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Défier les attaques dans la vie ordinaire en Palestine (Anna)

Exister c’est résister

par ISM - International Solidarity Movement

mercredi 21 mars 2007

Naplouse - 21-03-2007
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Addawiya m’a dit qu’elle voulait partir, alors que nous revenions de sa terre. Je lui ai demandé où, et elle m’a dit que cela n’avait pas d’importance – qu’elle n’irait nulle part. « Parce qu’aucun pays ne te donnera de visa ? », lui ai-je demandé. Et elle a secoué la tête : « Parce que c’est ça qu’ils veulent. Ils veulent que nous nous enfuyions, comme nous l’avons fait en 1948, de manière à ce que le Fonds National Juif puisse encore nous exproprier et donner notre terre aux Juifs. Mais je ne partirai pas. Je resterai ici parce que c’est notre droit et notre devoir, à moi et à mes enfants. »

Lorsque j’ai quitté Naplouse, je me suis surprise à regarder les majestueuses collines de la ville éclairées par le soleil, cette fois depuis l’une des plus hautes montagnes de Cisjordanie. Dans tous mes rapports sur l’invasion israélienne et les violations des droits de l’homme, je n’ai jamais mentionné la beauté de cette ville ancienne où il est si facile de se perdre, vue depuis les montagnes environnantes. Elle rappelle Damas (au début de mon séjour, un Palestinien pessimiste a souligné la comparaison, disant que l’invasion de Naplouse était une exercice pratique pour une attaque contre la Syrie).

Le dernier jour de mon séjour à Naplouse, j’ai découvert un autre des joyaux de la ville : l’université An-Najaa. J’ai immédiatement apprécié la cohabitation entre l’architecture ancienne et les sculptures modernes sur le campus principal, mais ce que j’ai le plus aimé, c’est d’observer le retour de milliers d’étudiants à l’animation bourdonnante de la vie universitaire quotidienne si tôt après que les soldats aient cessé de prendre la ville en otage.

D’après mon expérience, la résilience est une des caractéristiques principales de l’identité palestinienne et j’ai été plus impressionnée que surprise de voir les Palestiniens affirmer leur détermination à poursuivre leurs études même dans les circonstances les plus difficiles. Juste un autre exemple de la résistance palestinienne non violente générale.

La nuit avant cette visite, j’étais passée près du campus - abandonné car à cause de l’invasion de l’armée, les cours avaient été annulés – en taxi alors que je rentrais dans la famille qui m’hébergeait. J’ai grandi dans une famille chaleureuse de tendance communiste léniniste, et je me suis sentie heureuse et à l’aise dans cette maison aux murs couverts de posters de Che Guevara, David Beckham, Chakira, et autres idoles des trois adolescentes de la maison.

Alors que nous roulions en discutant après avoir rendu visite à plusieurs amis, nous avons été soudain encerclés par les jeeps qui roulaient à travers la ville venant, semblait-il, de tous les directions. Nous avons paniqué. Y avait-il couvre-feu ? Allaient-ils nous tirer dessus parce que nous étions dehors ? Nous arrêtant dans un crissement de pneus, nous avons essayé de faire demi-tour pour repartir d’où nous venions, mais les jeeps arrivaient également de cette direction. Où pouvions-nous aller ?

Les jeeps sont partis aussi vite qu’elles étaient arrivées. Apparemment elles faisaient un exercice pratique d’invasion, vraisemblablement pour entraîner de nouveaux soldats, comme ils l’ont fait souvent récemment dans un village appelé Beit Lid, près de Tulkarem (même si personne dans le village n’a jamais été accusé de menacer la sécurité d’Israël). Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti, à être soudain encerclée, la confusion et la panique, le sentiment d’impuissance.

Le matin suivant, alors que nous prenions un petit déjeuner joyeux, en famille, j’ai réalisé que ceci était aussi une manière de résister sans violence : le maintien de la vie ordinaire et de ses plaisirs, quels que soient les ravages que les forces d’occupation sont en train de faire juste dehors.

Je suis revenue dans la région de Naplouse une semaine après pour accompagner une enseignante, Addawiya, et sa famille qui voulait labourer sa terre, ce qu’elle n’avait pu faire depuis six ans à cause du harcèlement des soldats. La parcelle voisine ne l’avait pas été depuis 26 ans pour la même raison. Il y a des postes militaires israéliens sur tous les sommets de la Cisjordanie, et la terre de la famille d’Addawiya se trouve sur une colline.

Pendant que nous étions en train d’enlever les terres qui envahissaient la terre depuis six ans, Addawiya m’a raconté cette journée de ramassage des olives avec son frère, lorsque les soldats sont arrivés et qu’ils ont menacé de le tuer s’ils ne partaient pas immédiatement. Il a continué la cueillette jusqu’à ce que les soldats commencent à tirer en l’air pour montrer qu’ils étaient sérieux, à tel point qu’il est parti terrifié. Addawiya est restée seule, priant pour sa vie, persuadée qu’elle allait mourir. Sa crainte n’était pas injustifiée. Trois années plus tard, sa sœur se promenait près de la terre familiale avec son mari, lorsqu’un groupe de soldats a surgi des feuillages et a ouvert le feu sur lui. Cet enseignant de 33 ans est mort sur le coup. L’armée d’occupation est venue s’excuser auprès de la famille d’Addawiya. Ils ont dit qu’ils voulaient assassiner un homme « recherché » et s’étaient trompé de cible. La sœur d’Addawiya, qui avait 23 ans et était enceinte, a maintenant 26 ans et en paraît 60. Sans aide et avec deux enfants à élever, elle a dû revenir chez sa mère. Au fait, la mère m’a proposé moi aussi de venir m’installer chez elle lorsque nous sommes revenus du labourage de la terre (à 27 ans et toujours célibataire, je suis ici une vieille fille), mais j’ai décliné poliment son offre et nous sommes repartis pour Haris.

Notre première arrêt fut à Huwwara, le checkpoint au sud de Naplouse, où, comme d’habitude, des centaines d’étudiants d’Al Najaa et des autres universités étaient en train d’attendre pour quitter la ville, pressés comme du bétail sous la pluie qui commençait à tomber et essayant de s’abriter sous le toit, derrière les détecteurs de métal et les tourniquets.

Je me souvenais être passée à Huwwara quelques jours avant pour accompagner d’autres fermiers. Parce que l’effort de solidarité était organisé par le groupe israélien Rabbins pour les Droits de L’Homme, nous étions dans une voiture israélienne aux plaques jaunes, aussi nous n’avons même pas eu à ralentir, roulant sans problème sur une route réservée aux Israéliens parallèle à celle où les Palestiniens attendaient pendant des heures, voire des jours.

Au retour de la terre d’Addawiya, un collègue et moi avons décidé de rester à Huwwara pour faire la surveillance du checkpoint, c’est-à-dire noter et témoigner de toutes les violations aux Droits de l’Homme. Il y avait déjà un malade que l’armée refusait de laisser passer, et nous avons enregistré son histoire.

Au début, les soldats avaient l’air de ne pas se soucier de notre présence mais plus tard, un soldat est venu nous dire que nous n’avions pas le droit de rester à l’endroit où nous étions. Il a montré une ligne jaune, un peu plus loin, et nous a dit que nous pouvons nous tenir derrière elle. Nous avons commencé à protester mais très vite, nous avons réalisé qu’une dispute se traduirait par un temps d’attente plus long pour les Palestiniens contrôlés par ce soldat, alors nous avons fait quelques pas pour aller derrière la ligne jaune. Dix minutes plus tard, un autre soldat est venu nous dire qu’il était illégal d’observer un checkpoint et que nous devions partir immédiatement. Nous n’avons même pas pris la peine de répondre à une telle absurdité. Il est resté près de nous, à répéter la même chose plusieurs fois puis il est parti.

Un troisième soldat, qui ne parlait qu’hébreu, s’est approché de nous. Quand nous lui avons dit que nous ne comprenions pas, il a répondu dans un mauvais anglais qu’il était illégal de rester là si nous ne parlions pas hébreu. Voilà qui était nouveau ! Un autre soldat s’est proposé pour traduire le message original du soldat, à savoir que nous pouvions regarder mais pas prendre de photos. Le soldat nous a dit être au regret d’être obligés de détruire mes photos. Arrivé à ce point là, nous avons préféré partir plutôt que de perdre les photos, et nous avons commencé à marcher. Comme prévu, le soldat n’en voulait pas aux prétendues « photos illégales ». Juste avant de partir, nous avons vu le malade d’abord interdit de passage tenter à nouveau sa chance avec un autre soldat et réussir à passer.

Israël déclare que ces checkpoints sont là pour la sécurité des citoyens. Ce qui rend cette affirmation si difficile à croire pour ceux qui observent les institutions, c’est l’incohérence et l’arbitraire des actions et des « lois » de l’armée. Le malade a réussi à passer à sa seconde tentative. S’il avait échoué, il aurait pu aller prendre un taxi pour faire un détour couteux par un autre checkpoint, à 10 miles plus au nord, qui est rarement tenu par l’armée (lorsque nous y sommes passées avec Addwiya, il n’y avait aucun soldat en vue. Le trajet complet par le nord lui aurait coûté beaucoup de temps et d’argent, mais il aurait pu sortir de la ville avec presque certitude.

Quiconque passe un peu de temps en Cisjordanie sait que quand on est désespéré, on peut aller partout. Il y a toujours une route alternative, même par Israël, même avec le mur, pleine de nids de poule. Israël n’est pas stupide. Israël sait que les Palestiniens peuvent contourner les barrages militaires, s’ils ont suffisamment d’énergie et d’argent pour le faire. Alors pourquoi Israël fait-il ça ?

Lorsque notre taxi collectif d’Huwwara à Haris a quitté le checkpoint, le chauffeur a demandé à plusieurs autres taxis comment c’était à Zatara. Zarata est un checkpoint permanent entre Huwwara et Haris, mais il y a une route alternative par le village de Jama’iin que les taxis empruntent lorsque la file au checkpoint est trop longue ou trop lente. Le trajet est beaucoup plus long et difficile, plein de tournants et de bosses. Quand notre chauffeur a choisi ce détour, ma voisine a fait la grimace et a sorti quelques poches de plastique, dans lesquelles elle a vomi pendant tout le voyage. Je lui frottai le dos, ne sachant que faire, pensant à la route courte, droite et goudronnée qui aurait soulagé sa souffrance, sans fin pour les non Juifs.

Le taxi nous a arrêté près de l’arrêt de bus d’Haris, que les soldats ont encerclé avec les énormes cubes de béton qu’ils utilisent pour bloquer notre village. Ces blocs font que les Palestiniens qui attendent ne peuvent pas aller facilement de l’abri de bus à la route, ce qui signifie qu’au moins un d’entre eux doit attendre, toujours attendre, sur la route pour apercevoir et faire stopper les voitures, même lorsqu’il pleut. Chaque fois que je suis obligée de tremper mon sac à dos et mon jeans, en attendant de commencer mon trajet, je me demande ce qu’Israël a à gagner à rendre, même les arrêts d’autobus, inaccessibles sans lutte, à transformer ce qui pourrait être un trajet agréable de retour à la maison en un voyage misérable et nauséeux.

Je pense au pourquoi de l’édification de ces barrages routiers au début, à l’extérieur de Haris, lorsque les villageois devaient soit arrêter leurs voitures à l’entrée, la garer, contourner à pied le barrage et prendre un taxi pour faire le reste du trajet et aller travailler ou à l’université, ou bien prendre leur voiture par un détour sinueux, sur un chemin de terre, à travers la campagne, pour rejoindre la même route extérieure. Où est l’intérêt de rendre la vie si pénible que les gens en viennent à reconsidérer d’aller travailler ou à l’école ? Qu’est-ce qui arrive lorsque la vie quotidienne en Palestine devient juste trop insupportable ?

Je trouve une réponse à mes questions presque tous les jours lorsque des inconnus appellent ou nous contactent, désespérés, nous demandant de les aider à obtenir un visa pour l’Europe ou l’Amérique du Nord. Ils disent qu’ils n’en peuvent plus. D’abord Israël a pris leur terre, puis leurs fils, et maintenant leur dignité. Ce qu’Israël veut plus que tout, ce n’est pas de faire du mal aux Palestiniens ; Israël veut que les Palestiniens s’en aillent. Israël est le premier à admettre que le « problème démographique » d’un trop grand nombre de Palestiniens dans un Etat exclusivement juif menace plus Israël que ne le feront jamais les attentats-suicide.

Addawiya m’a dit qu’elle voulait partir, alors que nous revenions de sa terre. Je lui ai demandé où, et elle m’a dit que cela n’avait pas d’importance – qu’elle n’irait nulle part. « Parce qu’aucun pays ne te donnera de visa ? », lui ai-je demandé. Et elle a secoué la tête : « Parce que c’est ça qu’ils veulent. Ils veulent que nous nous enfuyions, comme nous l’avons fait en 1948, de manière à ce que le Fonds National Juif puisse encore nous exproprier et donner notre terre aux Juifs. Mais je ne partirai pas. Je resterai ici parce que c’est notre droit et notre devoir, à moi et à mes enfants. »

Pour Addawiya, rester dans son village et travailler sa terre est de la résistance non violente, ce à quoi pratiquement tous les Palestiniens prennent part.

Ce n’est pas le mode de résistance qui ne fera pas la une des journaux, ni l’ouverture du journal télévisé, mais c’est une résistance qui est là, qui est forte, et qui n’est pas près de finir.

En lutte,
Anna

Source : ISM  Traduction : MR pour ISM