des colons, sur sa terre qui se trouve près de la colonie de Revava. Il continue à les replanter semaine après semaine avec le soutien de Rabbins pour les droits de l’homme et du Service international des femmes pour la paix (IWPS).

Il y a environ un mois, plus de 350 personnes - Palestiniens, Israéliens et volontaires internationaux - se sont rassemblées pour la toute première course cycliste palestinienne internationale de Ramallah à Jéricho. Cette manifestation avait été organisée par l’YMCA de Jérusalem-Est à l’intention de participants du monde entier pour protester contre les violations des droits humains en Palestine, exiger la liberté de circulation pour les civils palestiniens et « soutenir les valeurs de paix et de tolérance dans la région ». La manifestation devait être la plus longue jamais organisée pour protester contre l’occupation, mais les jeeps israéliennes ont interrompu la course en fermant la circulation aux deux roues ; les enthousiastes de l’action « Des vélos oui, des bombes non » ont été obligés de rebrousser chemin.

Près de l’école des Quakers où la course avait débuté, se trouve un centre culturel où des dizaines de jeunes Palestiniens se réunissent chaque semaine pour tourner des petits films courts et danser ensemble. Lors d’une de mes visites, à la fin d’une répétition d’une danse moderne extrêmement physique et chargée d’émotion, les étudiants m’ont expliqué que pour eux, « l’art n’est pas un luxe, c’est une obligation ». L’occupation menace non seulement les maisons, la terre, les moyens de subsistance, le temps et l’avenir des Palestiniens, mais aussi leur créativité et leurs moyens d’expression. Le centre culturel est un outil pour empêcher la culture palestinienne de se perdre ou de se déformer et les étudiants ont raconté comment ils se réunissent en secret pour répéter tranquillement pendant les incursions et les couvre-feux. C’est leur propre forme de résistance non violente créative.

Dans la région de Salfit où nous vivons, s’est créé un nouveau centre qui dispense une formation et des stages pour la communication stratégique, l’édification de la paix, la solution des conflits et les techniques de résistance non violente. Son directeur, Fouad, m’a expliqué que dans les prisons israéliennes, la résistance non violente (grèves de la faim etc.) a récemment augmenté et que de nombreux Palestiniens - notamment ceux qui revenaient de prison - ont édifié ce qu’il appelle « un mouvement non violent pour la liberté, l’égalité, les valeurs démocratiques et les droits humains ».

Son organisation vise à élaborer des programmes appropriés pour chaque partie de la société palestinienne : des programmes qui concernent les droits humains, des ateliers de conscientisation aux droits humains et à la démocratie et une formation à la résistance. L’argent fait toutefois défaut pour leur réalisation. Fouad m’a raconté sa propre histoire et comment, de soldat dans l’armée « Sabatash » d’Arafat, il s’est transformé en partisan convaincu de la non violence après que son frère a été tué.

Fouad a été particulièrement inspiré par la première intifada au cours de laquelle tous les secteurs de la société palestinienne se sont unis en une action de désobéissance civile non violente pour exiger, d’une seule et forte voix, la liberté.

Quand j’ai dit à Fouad que l’IWPS ne pouvait pas lui offrir de soutien financier, il m’a répondu « Nous n’avons pas d’argent, mais notre force réside dans nos convictions, notre engagement de non violence. La violence tue l’esprit, et pousse vers plus de violence ou de soumission, mais ce c’est toujours la non violence qui prévaudra en fin de compte ».
Fouad a dit qu’il avait décidé de travailler à Salfit à cause de son passé de résistance non violente. Effectivement, ces dernières semaines il y a eu un certain nombre d’actions importantes dans notre région rurale souvent oubliée. Le Jour de la Terre, des centaines de personnes se sont rassemblées dans le village de Rafat pour protester contre le Mur qui enferme lentement leur village, mais quand ils ont trouvé la cage sans garde, ils l’ont fait basculer, tous ensemble, d’avant en arrière, jusqu’à ce que les portes sautent. Quand les soldats sont arrivés, les manifestants se sont repliés vers leurs maisons sans jeter la moindre pierre. A Rafat, ils ont fait passer leur message : Rafat n’acceptera pas l’emprisonnement collectif.

Le lendemain, à Salfit, un groupe de manifestants a trouvé le Mur non gardé et a commencé à enlever les fils électriques de détection qui bordent les parties clôturées. Les soldats sont arrivés rapidement et ont commencé à tirer en l’air, mais les manifestants ont tenu bon et ont levé le drapeau palestinien au-dessus de la cage qui coupe leur rue principale et annexe une bonne partie de leurs terres. Salfit non plus, n’acceptera pas l’emprisonnement collectif, Pas plus que la Rive Occidentale où de nombreuses actions se sont déroulées pendant le weekend du Jour de la Terre.

Dans la ville de Qaffin, située dans le Nord, des milliers de manifestants ont marché, dansé et battu le tambour jusqu’au Mur pour montrer leur détermination de résister à la barrière illégale et à l’occupation.
A Naplouse, des centaines de personnes ont marché vers Beit Furik, l’une des six sorties de la ville, que les hommes de 16 à 45 ans ne peuvent emprunter qu’avec un permis des Israéliens, permis qui ne peut être obtenu qu’à l’extérieur de la ville. La marche, organisée en partie par l’Union des femmes de Naplouse et une société pour les handicapés locaux, a traversé le poste de contrôle devant les soldats médusés, incapables de refouler les manifestants.

Le groupe a alors occupé le poste de contrôle, d’abord en s’asseyant, puis en grimpant sur les hangars d’attente et en déployant des drapeaux palestiniens et des pancartes « Liberté » tout autour.
L’injustice est intenable. Elle ne peut pas être normalisée car il y aura toujours une résistance. La troisième intifada aura lieu. Elle ne sera peut-être pas violente au début, mais elle ressemblera peut-être à la deuxième. Est-ce par coïncidence qu’Israël a commencé ses travaux de construction sur le site sacré du Mont du temple à Jérusalem juste au moment où les factions palestiniennes, religieuses et séculières, en guerre concluaient une trêve ? Israël préfère que la résistance des Palestiniens reste interne plutôt que dirigée contre l’oppresseur ; mais les Palestiniens de la Rive Occidentale et ceux qui étaient assis à la table de négociation ont montré leur volonté de travailler ensemble contre leur ennemi commun : le racisme et l’occupation sionistes. Unis, nous prévaudrons. Si la troisième intifada ne réussit pas, il y en aura une quatrième et une cinquième... Autant qu’il faudra jusqu’à ce que justice soit faite.

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