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La vérité à haute-voix

Monseigneur GAILLOT interviewé par Silvia Cattori et Charlotte de Saussure

jeudi 24 février 2005

Monseigneur Gaillot : « J’ose croire encore à la paix, sinon c’est le chaos »

Entretien réalisé par Silvia Cattori et Charlotte de Saussure.

23 février 2005

http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1705

De notre rencontre avec Monseigneur Gaillot nous avons gardé l’impression d’un être ouvert, disponible et enthousiaste qui a le sens du désespoir et de la plus haute paix. D’un être qui vous parle avec gentillesse, avec douceur, de la souffrance des humbles.

Silvia Cattori

Monseigneur Gaillot, vous écrivez, presque en conclusion de votre dernier livre : « J’associe spontanément le peuple irakien au peuple palestinien. Voici deux peuples humiliés, asphyxiés, sur lesquels on exerce une violence intolérable ». (1) De quand date votre engagement auprès des Palestiniens ?

- Il y a une vingtaine d’années, je suis allé dans un camp de réfugiés palestiniens. Et la misère des gens dans ce camp m’a beaucoup frappé. J’ai pensé que je devais m’impliquer dans cette cause. A partir de là, je suis allé souvent en Palestine. J’ai rencontré le président Arafat à Tunis ; j’ai également visité les camps palestiniens au Liban. On a fait des films, des conférences pour dire aux gens dans quelles conditions vivaient les Palestiniens dans les territoires occupés. Nous en France on a connu l’occupation allemande pendant quatre ans ; pour les Palestiniens l’occupation aura duré toute leur vie. J’ai en mémoire ce jeune palestinien qui me disait sa colère : « Nous ne sommes pas chez nous, on a volé ma vie, ma jeunesse. Je ne peux pas étudier, je n’ai pas de travail ». C’est terrible. Je garde ces paroles en moi. La dernière fois que je me suis rendu en Palestine j’étais un peu découragé ; c’était en 2002, à Gaza. J’étais découragé de voir la vie qu’ils menaient et je sais que cela n’a pas cessé d’empirer depuis. Comment peuvent-ils tenir ? Je me disais sans cesse : comment peuvent-ils vivre dans ces conditions ? Moi je ne fais que passer, alors que toute leur vie se résume à cette précarité, à la présence militaire. Autant autrefois je me disais : cela va s’améliorer, autant là j’ai eu le sentiment qu’ils touchaient le fond ! Je garde toujours en moi cette précarité et, en même temps, j’admire ce peuple qui tient, qui résiste et qui vote avec dignité, alors qu’il est toujours sous occupation.

Je vous sens optimiste. Vous semblez évoquer l’élection du successeur d’Arafat, comme un espoir ? Or ce peuple, « coincé » hier par les accords d’Oslo et un Abu Mazen qui semble partir dans la même voie, traverse une période critique, non ?

- J’en ai parlé parce que, malgré tout ce qu’ils vivent, ils arrivent encore à aller voter ; ce sont des gestes de citoyens exemplaires que j’admire. Tout en sachant que la situation pour eux est explosive, que leur quotidien se dégrade sans cesse, que leur avenir est plein d’incertitudes.

Mais quand vous écrivez que la force d’Arafat « c’était d’être inséparable de son peuple et que, grâce à lui, plusieurs générations ont échafaudé le rêve d’un État palestinien indépendant » n’avez-vous pas personnellement renoncé, aujourd’hui, à ce rêve ?

- J’ose croire encore à la paix, sinon c’est le chaos. C’est un petit espoir. Mais je sais qu’on n’arrête pas le destin d’un peuple, que ce n’est pas possible que le peuple palestinien vive sans sa terre. Mais au prix de quelles souffrances, de quelles épreuves ! Je suis allé souvent dans les familles. Chaque famille, là bas, a de grandes blessures ! Je pense souvent à cette mère de Gaza dont le fils aîné de 22 ans avait été tué dans un affrontement, et qui avait un autre fils âgé de 20 ans, emprisonné. Son mari était là, muet, comme brisé, et elle me disait faire des cauchemars chaque nuit en pensant aux tortures que subissait son fils dans cette prison israélienne. Cette pauvre mère me demandait de l’aide ; elle me faisait de la peine.

N’avez-vous pas l’impression que la communauté internationale et le mouvement de solidarité n’ont pas fait tout ce qu’il fallait pour les Palestiniens qui vivent entassés dans des conditions inhumaines, dispersés dans les camps de réfugiés depuis cinquante huit ans ?

- Mais c’est évident ! J’ai néanmoins la consolation de constater que la cause palestinienne est aujourd’hui présente dans l’opinion publique, qu’elle est perçue comme centrale, comme un enjeu pour toute notre civilisation, et non pas comme un conflit marginal et lointain, ce qui n’était nullement le cas autrefois. Avant, on percevait les Palestiniens comme des terroristes. Leur cause a désormais un large soutien ; les gens comprennent que c’est un peuple victime de l’occupation, même si, sur le plan politique, les Etats n’ont pas suivi comme il eut fallu et les dirigeants qui encadrent l’expression de la solidarité n’ont pas été jusqu’à maintenant, à la hauteur du défi. Le monde est aujourd’hui conscient qu’il y a un peuple entier écrasé par l’injustice.

Croyez-vous ceux qui, comme M. Alain Finkelkraut, affirment que les chrétiens en Palestine sont persécutés par les musulmans ?

- Les chrétiens ne sont pas persécutés par les Arabes ou les musulmans. Je n’ai jamais entendu dire quelque chose de pareil ! Les Palestiniens de confession chrétienne vivent côte à côte en bonne harmonie avec les musulmans. Ensemble ils résistent contre l’oppression que leur impose Israël. Si les chrétiens s’en vont c’est parce que la vie devient trop difficile sous l’occupation israélienne, c’est parce que leur espace se réduit comme une peau de chagrin. Il n’y a plus beaucoup de chrétiens. Les sœurs qui vivent à Gaza, près des Palestiniens depuis plus de trente ans, sont très aimées des Palestiniens.

L’Eglise fait-elle suffisamment de gestes pour faire entendre raison à Israël ? Le Vatican est-il suffisamment présent ?

- Effectivement, je pense que l’Église n’en fait pas assez, loin de là. Les Églises en général ne sont pas assez courageuses. Mais le pape se soucie des Palestiniens, je crois. Le Vatican a fait une très belle action quand il a nommé Monseigneur Michel Sabah, un Palestinien de Nazareth. C’est la première fois qu’un Palestinien a été nommé Patriarche. Ce Patriarche est un homme courageux. Il est l’honneur de l’Eglise là-bas. Il n’a pas peur de dire que les Palestiniens vivent sous occupation. Chaque fois que je vais à Jérusalem, je lui rends visite. Il est mal vu de Sharon du reste. Il est souvent humilié par les forces militaires israéliennes. Chaque fois qu’il veut se déplacer, il se fait arrêter aux barrages. A Noël, il a fait une homélie très courageuse pour dénoncer le mur. Il y a trois ans, il est intervenu auprès des autorités israéliennes pour leur demander de ne plus détruire les maisons des Palestiniens ; de détruire plutôt les églises où il n’y avait pas des familles, si vraiment ils voulaient détruire. J’ai les meilleures relations avec les religieux qui, là-bas, résistent pied à pied. Le peu que je peux faire, je le fais. Je recommande toujours aux religieux d’aller voir ce qui se passe dans les camps, pour comprendre. Mais les Palestiniens sont dans une telle situation ! C’est comme un incendie. On ne sait plus comment l’éteindre. Sans parler de l’Irak, de ce carnage qui nous bouleverse chaque jour quand nous regardons les images.

C’est la frustration et l’impuissance ?

- Oui, je vis douloureusement un sentiment d’impuissance, j’ai tellement peu de moyens ! Je vois un peuple qui vit dans la tourmente, et depuis tant d’années ! Je dis toujours aux gens d’aller en Palestine, de ne pas rester à l’hôtel à Jérusalem, d’aller dans les camps, parce qu’il faut se mettre du côté de ceux qui sont les plus en difficulté.

Avez-vous déjà été exposé à la critique, à des accusations pour votre engagement ?

- - Bien sûr ! Et je reçois des menaces, on m’a bloqué mon ordinateur. L’anathème ne doit pas nous faire peur. Tant qu’on a peur on n’est pas libre. Quand on est libre, d’ailleurs, cela fait peur. Il faut savoir prendre des risques, se positionner.

Je sais qu’on m’en a beaucoup voulu pour ma défense de la cause Palestinienne. Surtout dès 1988-89 ; quand j’ai apporté mon soutien à « Un bateau pour la Palestine ». Il y a eu des réactions d’hostilités qui se sont manifestées, mais cela ne m’a pas empêché de continuer à soutenir cette cause. Je m’étais rendu en Grèce pour appuyer ce projet, pensant qu’il y avait lieu d’apporter notre soutien aux Palestiniens, comme on l’avait fait pour les juifs dans leur exode, après la guerre. Israël n’a pas apprécié que l’on puisse reprendre cette initiative. Il l’a qualifiée de crime, et a fait sauter le bateau. J’avais beau dire que défendre les réfugiés Palestiniens, ce n’est pas être « contre les juifs ». Il faut que les juifs s’ouvrent à cette humanité. Je sais qu’il y a toujours, comme un boulet qui retient les responsables, dans le rappel de « ce que les juifs ont souffert ». Mais je sais que beaucoup de personnes de confession juive souffrent actuellement d’être identifiés aux oppresseurs !

Pensez-vous qu’Israël est aujourd’hui un pays qui pratique l’apartheid ?

- Absolument ! Et c’est dans la continuité des relations privilégiées qu’Israël entretenait avec l’Afrique du Sud, tandis que le monde entier la boycottait. Heureusement aujourd’hui des actes sont posés de part et d’autre qui font avancer la paix. Je suis certain que beaucoup d’Israéliens et de Palestiniens veulent la paix.

Croyez-vous que les Palestiniens puissent accepter de résider sur des terres discontinues et seulement un faible pourcent de leur territoire historique, comme cela semble se profiler ?

- Les Palestiniens réclament simplement 22% de leur territoire.

L’idée de maintenir Israéliens et Palestiniens dans un État unique qui garantisse à chaque citoyen les mêmes droits civiques reprend de la force ; n’est-ce pas un projet plus juste que de cantonner les Palestiniens dans de petits morceaux de territoires discontinus, ce qui ne résoudra pas tous les problèmes ?

- Les Palestiniens ont droit à un Etat viable, stable et reconnu par la communauté internationale.

Simone Weil disait que la notion de « peuple élu » est à l’origine de tous les abus sur les peuples environnants...

- C’est dangereux de parler de peuple élu, supérieur aux autres, qui n’est pas comme les autres. Ce n’est pas dans la ligne biblique. Tous les peuples qui doivent s’en sortir et vivre dans la fraternité ne peuvent pas accepter ce discours. Cela ne sert pas l’humanité. On ne peut pas se mettre au dessus des autres.

Dans vos « Carnets de route », vous évoquez Mgr Romero et Mgr Helder Camara avec beaucoup d’affection. Vous sentez-vous proche de la théologie de la libération latino-américaine ?

- Tout à fait. Une théologie faite pour libérer les gens.

Mais la théologie de la libération a été amenée à soutenir la lutte armée, dans certains cas ?

- La théologie de libération a pour but de faire en sorte que les pauvres deviennent responsables, qu’ils s’en sortent eux mêmes. Cette théologie est non violente, mais il y a eu des cas où il a fallu prendre les armes. Personnellement, je préfère toujours d’autres formes de lutte... Le Che aussi, était inspiré par les mêmes sentiments tout à fait chrétiens et en lisant ses Carnets, on voit très bien comment il a longtemps cherché à combattre l’injustice faite aux pauvres par des moyens pacifiques, non violents. A un moment, il a pensé qu’il fallait se battre avec des armes. Je ne suis pas pour la lutte armée. Mais je ne juge pas. Ceux qui sont dans des situations terribles se révoltent par la violence contre la violence qui leur est faite. Or la violence ne résout pas les problèmes. Je comprends. On a mis les Palestiniens dans une situation où on les a provoqués à prendre des armes.

Vous avez écrit : « Pour moi, la laïcité présuppose que les citoyens soient d’abord des femmes et des hommes avant d’être des croyants. On n’est pas croyant avant d’être citoyen ». Donc vous souhaitez la laïcisation d’Israël ?

- Tout à fait. On devient chrétien, on ne l’est pas à la naissance. La foi vient après, c’est un choix strictement personnel. La religion est quelque chose de facultatif. La laïcité permet à la religion d’avoir sa vraie place. Dans le cadre de la commémoration de la séparation de l’Église et de l’État qui va avoir lieu en France en 2005, on insiste à juste titre sur ce que cela implique comme garantie d’un fonctionnement démocratique de la société, en dehors des pressions de grosses institutions religieuses. Cela serait salutaire aussi en Israël.

Le christianisme...

- Le christianisme est un ferment d’humanité. C’est un message de libération et non pas d’enfermement. C’est aller vers ceux qui sont sur le bord de la route. Comme je le dis toujours, servir le Christ, c’est avant tout servir les pauvres, ce sont eux qui l’incarnent, réellement ! D’ailleurs c’est à eux que le Christ s’adressait. L’Eglise n’est jamais elle-même sans les pauvres.

Donc vous êtes de ceux qui appréciez des personnes qui se positionnement contre la politique d’apartheid d’Israël, quitte à en devoir payer le prix, tel Dieudonné ?

- Je me positionne pour la paix. Je ne cherche pas à mettre les uns contre les autres. Quant à Dieudonné, j’ai de l’amitié pour lui. Nous avons participé un jour à une action pour des sans logis. Il est courageux, intelligent. Ne le diabolisons pas à cause de ses excès. Il a le mérite de secouer nos consciences et de nous déranger.

Il y a dix ans, vous avez dû quitter Evreux à cause de vos positons justement. En avez-vous souffert ?

- Non, pas du tout. J’ai vécu de belles années, je suis un homme de terrain. J’ai fait de belles rencontres. J’aime l’amitié.

(1) Carnets de route 1995-2005. Paris, Ed.Jean-Claude Gawzevitch.