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Pierre Beaudet et Michel Warschawski

Résister : Un impératif pour le mouvement social mondial

publié ce lundi 1er janvier 2007.

lundi 1er janvier 2007

http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=4284

Dans un sens, cette résistance [palestinienne] défie la stratégie impérialiste dans son ensemble et donc, cela nous concerne tous, qu’on soit en Afrique ou en Europe ou en Asie de l’Est et dans les Amériques.

FACE À LA GUERRE GLOBALE

Résister

Un impératif pour le mouvement social mondial

Au tournant des années 1980, les secteurs les plus réactionnaires des dominants aux Etats-Unis, mais également ailleurs dans le monde, ont élaboré une nouvelle stratégie pour protéger et éventuellement consolidé leur pouvoir. C’est une stratégie d‘envergure, complexe, de longue durée, et qui repose sur l’utilisation d’une gamme de moyens étendus à la fois militaires, économiques, politiques, culturels. Le but évidemment est d’assurer la reproduction du « turbocapitalisme » que l’on connaît sous son appellation générique, le néolibéralisme.
Le « siècle américain »

En gros, cette nouvelle stratégie mise sur une militarisation accentuée des rapports de pouvoir dans le monde. Les dominants états-uniens disent haut et fort que par la puissance militaire, ils seront capables d’imposer que le XXIe siècle soit le « siècle américain ». Ils pensent avec l’appui d’une partie des dominants dans le reste du monde que l’impérialisme américain peut demeurer omnipuissant, réguler les différences au sein de la triade (Etats-Unis, Union européenne, Japon), assurer que des compétiteurs éventuels comme la Chine et la Russie restent à « leur place ». Évidemment, cette stratégie vise surtout à écraser la résistance des peuples.

L’essentiel de cette stratégie avait déjà été mis en place dans les années 1980 à l’époque du Président Reagan et de ses différentes « croisades » contre les peuples au Nicaragua, en Afghanistan, au Mozambique et ailleurs. Par la suite lors de l’implosion de l’Union Soviétique, Bush père l’a relancé au Moyen-Orient avec la première guerre contre l’Irak. Bill Clinton au pouvoir entre 1992 et 2000 a continué dans cette voie avec des agressions et des menaces contre plusieurs pays, notamment l’Irak, le Soudan, Cuba, etc. En 2000 avec l’arrivée au pouvoir de George W. Bush (le fils) et des « néoconservateurs » (une droite dure implantée dans certains secteurs de l’establishment et aussi dans les classes moyennes via les intégristes chrétiens), la stratégie a été rebaptisée de « guerre sans fin », en indiquant au monde que les Etats-Unis étaient embarqués dans une très longue opération. Cette relance de la militarisation a bien sûr été facilitée par les actions de groupes anti-américains se réclamant de l’islam politique et qui ont mis en œuvre les terribles opérations-suicide visant des civils (comme les attaques contre le World Trade Center).
La « réingénierie » du monde

Pour cette droite, le monde est un vaste territoire à « reconquérir », à « recoloniser ». Les peuples doivent être « mâtés », comme les néoconservateurs israéliens ont tenté de le faire avec les Palestiniens. Sans la menace d’une deuxième superpuissance, les Etats-Unis et leurs alliés rêvent de procéder à une « réingénierie » du monde. Ce qui implique de mettre aux poubelles de l’histoire tous les acquis de l’après-fascisme, le droit international, les Conventions de Genève, le multilatéralisme, l’ONU et d’imposer par la guerre et l’unilatéralisme le règne de l’Empire et du néolibéralisme.
Cette stratégie se déploit dans le monde selon des modalités diverses. Pour le moment, elle concentre ses moyens les plus puissants contre une vaste région qui s’étend des confins de l’Asie jusqu’à l’Afrique en passant par le Moyen-Orient. De Jakarta à Kaboul via Bagdad et Gaza, il s’agit d’un projet qui s’appuie sur le regain des idéologies les plus réactionnaires, racistes, ouvertement colonialistes. C’est la « guerre des civilisations » articulée par les néoconservateurs américains et israéliens et qui prend notamment l’allure d’une nouvelle « croisade » contre les peuples de cette région. Pour faire en sorte que cette croisade soit acceptée et intégrée par les populations de la triade, on donne à cette opération meurtrière une connotation religieuse. Les néoconservateurs les plus virulents ne se gênent pas pour le dire, c’est une guerre de la « civilisation judéo-chrétienne » contre la « barbarie islamique. Cependant, bien que l’épicentre de la crise soit localisé dans certaines régions du monde, il faut comprendre c’est la planète entière qui est visée.

Résistances

Dix ans plus tard, où en est-on ? Les destructions et les massacres n’ont pas réussi à imposer l’Empire. Les résistances sont en montée presque partout comme on le voit, y compris en Palestine où la population en dépit d’une agression d’une violence extrême continue de refuser le projet colonial. Un peu partout, la guerre sans fin se brise sur la résistance populaire sous toutes ses formes, comme au Liban durant l’été 2006. Dans ce pays s’est constitué un vaste front autour du Hezbollah, un mouvement qui a transcendé dans une large mesure son origine islamique et rallié un vaste éventail de forces politiques et sociales contre le projet de « palestiniser » ou d’« iraquiser » ce pays.
Devant toutes ces résistances, les tenants de la guerre sans fin hésitent. Le récent rapport dit « Hamilton-Baker » demande au Président américain de changer de tactique, en constatant le fait que l’armée américaine est en train de perdre la guerre en Irak. Sur le fond, ces propositions ne sont pas en rupture avec la stratégie de Bush. Dans cette optique en effet, les aventures criminelles des militaires américains et israéliens doivent continuer, mais de manière plus habile. Il s’agit notamment de faire porter une partie du poids aux collaborateurs locaux (les États inféodés comme l’Égypte ou l’Arabie saoudite) et aussi aux alliés européens et japonais. Il s’agit de continuer l’occupation de la Palestine, mais en accordant quelques strapontins qui permettront à l’élite de diriger un bantoustan. Il s’agit de continuer la guerre en Irak et en Afghanistan en misant sur la dislocation du pays en autant d’entités confessionnelles et ethniques. Il s’agit de préparer de nouvelles guerres, y compris contre l’Iran, mais en procédant avant (et non après) à un affaiblissement des résistances locales. En fait, les désaccords tactiques s’exprimant entre diverses factions néconservatrices et entre celles-ci, et les « réalpolitiques » comme Baker traduisent le désarroi d’un empire confronté à des résistances qui étaient totalement sous-estimées.

« Nous sommes tous Palestiniens » !

De par sa force et son enracinement, le mouvement altermondialiste a franchi des étapes énormes depuis quelques années. Tout en permettant des avancées politiques substantielles en Amérique du Sud et ailleurs, il a réussi dans une large mesure à discréditer l’impérialisme et le néolibéralisme et donc à considérablement affaiblir la guerre sans fin. Sur le terrain entre-temps, des peuples ont décidé de se tenir debout, comme les Palestiniens qui affrontent la politique israélienne dont le socle est basé sur le massacre, la purification ethnique, la négation de l’autre. Jusqu’aujourd’hui, le coût de cette résistance est astronomique pour le peuple palestinien, mais rien n’indique qu’il est prêt à capituler. Dans un sens, cette résistance défie la stratégie impérialiste dans son ensemble et donc, cela nous concerne tous, qu’on soit en Afrique ou en Europe ou en Asie de l’Est et dans les Amériques.
À Nairobi, nous serons des milliers provenant de centaines de milliers et de millions aux quatre coins de la planète. Espace de consultation, de concertation, de recherche des alternatives, le FSM est une occasion en or pour élaborer de nouvelles stratégies qui aideront le mouvement social à confronter l’empire et sa guerre sans fin. La résistance contre la guerre et l’occupation n’est pas pour le mouvement altermondialiste une tâche « parmi d’autres », ni seulement un devoir moral, mais un impératif pratique, un enjeu incontournable pour nous tous qui aspirons à un autre monde.

Pierre Beaudet et Michel Warschawski
31 décembre 2006 - http://alternatives-international.n...