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Source : Al Faraby - Al Oufok

Les multiples faces de la crise palestinienne

dr. Bashir Musa Nafe

samedi 14 octobre 2006

Il n’est plus possible ni même utile d’ignorer l’existence d’une crise palestinienne qui va s’aggravant. Les affrontements répétés entre ceux qui sont décrits comme étant les partisans de Hamas et les partisans du Fateh, ou les forces qui dépendent du président ou celles du gouvernement, les critiques aigues échangées entre la présidence et ceux qui se sont déclarés ses défenseurs, et entre la direction du gouvernement, l’échec cuisant de parvenir à un accord sur la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale, malgré l’adoption de ce gouvernement par toutes les parties, les divisions et les accusations proférées par des parties palestiniennes sur l’appartenance des uns et des autres aux axes régionaux et internationaux, installant une paralysie dans la défense du droit palestinien face aux violations criantes israéliennes et l’apathie internationale, le blocus économique et politique qui pousse des centaines de milliers de Palestiniens vers le gouffre de la faim, toutes ces indications ne peuvent cacher une situation en crise.

En apparence, cette situation semble être la conséquence d’un conflit entre le président Mahmoud Abbas et le gouvernement dirigé par Hamas, autour de quelques articles du programme d’unité nationale recherché, mais en réalité, la crise palestinienne a plusieurs facettes, et le conflit à propos du programme politique n’en est que l’apparence.

Au coeur de la crise, c’est la victoire remportée par le Hamas aux élections de janvier dernier, cette victoire dont certains ne veulent pas réaliser les significations historiques, se comportant avec elle comme si cela était un événement passager pouvant être contourné. Le pluralisme excessif est un phénomène concomittant à l’histoire nationale palestinienne, il s’agit d’un phénomène naturel issu de l’effondrement de la société palestinienne suite à la Nakba en 1948 et l’éparpillement de cette société en groupements divers à l’intérieur de la patrie et en exil. C’est un phénomène rattaché à l’effondrement de l’unanimité dans les sociétés arabo-musulmanes au cours du XXème siècle, après que ces sociétés aient été surprises par d’importants défis occidentaux et les tempêtes de la modernité, c’est un phénomène rattaché aussi à la montée des idéologies dans la région arabe après la deuxième guerre mondiale, et la foi de l’intelligentsia palestinienne montante dans l’efficacité de l’idéolgie. Mais le pluralisme excessif palestinien n’a pas empêché l’émergence d’une force palestinienne principale, une force dirigeante, à chacune des étapes de l’histoire du mouvement national, quelle que soit la justesse ou non de la vision de cette force. Cette force a acquis sa place et son rôle, non seulement parce qu’elle a réussi à profiter des rapports de force arabes, et parfois de l’unanimité arabe pour son adoption, mais aussi, et de façon importante, par sa réussite à apporter des réponses convaincantes aux questions posées par le peuple palestinien, dans une situation donnée.

Le rassemblement palestinien autour de la direction et de la vision de Hajj Amin al-Hussayni était réel, malgré la présence de personnalités concurrentes tout au long de cette période, du milieu des années trente jusqu’à la Nakba. Après une phase transitoire d’effondrement du mouvement national, la célèbre alliance entre la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine et du projet nassérien a constitué un axe pour un large soulèvement et rassemblement palestiniens. Et lorsque le projet nassérien subit la défaite en 1967, il devint nécessaire à la direction première et fondatrice de l’OLP d’assumer sa part de la défaite. Ce fut, bien évidemment, le moment de l’émergence du mouvement Fateh qui prend en main les rênes de la direction nationale, au moment où la scène palestinienne assiste à un pluralisme politique, idéologique et actif sans précédent pour tout mouvement de libération nationale.

En ce sens, il est nécessaire de lire la victoire électorale de Hamas, en tant qu’indicateur pour un nouveau changement historique dans la constitution, la vision et la direction du mouvement national, et non seulement une simple concurrence partisane sur le gouvernement et le pouvoir, mais ce pouvoir, comme il était d’ailleurs clair, et le devient de plus en plus, ne mérite même pas cette concurrence. Après des décennies de direction exclusive par le mouvement Fateh de la question palestinienne, les Palestiniens sont actuellement convaincus que le mouvement national dirigé par le Fateh est devenu incapable à répondre aux grandes questions de la cause nationale, que le temps est venu pour qu’il se démette au bénéfice d’une autre force et d’une autre vision, nouvelle. Mais la classe politique palestinienne qui a été liée à la période précédente ne veut pas entendre l’opinion du peuple, elle résiste, avec toute la force et la ruse dont elle dispose, par des moyens légitimes et illégitimes, au processus de changement.

Il est probable que la résistance au processus de changement est due à des convictions profondes dans la justesse de cette position. Mais elle est due, em grande partie, à un système de privilèges sur lequel s’appuie cette classe et dans le giron duquel elle vit depuis plus d’un quart de siècle. Tout comme le pluralisme excessif, le mouvement national palestinien a été miné par des phénomènes de corruption qui ne peuvent être niés, dès la naissance de la lutte armée suite à la défaite de 1967. Le champ de la corruption s’est élargi et s’est intensifié au cours de la phase libanaise qui a duré de 1971 à 1982.

Mais la corruption qui avait cours en Jordanie et au Liban a été affrontée et mise en parallèle avec une lutte aussi égale et parallèle, que ce soit dans les luttes de l’action armée tout au long du Jourdain ou à travers ce fleuve, ou par la montée de la lutte armée au sud Liban et au nord de la Palestine, et même dans le marécage de la guerre civile libanaise. La lutte a baillonné l’ampleur de la corruption et a réussi à limiter ses conséquences destructrices sur le mouvement national. Mais à peine les forces palestiniennes sont-elles sorties du Liban et que la direction de l’OLP et la majorité de ses institutions se déplacent vers la capitale tunienne, que la dimension de la lutte recule, et que le corps du mouvement national se transforme en bureaucratie d’émigration, minée par le chômage, l’ennui et la dispute sur les positions et les rôles. Et à la place des valeurs de sacrifices et de lutte, les institutions nationales palestiniennes sont dominées par les valeurs des privilèges. Dans cette ambiance précise, une classe politique émerge et mène les négociations sur l’accord d’Oslo, pour retourner en majorité en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, afin de diriger l’autorité palestinienne et transmettre le mal des privilèges à tous ceux qui s’y approchent, qui la rejoignent parmi les anciens militants du mouvement national, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

La signification des dernières élections palestiniennes, ou ce que peut donner toute tentative réelle et sérieuse de reconstruire l’OLP, de la réactiver en tant qu’entité rassemblant les Palestiniens, n’est pas seulement l’apparition de nouveaux programme, vision, mode d’action ou genre d’alliance du mouvement national palestinien, mais aussi la démission d’une classe politique et la limitation du système des privilèges dans lequel et pour lequel elle a vécu pendant des décennies. C’est ce qui explique que les éléments les plus corrompus et les plus privilégiés de la classe politique palestinienne sont les plus hostiles au gouvernement palestinien actuel et les plus actifs pour limiter et contourner les résultats des élections.

D’autres parties, israéliennes, régionales et internationales, s’accrochent à cet aspect important de la crise, lui donnent de la force et des arguments, et en retirent aussi en échange, une puissance. Les Israéliens, dont la majeure partie de leur direction considère qu’elle a donné au cours des années 90 le maximum qu’elle peut donner au peuple palestinien et aux accords d’Olso, cherchent à transformer la lutte sur la Palestine en une lutte palestino-palestinienne, paralysant le mouvement national palestinien et détruisant la capacité du peuple palestinien à poursuivre la lutte.

Les Israéliens trouvent dans les conflits palestiniens internes, et l’accentuation de la concurrence sur la direction de l’Autorité et du mouvement national palestinien, une grande occasion pour convaincre le monde que les Palestiniens ne méritent pas plus que ce que Israël lui a accordé, tout seul. Pour cela, les Israéliens essaient et agissent pour isoler et affaiblir le gouvernement de Hamas et sont aussi devenus une partie directe dans l’accentuation de la crise palestinienne interne, en soutenant une partie précise et en l’encourageant à accentuer la crise.

La position américaine et celle de quelques Etats européens ne sont guère différentes. Depuis les événements du 11 septembre 2001, l’administration américaine ne considère plus la question palestinienne comme une question devant être traitée pour maintenir la stabilité de la région et du monde, mais en tant que partie d’une guerre mondiale contre le terrorisme et les forces de l’extrémisme, du radicalisme musulman et du danger arabe et musulman historique sur la situation occidentale. Cette vision implique, malgré ce qu’écoute le président Abbas de temps à autre lors de ses rencontres avec les responsables américains, de donner à l’Etat hébreu l’occasion entière de défaire les Palestiniens et de retirer la question palestinienne totalement des agendas arabes et islamiques.

Il est étrange que la classe politique palestinienne précédente, le président et ceux qui l’entourent, ne voient pas que l’intérêt euro-américain pour faire tomber le gouvernement de Hamas ne signifie pas qu’une certaine équité internationale concrète attend les Palestiniens, au bout du tunnel. Ce que voit la classe politique palestinienne, aveuglée par les soucis d’avoir perdu le système des privilèges qui s’est effondré, c’est que le gouvernement de Hamas est devenu une entrave pour parvenir à une solution juste et honorable, et un facteur de faiblesse palestinienne dans le rapport de force international. Alors que l’isolement et le boycott occidental du gouvernement et du peuple visent le rétrécissement de la capacité des Palestiniens à résister en les poussant au bord du désespoir et de la soumission aux réalités de la force, certains dirigeants palestiniens précédents considèrent que la pression internationale sur le Hamas et son gouvernement agissent pour leurs intérêts et pour l’intérêt de faire tomber un gouvernement exceptionnel, pour retourner à la situation politique palestinienne, telle qu’elle était auparavant.

Ce qui a aidé à accentuer la crise palestinienne et la série des illusions qui agite plusieurs de ses acteurs, c’est la division politique arabe qui s’est exacerbée au cours de l’été. Depuis l’invasion de l’Irak, l’axe tripartite arabe, l’Egypte, la Syrie et l’Arabie Saoudite, qui a représenté le centre du poids politique arabe pendant plusieurs décennies et qui a essayé de maintenir un minimum d’intérêts arabes, s’est désagrégé. La Syrie fut contrainte, alors qu’elle faisait face à la proximité américaine armée à l’est et au danger représenté par l’Etat hébreu à l’ouest, à renforcer son alliance avec l’Iran. La Syrie ne peut être entièrement innocentée de la responsabilité de l’éloignement de l’Egypte et de l’Arabie Saudite, mais le problème de cette alliance tripartite a émergé dès le ralliement égypto-saoudien, explicitement ou implicitement, au camp favorable à l’occupation de l’Irak. Les choses ont ensuite évolué pour mettre la Syrie face au danger et à la menace, et sans que Hamas le planifie, ou même le souhaite, il s’est retrouvé catalogué comme faisant partie du camp syro-iranien, ce qui a donné l’espoir à la classe politique palestinienne précédente, estimant que ce catalogage du gouvernement Hamas impose non seulement un isolement euro-amércain mais aussi, et ce qui est plus important encore, un isolement arabe.

Le problème que le camp de la classe des privilèges ne veut pas voir est que, malgré les graves difficultés vécues par les Palestiniens à cause des pressions imposées sur le gouvernement palestinien, les Palestiniens ne veulent pas un gouvernement qui adopte la ligne politique précédente, même si l’adoption de cette ligne est un moyen de lever les difficultés, et bien plus, les Palestiniens ne veulent plus, quelle que soit la situation, que le dossier national revienne entre les mains de la classe des privilèges et de ses personnalités connues, ou du moins que cette classe ne revienne pas pour décider toute seule de l’avenir de la question nationale.

Même la majorité de ceux qui manifestent, qu’ils aient été incités ou pas, dans les rues de Gaza ou de Ramallah, savent l’ampleur de la catastrophe à laquelle la classe politique précédente a conduit les Palestiniens. Lors des prochaines élections, précoces ou non, il sera difficile à des personnalités importantes de la classe politique précédente d’obtenir la confiance du peuple. Au cas où elle parvient, à cause du soutien israélien, arabe et international, à faire tomber le gouvernement et à contourner les résultats électoraux, toute tentative de sa part de s’emparer en exclusivité du dossier national conduira à une explosion palestinienne sans précédent, qui imposera les résultats des élections, par d’autres moyens.

C’est cela que doivent éviter les sages parmi les Palestiniens, avec tous leurs efforts et leur sagesse, en laissant les forces de l’histoire agir, avec le temps.

Traduit par Centre d’Information sur la Résistance en Palestine