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Interview de Michel Warchawski

La politique israélienne de l’arrogance : « on va leur apprendre ! »

Source AIC (Alternative International Center)

mercredi 16 août 2006

De nombreux commentateurs justifient l’attaque israélienne au Liban par le droit d’Israël à se défendre. Qu’en pensez-vous ?

Michel Warschawski :

Cet argument donne l’impression que le conflit avait commencé avec l’enlèvement il y a un mois de deux soldats israéliens par le Hezbollah. C’est un peu court. Israël est en guerre contre la Palestine, menace la Syrie. Quant au Liban, sa souveraineté n’a jamais été vraiment recon-nue par Israël. L’aviation israélienne survole fréquemment son territoire, des commandos israéliens y procèdent à des expéditions punitives et sa flotte enlève des Libanais en mer. Israël détient aussi trois prisonniers de guerre libanais. Le cheikh Hassan Nasrallah (le chef du Hezbollah, ndlr)avait prévenu à plusieurs reprises qu’il entendait capturer des soldats israéliens pour avoir une monnaie d’échange afin d’obtenir la libération des prisonniers libanais. Israël occupe également le territoire des fermes de Chebba sur les hauteurs du Golan, revendiqué par le Liban.

* La prise d’otages des soldats israéliens par le Hezbollah ne fait-elle pas partie d’une stratégie plus vaste de l’Iran etde la Syrie ?

Je ne crois pas. Il s’agissait d’un des nombreux accrochages à la frontière. Et je ne vois pas quel intérêt auraient l’Iran et la Syrie à prendre l’initiative, sachant qu’ils sont dans le collimateur des Américains.

* Justement, peut-être pour dévierl’attention des Américains sur le Liban ?

Cette stratégie serait extrêmement risquée, car elle ouvrirait la voie à une extension du conflit, que ne désirent ni l’Iran ni la Syrie. Cette dernière veut au contraire relancer des négociations avec Israël, notamment sur la question du Golan, ce que le gouvernement israélien refuse.

* Le Hezbollah est-il indépendant ousous la coupe de l’Iran ?

Ni l’un ni l’autre. Un peu à l’image des Etats-Unis et d’Israël. Le soutien politique et militaire de leur allié leur est indispensable. Le Hezbollah n’est pas une marionnette de l’Iran, il dispose d’une large autonomie. Mais il n’aurait pas enlevé les soldats israéliens s’il y avait eu un feu rouge iranien. Je suggère de lire les déclarations du cheikh Nasrallah. Il parle très clairement, avec une grande cohérence, et ne cache pas son jeu. On a l’impression aujourd’hui que le discours fondamentaliste est passé dans le camps occidental, à écouter George W. Bush et Ehoud Olmert, et que les islamistes sont devenus les plus rationnels. Nasrallah est confronté à des objectifs politiques et non « civilisationnels », alors que Tel Aviv et Washington se gargarisent de « clash des civilisations ».

* Quelle est la stratégie du gouvernement israélien au Liban ?

Je pense qu’une offensive se préparait depuis longtemps, coordonnée avec les Etats-Unis. Ceci dans le but d’ouvrir un deuxième front dans ce qu’ils appellent la « lutte contre le terrorisme », voire « les peuples terroristes ». Mais cette offensive est disproportionnée. Il y a une brutalité irrationnelle (plus de mille morts au Liban, dont une majorité de civils ndlr). C’est une sorte d’ivresse de la puissance. On ne peut accepter que « ces petits », le Hamas, le Hezbollah, ou le Liban, osent nous narguer.

* L’armée israélienne vise-t-elledélibérément des civils ?

Non, mais il y a eu un changement dans la manière dont on perçoit les victimes civiles. Au temps de la guerre du Liban, il y a vingt-cinq ans, Israël considérait qu’occasionner des pertes civiles signifiait un échec de l’opération. Cela n’est plus le cas aujourd’hui. On bombarde un site ou une ville sachant délibérément qu’il y aura de nombreux morts civils. Washington considère que la quatrième Convention de Genève n’est plus applicable.

* Que cherche Israël en détruisantles principales infrastructures du Liban ?

Là, on rentre dans l’aveuglement. L’idée d’Israël, vieille comme le colonialisme, c’est de faire en sorte que les Libanais n’aiment pas le Hezbollah, qu’ils le blâment pour les malheurs arrivés au pays. Or, l’histoire démontre à 100% que c’est toujours l’inverse qui résulte de ce type de stratégie. En menant une guerre contre la population et les symboles du Liban, Israël fait passer le message contraire à celui qu’il voulait. La population sympathise davantage avec le Hezbollah. Pour la première fois, on retrouve de l’estime pour le Hezbollah même dans les quartiers chrétiens au Liban. La logique israélienne est militaire, pas politique : « On frappe, on frappe, ils apprendront ».

* La résolution américaine et française au Conseil de sécurité pourrait-elle rétablir la paix ?

Elle s’est beaucoup améliorée. Au début, il s’agissait d’une résolution américaine, à laquelle s’était ralliée la France, visant à démanteler le Hezbollah en envoyant une force d’intervention internationale. Un projet qui aurait inévitablement déclenché une guerre de guérilla au Liban, menée par de nombreux groupes, ce qui aurait conduit au chaos. Aujourd’hui, on parle plutôt de force d’interposition entre les parties en conflit. Et une bonne partie de la classe politique - contrairement aux Américains et aux Israéliens - considère le Hezbollah comme un parti au pouvoir, avec qui on peut négocier. Non pas comme une organisation terroriste, mais comme un mouvement de masse soute-nu par une grande partie de la popu-lation. Le Hezbollah est prêt à en-vi—sa-ger un accord sur les fermes de Cheb-ba et les prisonniers politiques, et il le respectera. Son démantèlement éven-tuel ne pourra intervenir qu’après, à la suite d’un processus de dialogue interne au Liban sur le désarmement des milices des différents partis.

* Comment réagit la population israélienne à l’intervention au Liban ?

La majorité de la population continue à penser qu’il s’agit d’une guerre d’autodéfense ; « on ne leur a jamais rien fait, pourquoi nous attaquent-ils ? »

Les centaines de roquettes qui s’abattent sur le nord d’Israël renforcent cette idée. Mais une lassitude commence à s’installer, d’autant que la guerre a entraîné des centaines de milliers de déplacés. Dans les médias, il y a de plus en plus de critiques. On commence à parler d’échec car aucun des objectifs de l’armée n’a été réalisé.

Deux camps qui se dessinent, ceux qui veulent doubler la mise et conquérir le Liban pour en finir militairement et ceux qui souhaitent négocier. Mais il n’y a pas de division gauche-droite. Le leader du Parti travailliste, Amir Peretz, est le plus va-t-en guerre des ministres.

Alors qu’Ehoud Olmert, de Kadima, souhaite négocier. Même le parti de la gauche de la gauche, Meretz, soutient la guerre.

* Où en est le mouvement pacifiste en Israël ?

Le grand mouvement « La Paix maintenant », qui a beaucoup contribué au retrait des troupes israéliennes en 2000, soutient à présent la guerre, même s’il critique sa disproportion. Quant aux opposants, nous réussissons à réunir 4000 à 5000 personnes lors de manifestations à Tel Aviv. Nous nous mobiliserons ce samedi devant la prison militaire pour protester contre l’emprisonnement de trois soldats ayant refusé de servir au Liban.

* Le Liban éclipse quelque peu la guerre en Palestine... Que s’y est-il passé ?

Depuis le début de la guerre au Liban, il y un mois, 163 personnes, dont une majorité de civils, ont été tués par l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Et ce toujours sous le prétexte de retrouver le soldat enlevé à Gaza. On bombarde des quartiers dans ce but. En réalité, la logique est la même qu’au Liban, « on va leur apprendre », une phrase au coeur des discours politiques israéliens. Mais les Palestiniens refusent d’« apprendre » depuis cinquante ans.