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Source : ISM

Construire l’indépendance économique en Palestine

par Sam Bahour

dimanche 22 avril 2007

Discours prononcé lors de la Seconde Conférence annuelle sur la Résistance Populaire Non Violente dans le village palestinien de Bilin. Bilin est un village où les pacifistes palestiniens, israéliens et internationaux protestent de façon non violente contre la construction du Mur de la Haine depuis plus de deux ans. Sam Bahour est un homme d’affaires et activiste palestino-américain base à Ramallah/Al-Bireh et peut être joint à l’adresse suivante : sbahour@palnet.com. 

Est-ce du succès quand une seule entreprise tire un bénéfice de 100 millions de dollars par an sur le dos de personnes occupées pour un service de base ?

Est-ce du succès quand on envisage la construction de zones industrielles entre ce Mur d’Apartheid et la Ligne Verte ?

Est-ce du succès la monopolisation de divers secteurs et l’obstruction à de nouveaux investissements et à la création de nouveaux emplois ?

D’abord, permettez-moi de saluer la population de Bilin.

Votre détermination est enregistrée dans les annales de l’histoire avec chaque mètre du mur qui est construit et chaque olivier qui est arraché par cette occupation déplorable.

J’ai été invité à parler brièvement de la construction d’une indépendance économique. Un sujet compliqué mais permettez-moi de commencer en posant une question.

Comment pouvons-nous intégrer aujourd’hui une future économie palestinienne dans un monde globalisé et dominé par les États-Unis, alors que nous sommes toujours sous occupation militaire étrangère – une occupation qui a lieu sous les yeux de la communauté internationale ?

Oui, je parle de ces parties tiers qui sont signataires de la 4ème Convention de Genève et qui, l’année dernière et pour la majorité encore aujourd’hui, ont choisi d’imposer des boycotts et des sanctions économiques et politiques à un peuple occupé, nous menant à une nation de pauvreté, de crime et d’anarchie.

Comment faisons-nous, pendant que nos propres dirigeants boivent le thé deux fois par mois avec ce même occupant qui nous ôte, par ses actions quotidiennes sur le terrain, l’option d’une indépendance palestinienne signicative ?

Pendant 40 ans, Israel a lié l’économie du Territoire Palestinien Occupé à la sienne. A dessein, un cordon ombilical économique a été tissé dans chacun de nos secteurs.

Pour gagner du temps, il faut noter que les Accords de paix d’Oslo ont maintenu totalement ce cordon ombilical, tout en imposant aux Palestiniens le fardeau colossal de relever les défis du développement économique sans avoir accès à la boîte à outils des ressources économiques

Les Etats donateurs sont entrés dans le jeu. Au lieu de brandir les dispositions de la 4ème Convention de Genève qu’ils se sont engagés à respecter et à faire appliquer pour s’assurer qu’aucun mal ne soit fait aux personnes occupées, aux « personnes protégées » puisque nous sommes répertoriées en tant que tel par le droit international, ces Etats tiers ont commencé à nous alimenter de poissons au lieu de nous aider à apprendre comment pêcher nous-mêmes.

En clair, les donateurs sont devenus les complices de la répression économique et ont soutenu le statu quo qui nous entraine lentement vers la mort pendant que nous luttons ici aujourd’hui.

Les donateurs ne sont pas les seuls joueurs dans l’équation. Un développement viable ne peut pas être basé sur l’agenda et l’état d’esprit politiques des donateurs étrangers.

Les entreprises palestiniennes et les consommateurs palestiniens sont, ou devrais-je dire devraient, être les bases sur lesquelles nous établissons notre économie.

Il serait injuste de dire que les hommes d’affaires palestiniens ont échoué, ce n’est pas vrai. Beaucoup d’entreprises sont demeurées inébranlables alors que tout était contre elles. Beaucoup d’autres ont excessivement bien réussi.

Cependant, les critères de succès des nombreux acteurs dans le milieu des affaires ont besoin d’être examinés attentivement.

Est-ce du succès quand une seule entreprise tire un bénéfice de 100 millions de dollars par an sur le dos de personnes occupées pour un service de base ?

Est-ce du succès quand on envisage la construction de zones industrielles entre ce Mur d’Apartheid et la Ligne Verte ?

Est-ce du succès la monopolisation de divers secteurs et l’obstruction à de nouveaux investissements et à la création de nouveaux emplois ?

Comme je l’ai noté, des milliers de commerces font des choses étonnantes pour maintenir leurs portes ouvertes, mais quelques acteurs n’ont aucune intention de nous débarrasser de l’occupation et ce sont ces éléments de notre propre société que nous devons tenir pour responsables.

La responsabilité ne peut pas venir d’une Autorité obsolète, préoccupée par une politique factieuse, en dépit de notre amour pour ceux qui tentent d’en faire une institution opérationnelle.

Le citoyen palestinien, le consommateur palestinien, et ceux qui se tiennent en solidarité avec les Palestiniens doivent porter le fardeau.

Je ne peux pas comprendre comment nous pouvons co-exister pacifiquement avec des produits des colonies israéliennes sur nos étagères.

Je ne peux pas comprendre comment nous pouvons permettre aux sociétés israéliennes de déverser leurs produits et leurs services sur notre marché sans aucune répercussion.

Je ne peux pas comprendre comment les Etats tiers refusent d’accepter leurs engagements sous la 4ème Convention de Genève quand ils voient les barrages routiers, les checkpoints et les Murs économiques qu’Israel a construit.

Notre terre est saisie à chaque heure. A travers ce que notre bon ami, Jeff Halper, a appelé « la Matrice de Contrôle », Israel s’assure que la terre ne soit pas suffisante pour la vie quotidienne, et encore moins pour une indépendance économique. La main de l’occupation contrôle les terres que nous pouvons cultiver et le destin des arbres que nous plantons.

Nous sommes obligés d’acheter notre eau à la Société israélienne de l’Eau, en payant plus cher que les Israéliens qui l’achètent à la même entreprise mais en en utilisant moins par habitant. La main de l’occupation contrôle tous les aspects de l’eau.

Toute l’électricité de Cisjordanie est achetée à la Compagnie d’Electricité Israélienne et nous est revendue. La main de l’occupation contrôle nos interrupteurs.

Chaque appel téléphonique que vous passez à l’étranger est forcé de passer par un opérateur israélien. La main de l’occupation contrôle nos conversations.

Chaque travailleur voulant travailler en Israel ou sur ses terres situées à l’ouest du Mur, doit obtenir un permis israélien. La main de l’occupation contrôle la sueur de nos ouvriers.

Pour la première fois dans notre histoire, plus d’un 1/3 des Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem désirent émigrer volontairement. Plus d’un 1/3 !

Je devrais faire remarquer que la loi humanitaire internationale est claire au sujet des crimes de guerre.

Les événements sanglants de 1948, de 1967 et de 2002 étaient tous des crimes de guerre, sans aucun doute – une occupation militaire, assoiffée de pouvoir - toujours assoiffée de pouvoir – déterminés à détruire le tissu de la société palestinienne avec des résultats bien connus de tous.

Mais c’est également un crime de guerre en vertu des lois sur l’occupation lorsque « la Puissance Occupante », qui est Israel au cas où nous l’aurions oublié, créé les conditions pour que les personnes occupées partent volontairement sans autre option que de quitter leurs maisons à la recherche de sécurité et de moyens d’existence.

J’ajoute à ceci la nouvelle politique israélienne de refus d’entrer à ceux d’entre nous qui sont empêchés par Israel d’avoir une résidence assurée. Cette politique de refus d’entrer sépare les familles et contribue à accélérer notre exode des compétences.

J’ai tendance à appeler tout ceci un nettoyage ethnique stérile qui est appliqué à chaque famille, loin des médias et sans bain de sang.

C’est notre réalité. Une réalité que beaucoup tentent de mettre de côté ou de cacher sous le tapis en feignant de construire ou de contribuer à un Etat viable.

Une telle réalité est incompatible avec la viabilité. Une telle réalité ne favorise pas la contruction d’une indépendance économique.

Alors que devons-nous faire ? Plier ? Nous cacher sous un rocher et espérer des jours meilleurs ?

Accepter et approuver l’occupation militaire étrangère qui maintient ses bottes sur nos cous depuis ces 40 dernières années et qui nous a séparés de notre peuple pendant 60 ans ?

NON ! PAS CE PEUPLE !
Nous ne savons pas encore comment gagner et mettre fin à ce cauchemar, mais je peux vous assurer que nous savons sans aucun doute comment ne pas perdre.

Comme, en tant que communauté, nous faisons nos ajustements structurels au sujet de notre politique interne, une nouvelle direction est obligée d’émerger.

Comme nous apprenons et maîtrisons les outils de nos oppresseurs, notre cas juste sera exprimé clairement sur internet, en dehors d’internet, autour du mur, et par-dessus le mur.

Comme nous nous concentrons sur des choses de la vie : les gens, la famille, la communauté et nos droits inaliénables, nous nous concentrerons encore plus sur notre capacité à créer des Partenariats de Développement Globaux, notre propre genre de PIB, plutôt que de suivre les mesures traditionnelles de PIB de la Banque Mondiale.

Notre PIB inclut toutes ces heures laborieuses que les mères passent à garder une santé d’esprit de leurs enfants et à maintenir une vie de famille.

Notre PIB inclut les efforts que font tous nos prisonniers politiques en restant dévoués dans les prisons israéliennes.

Notre PIB est global dans la portée, il est de développement dans la substance, et en partenariat avec les gens amoureux de la paix et la justice partout où ils résident.

Je suis désolé si je vous ai déçu en ne parlant pas des nombreux accomplissements économiques réalisés au cours de la dernière décennie, dont plusieurs aux lesquels j’ai eu l’honneur de contribuer.

Ce n’est pas que je ne suis pas fier si, même si l’on peut parier que la plupart des communautés se seraient effondrées, nous avons construit des entreprises productives, un marché boursier, un secteur bancaire, une industrie de l’Information et des Télécommunications, une industrie de l’huile d’olive, une industrie du meuble et une industrie pharmaceutique, entre d’autres.

Elles sont toutes importantes mais elles sont toutes prises au piège d’un statu quo qui nous porte à un niveau de désespoir inconnu dans notre lutte. Dans un environnement normal, en tant qu’acteur du secteur privé, j’aspirerais à un retour des investissements.

En Palestine, je défie mes pairs de traduire ce retour en :

Un retour au Droit International ;

Un retour à des frontières reconnues ;

Un retour des prisonniers politiques dans leurs familles ;

Un retour de nos réfugiés, et

Un retour à la construction de la communauté.

Ces retours sont les seuls retours qui nous mettrons sur le chemin de l’indépendance économique.

Pour terminer, je voudrais citer une phrase que m’a transmise l’un de mes amis israéliens à Jérusalem.

Un sage Juif du 17ème siècle, quelqu’un célèbre dans le judaïsme ; le Rabbin Nachman de Bratzlav a déclaré un jour : « Il n’y a rien de plus entier qu’un coeur brisé ».

Mon ami a ajouté : « Ce n’est pas aussi facile de le voir de l’intérieur. »
Je suis d’accord.

Merci de votre attention.

 Traduction : MG pour ISM