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A lire, à méditer,en relisant notamment le chapitre 5 et,...................désormais, s’affranchir des complexes et se persuader de l’utilité de nos actions alternatives.(ndlr)

Autodéfense intellectuelle

par Jean-Pierre Chatenet

samedi 25 novembre 2006

petit cours d’autodéfense intellectuelle
auteur : Normand Baillargeon
éditeur : Lux (www.luxediteur.com) - no ISBN de l’ouvrage : 2-89596-006-2

L’auteur enseigne les fondements de l’éducation à l’université du Québec à Montréal, le livre a été illustré (pour les dessins humoristiques) par Charb, et une citation de Noam Chomsky figure sur la quatrième de couverture : « Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. » Dans l’introduction, Normand Baillargeon nous dit que ce livre est né de la convergence de deux de ses préoccupations. La première, c’est son inquiétude face à la prévalence des croyances qui circulent dans notre société : il est consterné (lui aussi) par l’état déplorable de la réflexion, du savoir et de la rationalité dans de larges pans de la vie intellectuelle. La seconde est politique, et concerne l’accès des citoyens des démocraties à une compréhension du monde dans lequel nous vivons. Mon avis sur cet ouvrage : excellent, à recommander, et pourtant c’était une tâche difficile : comment synthétiser ce qui souvent nécessite un ouvrage entier (qui existe dans certains cas) ? Cinq grands chapitres (dans deux parties) :
1.Le langage
2.Mathématiques : compter pour ne pas s’en laisser conter
3.L’expérience personnelle
4.La science empirique et expérimentale
5.Les médias

La première citation (instructive) au début du chapitre n° 1 est de Joseph Goebbels (ministre nazi de l’Information et de la Propagande). Bien évidemment, comme je rédige-en-chef un bulletin en France, il convient de préciser en insistant ultra-lourdement que je suis contre en m’abstenant de supposer un seul instant que des gens (en dehors des milieux d’extrême-droite) dans notre pays puissent agir selon ce qu’a dit l’auteur, sous peine d’être accusé d’être pour, et de faire de la propagande nazie. Donc, cette citation, dont il ne peut qu’aller de soi que [presque] personne ne s’inspire, même dans le cas où le contraire est flagrant :
« A force de répétitions et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle. Car après tout, que sont « cercle » et carré » ? De simples mots. Et les mots peuvent être façonnés jusqu’à rendre méconnaissables les idées qu’ils véhiculent. »

Dans ce premier chapitre, il est question de la connotation des mots, de la rectitude, de l’ambiguïté, des jargons (là, il y a des citations de passages de la thèse d’ E. Tessier). Je recopie une citation de Noam Chomsky :
« Les intellectuels ont un problème : ils doivent justifier leur existence. Or il y a peu de choses concernant le monde qui sont comprises. La plupart des choses qui sont comprises, à part peut-être certains secteurs de la physique, peuvent être exprimées à l’aide de mots très simples et dans des phrases très courtes. Mais si vous faites cela, vous ne devenez pas célèbre, vous n’obtenez pas d’emploi, les gens ne révèrent pas vos écrits. Il y a là un défi pour les intellectuels. Il s’agira de prendre ce qui est plutôt simple et de le faire passer pour très compliqué et très profond. Les groupes d’intellectuels interagissent comme cela. Ils se parlent entre eux, et le reste du monde est supposé les admirer, les traiter avec respect, etc. Mais traduisez en langage simple ce qu’ils disent et vous trouverez bien souvent ou bien rien du tout, ou bien des truismes, ou bien des absurdités. »

Dans le deuxième chapitre, il est question de l’innumérisme (comme on parle d’illetrisme), et de ce qui en découle : ne pas percevoir les grands nombres (solution : faire l’effort de se familiariser avec les puissances de 10), croire aux prétendues coïncidences numériques, être victime de problèmes mal posés (souvent avec des définitions trop arbitraires). Mais ce n’est pas tout : il y a plus de 50 pages sur les probabilités et les statistiques, ainsi que sur leur perception. Sur ce dernier point, je ne sais pas si l’auteur connaît le livre de Sylviane Gasquet-More : Plus vite que son nombre (aux éditions du Seuil), car il ne me semble pas qu’il l’ait citée.
Pour en revenir au deuxième chapitre du livre de N. Baillargeon, on apprend (si on ne le sait pas déjà) que le fameux triangle de Pascal apparaît dans les probabilités. Autre chose tiré de ce chapitre : une enquête a montré que la plupart des médiums sont des fils aînés. C’est forcément exact, car dans une population où le nombre d’enfants est peu élévé (même jusqu’à quatre), les fils sont en majorité des fils aînés, quelle que soit leur profession. Je ne peux pas retranscrire tout le chapitre, ni même son résumé, vous le comprenez bien.

Le troisième chapitre concerne l’expérience personnelle. Il y est question des illusions d’optique, de l’utilité d’apprendre un peu de magie, de la facétie d’Henri Broch en 1989 (celle où il avait envoyé à Nice-Matin les numéros du « prochain » tirage du Loto), des souvenirs et de leur fragilité. Sur ce dernier point, il y est fait mention des travaux d’Elizabeth Loftus, et je ne peux m’empêcher de citer les lignes suivantes :
« Sitôt qu’on prend connaissance de ces résultats, une question assez terrifiante se pose immanquablement : pourrait-on implanter de faux souvenirs ? Oui, bien sûr. Par exemple, avec la complicité de leur famille, on a pu implanter chez certains sujets le souvenir d’un évènement qui ne s’est jamais produit... »
Je ne peux d’autant moins m’en empêcher que je suis allé vendredi 22 septembre à la soirée-colloque du C.C.M.M. (le centre Roger-Ikor) où le délégué de l’Aquitaine est intervenu pour signaler que ce problème est apparu depuis quelques mois : des thérapeutes plus que douteux ont pu faire éclater des familles avec des souvenirs d’inceste créés artificiellement. Dans un cas (grave : c’est au tribunal), c’est un psychiatre impliqué qui a pu alerter cette association.
Ce troisième chapitre mentionne aussi la dissonance cognitive, l’effet Forer, l’effet Pygmalion, l’expérience de Milgram, celle de Asch (sur les méfaits du conformisme).

Le chapitre n° 4 : il y a au début trois citations, une de Bertrand Russell : « Ce n’est pas tant ce que le scientifique croit qui le distingue que comment et pourquoi il le croit. », une d’Albert Einstein, et une de Larry Laudan (je ne sais pas qui c’est, mais sa citation me semble pertinente) : « Le remplacement de l’idée que les faits et les arguments ont de l’importance par celle que tout n’est qu’une question d’intérêts personnels et de perspective est - après la politique étrangère américaine - la plus caractéristique et la plus dangereuse manifestation de l’anti-intellectualisme de notre temps. »
Dans ce chapitre, il est largement question de l’épistémologie, de l’identification des pseudo-sciences.

Enfin, le cinquième chapitre a pour sujet les médias. Voici la première citation au début (de James Madison) : « Rien ne pourrait être plus déraisonnable que de donner le pouvoir au peuple, mais en le privant de l’information sans laquelle se commettent les abus de pouvoir. Un peuple qui veut se gouverner lui-même doit s’armer du pouvoir que procure l’informa-tion. Un gouvernement du peuple, quand le peuple n’est pas informé ou n’a pas les moyens d’acquérir l’information, ne saurait être qu’un prélude à une farce ou à une tragédie - et peut-être même aux deux. »
Ce chapitre, c’est du connu dans les grandes lignes... mais seulement par les gens qui admettent que de telles manipulations soient possibles. En fin de chapitre, on peut lire une liste de stratégies pour entretenir une attitude critique face aux médias, dont la lecture de Chomsky (avec une longue citation de Manufacturing consent).

En tout cas, je vous suggère l’acquisition de ce livre, dont la dernière statégie conseillée envers les médias (à la fin de la liste) est de se rappeler que tout le monde a des valeurs et des présuppositions, et qu’il faut donc se méfier des auteurs des Petits cours d’autodéfense intellectuelle...