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Interview Nahla Chahal, coordinatrice des missions civiles en Palestine ( CCIPPP )et chercheur à Paris.

« La victoire du Hezbollah a marqué le début du déclin d’Israël »

Interview par Chris Den Hond (La Gauche, Belgique) et Nicolas Qualander (Rouge, France)

vendredi 15 septembre 2006

Nahla Chahal est coordinatrice des Campagnes civiles internationales pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP). Elle fut l’une des dirigeantes, au cours des années 70, de l’Organisation d’action communiste du Liban (OACL). De retour du Liban, où elle a passé plus d’un mois pendant l’offensive israélienne, elle raconte et analyse ces événements.


Quel est l’effet de la guerre sur le peuple libanais ?

On a vécu au Liban un moment extrêmement intense. Pourquoi ? Moi, j’ai ouvert mes yeux, j’ai eu une conscience politique après la défaite en 1967. J’ai vu devant moi mon père, un militant communiste libanais, et ma mère, une militante communiste irakienne, s’effondrer en 1967. Mon père a même fait un infarctus à cause de la défaite. Les régimes arabes à l’époque avaient essayé de minimiser en disant que c’était une petite défaite. Mais pour nous, c’était la fin de toute une époque où toute une région était en train de se réaliser. Dans notre conscience de nationalistes arabes ou de communistes, Israël était là pour empêcher que le monde arabe puisse se réaliser en tant qu’entité, en tant que force régionale ou en tant que société. Ensuite, il y a eu tout un déclin de la région arabe. On disait : « On ne peut pas résister à Israël. C’est impossible ». Ca dure depuis 40 ans maintenant. Moi, je considère que j’ai eu la grande chance d’avoir vu une preuve qu’Israël et l’hégémonie d’Israël et la suprématie d’Israël n’étaient pas un destin indéniable. Israël est maintenant entré dans une logique de « soit nous, soit eux ». Je suis consciente que ce qu’on a vécu n’est qu’une petite lueur, mais elle a prouvé qu’on peut avec la force d’une petite milice, la milice du Hezbollah, une souris, affronter un éléphant. Les dix premiers jours, il y avait une énorme panique. Mais soudain, quand les Israéliens n’ont pas pu avancer, les gens ont accepté de payer le prix. Ca, c’est historique !

Le but israélien et américain était de diviser la population libanaise. Pourquoi elle n’a pas réussi ?

Elle est déjà divisée. Si quelqu’un vous dit que toute la population libanaise a fait le choix de la résistance, c’est faux. Une grande partie de la population libanaise aime bien la résistance, mais n’est pas prête à payer le prix. Elle a fait un choix, elle a rejoint le camp de ce que j’appellerais le camp néolibéral dans le sens économique avant tout : s’amuser, se concentrer sur soi. Certains ont même dit : Le Hezbollah aurait dû attendre l’hiver, ainsi on n’aurait pas raté l’été sur la plage.

Le plan israélo-américain était de faire bouger une partie de la population libanaise contre le Hezbollah. Cela aurait pu arriver si le Hezbollah et les partis qui sont avec le Hezbollah - le Hezbollah est loin d’être seul dans la résistance - n’avait pas eu la capacité de résister.

Quel est ton jugement sur la résistance militaire du Hezbollah ?

Il y a eu quelque chose qu’on n’a pas vu depuis très longtemps dans cette partie du monde. Les combattants du Hezbollah se sont battus avec la conviction. On n’avait jamais vu 34 Merkavas (tanks israéliens) détruits en une seule journée. Jamais ! Aucune armée arabe n’a pu faire cet exploit. Le Hezbollah est vraiment très bien organisés. Mais ce qui est le plus important, c’est que très vite, la population, la base sociale du Hezbollah s’est alignée sur leurs combattants. Ils ont pris soin des combattants. Ensuite il y a eu les discours de Hassan Nasrallah. Il est intervenu quatre fois et je crois que ce sont des pièces maîtresses à étudier dans la science politique. Tout le monde savait que son deuxième fils était dans les combats (son premier fils est mort en combat, ndlr). Les fils de tous les chefs du Hezbollah étaient dans les combats, le fils de Cheikh Naim Hassem - le numéro deux de Hezbollah- a été très grièvement blessé, donc la population a compris de quoi il s’agissait.

Quelles sont les répercussions plus générales sur la région ?

Les Arabes attendaient, avec une angoisse qui leur serrait le cœur. Nous avons reçu beaucoup de délégations au Liban, des délégations arabes. Ils nous ont raconté que les Arabes avaient le cœur serré pendant les 4 premiers jours, parce qu’ils s’attendaient à la défaite. Au-delà du 10ème jour, les Arabes n’en ont pas cru leurs yeux. Ca commence à faire tâche d’huile. Vous savez qu’il y a un malaise énorme en Egypte et dans l’armée égyptienne. Aussi dans l’armée syrienne. Les gens disent : comment ça se fait que le Hezbollah est capable de faire cela ? Et nous ? Qu’est-ce qu’on fait ? Historiquement la bataille du Hezbollah a marqué le début du déclin d’Israël, la fin d’Israël qui terrorise l’ensemble de la région. Même si Israël recommence, il y a dans la mémoire ce phénomène qui s’est produit. Je pense que beaucoup d’Israéliens sont conscients de cela, notamment nos amis israéliens anticolonialistes.

Est-ce que la gauche peut travailler avec des groupes comme le Hezbollah et le Hamas, que certains dans la gauche qualifient même comme des islamistes intégristes fascistes ? Et si oui, quel type d’alliance est possible ou souhaitable ?

Je pars de la position du parti communiste libanais, le PCL. Ce parti communiste libanais est quand même un des partis les plus anciens et les plus sérieux dans la région et aussi les plus influents. Le PCL travaille main dans la main avec le Hezbollah. C’est une alliance critique à l’égard du Hezbollah. Le PCL dit ouvertement au Hezbollah : « Là tu t’es trompé ». Après 2000, le PCL a considéré que le Hezbollah avait gaspillé la victoire, parce que dans la politique interne libanaise, le Hezbollah s’est allié à ses ennemis, à ceux qui étaient contre la libération, la bourgeoisie néolibérale.

Je fais une différence dans les mouvements islamistes. Comme chez les communistes et les gens de la gauche, les mouvements islamistes ne sont pas les mêmes. Il n’y a aucun lien de parenté entre Ben Laden et le Hezbollah, aucun ! C’est comme dans les mouvements de gauche. Quel rapport est-ce que nous avons avec le Khmers rouges ? Pour moi ce sont des fascistes. Il y a des fascistes chez les islamistes comme chez des gens de gauche, mais il y a aussi des gens libérés, progressistes. Je ne fais pas l’éloge du Hezbollah. Je connais les points de faiblesse. Le Hezbollah n’est pas encore assez conscient qu’il est un mouvement de théologie de la libération. Mais c’est le seul mouvement islamiste qui vient dans les forums sociaux mondiaux et européens. Depuis 2003, il envoie régulièrement des gens pour y participer. Il y a une alliance pratique et politique entre le Hezbollah et le Parti communiste libanais et le Parti du peuple - qui est un parti nationaliste de gauche. Ils se voient régulièrement et ne dissimulent pas les points de divergence. Le PCL par exemple reproche au Hezbollah de n’avoir jamais participé à des manifestations de revendication sociale, alors que sa base est une base composée de pauvres, de paysans, d’ouvriers et de la classe petite-bourgeoise défavorisée au Liban. Le Hezbollah dit parfois : « Vous avez raison, on n’était pas assez conscient de cela ». Il faut comprendre le Hezbollah comme un phénomène jeune, qui évolue beaucoup, qui écoute. C’est très important. C’est aussi un mouvement qui est libéré des dogmes hérités. Leur capacité à travailler avec les communistes est pour moi une forte indication de cela.