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Eclairage

« La France fait le jeu des États-Unis »

Propos recueillis par Tiphaine Boucher -Casel

mercredi 16 août 2006

Le point de vue d’un Libanais, Georges Corm. Économiste, historien spécialiste du Moyen-Orient, il fut ministre des Finances du pays entre 1998 et 2000.

A quand remonte l’intérêt de la France pour le Liban ?

G. Corm : Des liens se sont noués entre la France et la communauté maronite chrétienne du « Mont Liban » dès le XVe siècle. Au XIXe siècle, cet intérêt français s’est concrétisé sur fond de colonisation et de rivalités franco-anglaises. Puis, en 1920, lors du démantèlement de l’empire Ottoman, Syrie et Liban ont été placés sous mandat français. En 1943, le Liban a obtenu son indépendance mais les relations culturelles et politiques sont restées très importantes. Avec Jacques Chirac la relation politique s’est surtout résumée à son amitié avec Rafik Hariri, (cinq fois premier ministre du Liban entre 1992 et 2004 puis assassiné le 14 février 2005).

Que pensez-vous du plan franco-américain de sortie de crise ?

Il ne fait que prolonger la violence. Dès la première semaine du conflit, le gouvernement libanais a proposé un plan en sept points. La France n’en a pas tenu compte les premières semaines et s’est obstinée à vouloir faire appliquer la résolution 1559. Elle a donc fait le jeu d’Israël.

Pour vous, cette résolution 1559, votée en 2004 à l’initiative de la France, était une erreur ?

Oui. En plus de s’opposer à la prolongation du mandat du président libanais, ce qui est une ingérence dans les affaires intérieures du Liban, cette résolution réclamait le déploiement de l’armée libanaise dans le sud du pays et le désarmement des organisations palestiniennes dans les camps de réfugiés. C’était oublier que le Hezbollah est le produit de 22 ans d’occupation du sud du Liban par Israël (1978-2000) et que 400 000 Palestiniens sont réfugiés au Liban. La résolution réclamait aussi le retrait des troupes syriennes en arguant de souveraineté nationale. Tous les Libanais le souhaitaient mais le problème syro-libanais était plus complexe que ça.

En quoi cette prise de position française était-elle un retournement ?

Avant 2004, Jacques Chirac prônait le maintien de la présence syrienne au Liban jusqu’au règlement du conflit israélo-arabe. Le retournement est dû à deux causes principales : son amitié avec Rafic Hariri qui ne voulait à aucun prix du maintien du président libanais Emile Lahoud, accusé grossièrement d’être pro-syrien et son désir de se rapprocher des États-Unis après la brouille à propos de l’invasion l’Irak.

La France et l’Europe ont-elles encore un rôle à jouer dans la région ?

Bien sûr, mais il faut mettre les poings sur la table et refuser l’analyse primaire du choc des civilisations. Et surtout exiger le règlement des questions de fond.

Mais le Hezbollah n’est-il pas une question de fond ?

Non, ce n’est qu’une conséquence de la vraie question de fond qui est l’occupation de territoires libanais, syriens et palestiniens par Israël, et à la présence massive de troupes américaines au Moyen-Orient, etc. Seul un retrait israélien de tous les territoires pourrait débloquer la situation.

http://www.ouest-france.fr/offaitjour.asp ?idDOC=322870&idCLA=3631

Georges Corm a écrit de nombreux ouvrages dont « Le Liban contemporain », publié à la Découverte