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Le monde a la mémoire courte

Gaza, une non-entité

par Philippe Risk

mercredi 28 février 2007

Pour quitter Gaza, il faut marcher tout le long d’un tunnel rempli de tourniquets, de générateurs à rayons X, de portes, de cages et de contrôles de passeport.

Mercredi dernier, j’ai trouvé le tunnel qui s’arrêtait abruptement devant moi, un mur grossièrement façonné me barrait le chemin habituel de l’entrée ; à la place, une ouverture vers la droite, elle conduisait vers un endroit inconnu. J’ai bifurqué à l’angle et me suis retrouvé dans un passage digne d’Orwell, menant à une énorme construction avec quatre portes automatiques solidement fermées.

Le long de ce corridor qui est clôturé court un fossé, anachronique, médiéval ; de l’autre côté, un monticule fait des gravats et des détritus de la région de Beit Hanoun autrefois magnifiquement fertile.

Aujourd’hui, une grande partie de la ville se délabre et si les terres qui l’entourent restent vertes, elles sont vides de cette vie qui se développait ici par le passé.

Les passages, qui sont des cages, sont parés de caméras de sécurité et le bourdonnement des haut-parleurs rappelle à chaque passant que, oui, quelqu’un, quelque part, est en train de l’observer.

Sur le chemin, j’ai rencontré un homme d’affaires palestinien dont la fabrique de vêtements est à Gaza. Mohammed a des problèmes de dos. Il était penché contre la barrière et respirait bruyamment. Je lui ai demandé s’il avait besoin de quelque chose puis j’ai marché à ses côtés lentement quand soudainement il s’est emparé de ma main, comme d’un appui supplémentaire ; il nous restait environ 300 mètres à faire.

Aux portes coulissantes qui s’ouvraient vers un monde dont on ne savait rien, se tenaient neuf autres personnes, sans doute aussi des hommes d’affaires. Je notais que l’un d’eux cherchait autour de nous une caméra vidéo pour s’assurer si nous étions observés ici. Une pancarte odieuse informait les voyageurs que les bagages seraient fouillés. La pancarte présentait ses excuses à l’avance pour tout dérangement. En grosses lettres, on pouvait lire : « les armes ne sont pas autorisées ». La sécurité, semblait-elle insinué, était le but de cette expérience spéciale.

Soudain une porte s’ouvre en coulissant nous laissant entrer, les dix hommes d’affaires dont Mohammed avec son mal de dos et moi-même dans ce bâtiment menaçant, et se referme.

Une fois à l’intérieur, la véritable expérience orwellienne commence.

Nous sommes d’abord face à un détecteur de métaux et à un tourniquet ; celui-ci ne permet qu’à une seule personne de passer, à condition que le détecteur de métal n’ait détecté aucun objet en métal dans les affaires de quelqu’un. Mon sac a déclanché l’alarme sonore et trois infortunés hommes d’affaires ont été empêchés comme moi d’entrer. Alors s’en est suivie une procédure où l’un des hommes d’affaires qui parlait hébreu à négocié notre libération, par interphone, avec un soldat ou un gradé qu’on ne voyait pas, tout en me traduisant les instructions qui me concernaient.

Après m’être reculé de 20 mètres, j’ai ouvert mes bagages à la vue des caméras de sécurité, enfin la serrure automatique a été libérée et nous avons pu entrer. Ce n’était que le début.

Après avoir monté par une rampe en virage, nous sommes entrés dans un bâtiment qui ressemblait beaucoup à un entrepôt, pourtant je devinais quelque chose d’irréel ici. Encore un tourniquet qui empêchait une quarantaine de personnes rassemblées ici de s’engager dans l’étape suivante, elle aussi inconnue.

Il me faudra plus d’une heure pour réaliser cet exploit. Un Palestinien (aucun Israélien n’est en vue) distribuait des autocollants avec des numéros dessus, un pour chaque voyageur et un pour chaque sac. Ensuite tout ce que j’avais sur moi - sauf les vêtements que je portais -, la ceinture, le contenu de mes poches, les objets électroniques mis séparément, a été placé sur un tapis roulant et a disparu.

Pendant ce temps, je faisais la queue pour passer à un autre détecteur de métal, puis à un curieux générateur à rayons X et plus loin, une stalle, avec une porte fermée de chaque côté, j’étais tout comme une vache dans son enclos, comme pour donner aux officiers invisibles tout contrôle sur mon entrée et ma sortie.

Ayant passé cet obstacle, je trouve un autre tapis roulant qui crachait les bagages sur des plateaux immenses avec le contenu des sacs éparpillés en désordre. Quand j’ai vu mon plateau approcher j’ai dû me frayer un chemin dans la foule, j’ai vérifié que tous mes objets de valeur étaient là et j’ai commencé à m’habiller. En levant les yeux, j’ai remarqué une grande salle de surveillance avec des femmes et des hommes d’âges différents scrutant les écrans d’ordinateurs et les gens en dessous. Je me suis senti petit et impuissant, d’un monde différent de celui-là, là-haut.

Après avoir franchi encore un autre tourniquet, j’ai passé une demi-heure à attendre qu’un officier contrôleur des passeports vienne vérifier mes papiers.

Là, j’ai rencontré Piedro. Je l’avais déjà remarqué, apparemment contrarié au milieu de la foule d’hommes d’affaires palestiniens, près d’un vieil homme, pâle, qui portait une casquette pour le ski. Celui-ci tâtait doucement son sac du doigt et, finalement, il a trouvé sa pochette de médicaments remplie d’un assortiment de pilules. J’ai appris plus tard que Piedro n’était jamais arrivé en Israël ce jour-là.

Le terminal d’Erez est maintenant considéré comme une frontière internationale, pourtant je me demande dans quoi je pénètre que je viens d’Israël vers cette non entité.

Ariel Sharon, maintenant dans le coma, avait déclaré il n’y a pas si longtemps, que « le contrôle et la responsabilité d’Israël » étaient terminés sur ce territoire dévasté, pourtant cela parait à peine vrai.
Le monde semble avoir une mémoire excessivement courte. Pourtant, ce cauchemar pour le peu de Palestiniens autorisés à traverser ici est stressant, sans fin.

Philip Rizk
Live from Paletine, 26 février 2007 - http://electronicintifada.net/v2/ar...
Trad. : JPP