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Enquête sur l’affaire Hariri (réactualisation)

Quels sont ces 10 pays qui ne collaborent pas correctement à l’enquête internationale ?

La chappe de silence commence à ne plus pouvoir résister à la vérité

jeudi 18 janvier 2007

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23 janvier 2007

Le dernier rapport de Serge Brammertz, remis le 12 décembre dernier, n’a pas été beaucoup commenté dans la presse occidentale. À l’inverse, son paragraphe numéroté 103 de ce rapport a été abondamment relayé par une partie de la presse arabe, et a provoqué cette semaine un incident à l’ONU.

Voici la teneur de ce paragraphe extrait du rapport Brammertz (l’intégralité du rapport, en anglais, est disponible sur le site Ya Libnan) :

103. Si la plupart des États ont répondu positivement aux demandes de la Commission d’enquête et l’ont activement assistée dans son travail, notamment en facilitant les entrevues avec les témoins et en fournissant d’autres aides et informations, certains États ont fourni des réponses tardives ou incomplètes, ou n’ont pas du tout répondu. À la fin de la période couverte par ce rapport, les réponses à 22 demandes envoyées à 10 États-membres différents n’ont pas été fournies à temps. Le manque de répondant de certain États a de sérieuses conséquences en termes de délai de travail pour la Commission et de progrès de l’enquête. Considérant la nature cruciale des informations qu’elle cherche à obtenir de la part des États et la période de temps limitée dont elle dispose pour parvenir aux objectifs de l’enquête, la Commission est confiante dans le fait qu’elle obtiendra une coopération complète et rapide de tous les États durant la période du prochain rapport.

Certains médias ont fait semblant d’y lire une accusation contre la Syrie. Cependant, les paragraphes qui précèdent, dans le même rapport Brammertz, font explicitement référence à la Syrie (paragraphes 98 à 101). On peut ainsi lire :

98. Conformément aux exigences faites à la République arabe syrienne, telles que formulées par les résolutions 1636 (2005) et 1644 (2005) et par l’accord établi entre la Commission et la Syrie cette année, la coopération de la Syrie avec le Commission demeure opportune et efficace.
ou encore :

101. Tous les activités d’enquête de la Commission ont été mises à disposition par la Syrie en accord avec les demandes que la Commission avaient envoyées aux autorités durant la période couverte par le présent rapport, et la Commission est satisfaite de la diligence avec laquelle elles ont été réalisées, et avec le soutien logistique et sécuritaire apportés à ces activités. Le niveau d’assistance fourni par la Syrie durant cette période a été généralement satisfaisant. Le Commission continue de demander la coopération complète de la Syrie, ce qui reste un point crucial à la réussite rapide de son travail.
Il ne s’agit évidemment pas ici de faire la promotion de l’efficacité des services sécuritaires syriens (hum...) en reproduisant ces extraits du rapport. Cependant, ils sont nécessaires pour bien comprendre que, contrairement à certains allégations, le paragraphe 103 dénonçant la mauvaise volonté d’une dizaine d’États n’évoque absolument pas la Syrie.

Et on s’en doute, si ça n’est la Syrie, chacun se demande quels peuvent bien être ces 10 pays.

Une semaine après la publication du rapport, Ibrahim Al-Amine racontait dans Al-Akhbar comment l’ancien enquêteur, Detlev Mehlis, avait souhaité s’exprimer publiquement sur le rapport de son successeur (notamment chez May Chidiac sur la LBC), et quel bazar cela avait provoqué. Il expliquait alors que cet antagonisme entre les deux hommes se doublait d’une mauvaise volonté du gouvernement allemand à soutenir l’actuelle enquête. D’où, selon lui, la mention du paragraphe 103. Je livrais ici aux lecteurs non-arabophones un compte-rendu de l’article d’Al-Akhbar.

L’affaire a depuis rebondit, et c’est la Russie qui a souhaité, la semaine dernière à l’ONU, que Serge Brammertz révèle dans son prochain rapport le nom de ces dix pays dont la coopération est jugée insuffisante. L’article du Daily Star qui raconte l’agitation onusienne est assez savoureux ; où l’on constatera que la France et les États-Unis souhaitent entendre la vérité, rien que la vérité, mais pas toute la vérité. Signalons que, si Al-Akhbar est un quotidien proche de l’opposition, le Daily Star ne l’est pas (il s’agit d’un quotidien libanais anglophone vendu comme supplément local à l’International Herald Tribune – j’aurais tendance à le trouver totalement inintéressant, mais c’est beaucoup plus supportable que L’Orient-Le Jour, et il y a chaque jour une belle épaisseur de papier, idéale pour accompagner un bon narguilé en fin de matinée au café Chatila).

Les États-Unis et la France bloquent la demande russe d’identifier les États qui résistent à l’enquête Hariri

La Russie s’est trouvée confrontée à la France, aux États-Unis et à d’autres membres du Conseil de sécurité quand elle a cherché à demander au chef des inspecteurs de la Commission d’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais qu’il révèle le nom des dix pays qui n’ont pas satisfait à ses demandes.

L’ambassadeur russe à l’ONU, Vitaly Churkin, a déclaré mardi qu’il était de la responsabilité du Conseil de sécurité de s’assurer que tous les pays coopèrent avec l’enquête sur l’assassinat de Rafiq Hariri.

Mais la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays ont soutenu la position de l’enquêteur en chef Serge Brammertz, qui ne veut pas que les noms de ces pays soient révélés en ce moment, ont raconté des diplomates du Conseil.

La Russie s’oppose habituellement au dévoilement nominatif et à l’humiliation des pays, mais Churkin a demandé si, le Conseil s’étant « si fermement » focalisé sur un seul pays – la Syrie – « pourquoi devrions-nous totalement ignorer, ou même ne pas chercher à savoir – qui sont ces pays ? »

L’ambassadeur de Syrie à l’ONU, Bashar Jaafari, a pointé du doigt la France, initiateur avec les États-Unis pour obtenir que le Conseil de sécurité adopte l’enquête Hariri, l’accusant de bloquer la demande à Brammertz.

« L’initiative russe va dans la logique de la recherche de la vérité », a déclaré Jaafari.

Mardi dernier, Churkin a déclaré : « Je crois que nous sommes très proches d’un compromis sur cette question. »

La Russie a proposé un compromis, a-t-il ajouté, consistant à demander au Président du Conseil de sécurité – Churkin à partir de janvier – d’envoyer une lettre à Brammertz lui demandant « d’être plus précis lors de son prochain rapport en mars » au sujet des pays ne coopérant pas.

Dans son troisième rapport au Conseil du 13 décembre, Brammertz a déclaré que la coopération de la Syrie avec les enquêteurs « demeure opportune et efficace », tout en critiquant 10 autres pays – qu’il n’a pas identifiés – n’ayant pas répondu à 22 requêtes de la Commission d’enquête internationale.

Un rapport de 2005 par le précédesseur de Brammertz avait impliqué les services de sécurité syriens et libanais dans l’attentat à la voiture piégée du 14 février 2005 qui avait tué Hariri et 21 autres personnes dans le centre de Beyrouth. Chacun des rapports remis au Conseil a abordé la question de la coopération de la Syrie.

S’exprimant devant les journalistes le 18 décembre, Brammertz a expliqué qu’on lui avait demandé plusieurs fois de révéler le nom des 10 pays, mais que « ça n’est pas dans notre intention de le faire ».

L’ambassadeur américain par intérim aux Nations unies, Alejandro Wolff, a déclaré que les États-Unis s’opposaient à la manœuvre russe.

« Nous ne pensons pas que ce soit la bonne façon de procéder », a dit Wolff, insistant sur le fait que les États-Unis avaient une « confiance énorme » en Brammertz « et qu’ils soutiendraient toujours sa propre opinion quant à la meilleure façon de l’aider – et de nombreux membres du Conseil partagent ce point de vue. »

La France a expliqué que si Brammertz voulait que le Conseil agisse, il peut le demander aux membres à tout moment, mais que le Conseil ne devrait pas interférer avant qu’il ne demande de l’aide, une position soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres, ont expliqué des diplomates du Conseil, s’exprimant anonymement parce que les consultations étaient terminées.

Interrogé sur le point de savoir s’il avait consulté Brammertz, Churkin a expliqué qu’il ne l’avait pas fait.

« M. Brammertz subit assez de pression sur sa personne sans avoir à supporter des pays qui ne veulent pas coopérer complètement avec lui pour quelque raison que ce soit », a déclaré Churkin. « Ça peut être pour des motifs techniques. Ou pour des motifs non techniques. »

« Nous ne sommes pas en train d’essayer de gérer les détails du processus… mais il ne devrait pas être en train de devoir forcer les États à collaborer avec les exigences des résolutions du Conseil de sécurité », a dit Churkin. « Une délégation sera en train d’observer sa position… et nous serons également en train de réfléchir à une solution pour résoudre ce point spécifique. »

Le 12 janvier, Al-Akhbar publiait un nouvel article (pour rappel, on pourra lire un compte-rendu d’un premier article sur ce sujet sur ce blog), où il affirme révéler le nom de 9 pays ne collaborant pas correctement à l’enquête. Évidemment, le lecteur méfiant pourra trouver que cela a des airs de « conspiration internationale » mais, rappelons-le, c’est bien Serge Brammertz qui a dénoncé dans son rapport le manque de coopération d’une dizaine de pays, indiquant que cela avait de sérieuses conséquences sur le déroulement de l’enquête. De plus, les récentes manœuvres au Conseil de sécurité ne prouvent certes pas les affirmations d’Al-Akhbar, mais il est évident qu’un « dévoilement » (prétendu ou avéré) sera d’autant mieux reçu par les lecteurs qu’il survient juste après ce qui est perçu comme une tentative de dissimulation.

Voici un compte-rendu de la partie de l’article d’Al-Akhbar qui dresse la liste de ces pays (le début raconte l’épisode de l’ONU).

Selon nos informations, les noms des pays et les raisons pour lesquelles ces pays n’ont pas répondu aux requêtes des enqêteurs sont les suivants.

1. Les États-Unis, dont on pense qu’ils détiennent de nombreuses informations relevant du renseignement de haute technologie. Les images-satellite à leur disposition ne sont pas arrivées à la Commission d’enquête.

2. Israël, à qui l’on a demandé de fournir les rapports des vols de reconnaissance militaire réalisés dans les heures qui ont suivi ou précédé l’assassinat de Hariri ou d’autres crimes.

3. La France, qui refuse toujours de livrer le témoin Mohammed Zuhair Siddiq à la Commission ou au gouvernement libanais, et a empêché qu’il soit interrogé hors de leur contrôle et qu’il quitte le territoire français.

4. L’Allemagne, qui a refusé de livrer à l’actuelle Commission d’enquête des informations issues de réseaux de renseignement privés, informations réunies par l’équipe précédente dirigée par Mehlis et son bras droit Gerhard Lehman, ainsi que des rapports sur des témoignages obtenus par cette équipe. Le gouvernement a aussi refusé de fournir des enquêteurs spécialisés, nécessaires à Brammertz pour réaliser son travail, en plus de faire jouer la couverture diplomatique de Lehmann, empêchant ainsi la Commission de l’interroger et d’enquêter sur les accusations que porte contre lui le major-général Jamil As-Sayyed, à propos des accords et des négociations secrètes menés avant et après l’arrestation d’As-Sayyed, tractations dont on a trouvé la trace sur le CD-Rom de la Commission internationale et des autorités libanaises. Par ailleurs Mehlis comme Lehmann sont prêts à témoigner devant le tribunal international, mais pas à témoigner devant la Commission d’enquête actuelle.

5. L’Australie, qui n’a pas rendu tous les rapports des laboratoires d’études médico-légales et sur les enquêtes impliquant six Libanais, initialement suspectés dans l’enquête libanaise, et les échantillons d’explosif relevés sur les sièges de l’avion qu’ils ont emprunté immédiatement après l’explosion ; cette version des faits fut par la suite démentie, et on affirma que leur visite au Liban n’avait eu lieu qu’au retour de leur pélerinage à la Mecque, sachant cependant qu’un rapport est arrivé au Liban quelques jours après une première requête et qu’il a été caché, ou bien ses résultats négligés, dans l’enquête menée par la Commission Mehlis.

6. L’Arabie Séoudite, qui n’a pas fourni d’informations exploitables pour savoir si ces six personnes avaient bien fait leur pélerinage, et comment ces personnes étaient entrées ou sorties sur royaume ainsi que tout autre relatif. De plus, le dossier d’un des six personnages arrêtés sous l’accusation d’appartenir à Al Qaeda, dont il se dit que des enquêteurs saoudiens l’ont interrogé dans son lieu de détention au Liban avant que la Commission d’enquête n’obtienne le rapport sur l’enquête sur un groupe de 13 personnes, dont il s’est avéré que certaines étaient en relation avec Ahmed Abou Adass et Khaled Taha, dont on a perdu toute trace. Il se dit qu’il allait être arrêté, mais qu’il a rejoint le camp d’Ein el-Hilweh et qu’on l’a exfiltré vers l’Irak.

7. Le Koweit, qui a empêché le contre-interrogatoire de l’éditeur en chef du Arab Times, Ahmed Al-Jarallah, dont le journal avait publié des informations en profusion sur l’enquête dans sa phase initiale, et dont la plupart ont été répétées ultérieurement par des témoins, notamment par Mohammed Zuhair Siddiq et d’importants politiciens libanais et des membres du gouvernement.

8. Les Émirats arabes unis, qui n’ont pas fourni toutes les informations sur les trafiquants d’armes et d’explosifs et sur le trajet du van Mitsubishi, que les services de sécurité japonais ont déclaré volé et envoyé dans l’Émirat de Sharjah des Émirats arabes unis, puis les histoires contradictoires sur le reste du périble se sont multipliées. Le service d’information des Forces de sécurité intérieure a affirmé auprès des commissions d’enquête libanaise et internationale qu’il existe des papiers de douane et des informations certifiées indiquant que le véhicule est entré au Liban en passant une frontière avec la Syrie.

9. Le Brésil, qui n’a pas fourni d’informations sur les détails de l’enquête menée contre Rana Koleilat, détenue là-bas, au sujet de la banque Al-Madina et du rapport de ces affaires avec l’assassinat.

Quelques commentaires.

1. Tout d’abord, l’origine de la « polémique » n’est pas une élucubration d’un journal proche de l’opposition libanaise (et encore moins un billet du présent blog daté du 24 décembre dernier), mais un paragraphe étonnant du dernier rapport de Serge Bremmertz. L’homme est sans doute intelligent, connaît l’importance de son enquête (élément vital qui peut décider de la guerre et de la paix entre nations, ou à l’intérieur d’une nation), sait que ses rapports sont disséqués par toutes les parties pour tenter d’en tirer des conclusions politiques... et il dénonce dans un paragraphe uniquement consacré à cet effet l’absence de réponse à 22 de ses requêtes par 10 pays... en refusant de les citer. Faut-il vraiment s’étonner que ce passage provoque des interrogations vives et bruyantes dans la presse arabe ?

2. Évidemment, l’action de la Russie la semaine dernière au Conseil de sécurité a des motifs politiques propres. Mais, sachant que les Russes eux-mêmes ne sont pas des imbéciles, et connaissant les liens qu’ils tissent au Moyen-Orient (très différents, voir opposés à ceux des Occidentaux), on peut supposer qu’ils n’iraient pas lancer une telle revendication si, pour leur clouer le bec, il suffisait de sortir une liste de dix pays proches de leurs intérêts. On peut donc suspecter que, dans leurs propres analyses (sans même aller jusqu’à imaginer qu’ils aient leurs propres « sources »...), la liste des pays incriminés, telle qu’ils se la représentent, ne doit pas contenir beaucoup de leurs propres alliés.

3. Un point important de la liste d’Al-Akhbar est qu’elle renvoit à des éléments présents dans le rapport Mehlis. Certes, personne n’a lu ce rapport en Occident ; mais dans le monde arabe, il l’a été, et avec attention. Tous les éléments exposés par Al-Akhbar « sonnent vrai » pour les lecteurs arabes, parce qu’ils renvoient à des éléments qu’ils ont lu, à l’époque, dans le fameux rapport Mehlis, là où un lecteur occidental aurait tendance à n’y lire qu’une n-ième théorie du complot sans fondements (lecteur qui doit bien se demander, par exemple, pourquoi on lui parle de cette « Rana Koleilat » dont il n’a rigoureusement jamais entendu parler auparavant).

4. Le lecteur aura également remarqué que cette liste désigne, pour la plupart, les membres du club des « usual suspects » du monde arabe. De fait, là où le paragraphe de Brammertz indique seulement des difficultés avec 10 pays, le texte d’Al-Akhbar fournit une explication qui apparaîtra cohérente à ses lecteurs ; ce qui, j’en conviens, n’est pas une preuve non plus, mais il importe de comprendre le poids de cet article au Liban.

5. Par les points évoqués, qui renvoient à nombre de « preuves » du rapport Mehlis, l’article contribue au travail de sape contre l’enquêteur allemand dont l’enquête est, depuis belle lurette et dans une large partie de l’opinion, considérée comme totalement biaisée. Dénoncer la non-coopération sur des points précis de son rapport permet ainsi de donner un angle « scientifique » à une critique jusque là essentiellement politique : si même les rapports d’expertise médico-légale sont cachés au fond d’un tiroir...

6. Pour le pinailleur du forum, je prends les devants : oui, Brammertz a écrit « 10 États », et Al-Akhbar en a donné 9. Et 9, ça n’a jamais fait 10 !