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Source : Mediapart

Retournement de l’histoire

Samedi, 5 septembre 2015 - 18h23

samedi 5 septembre 2015

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05 septembre 2015 | Par pandaparis

La fuite de centaines de milliers de réfugiés Syriens en Europe est un retournement de l’histoire à maints égards. La création de l’Etat d’Israël après la deuxième guerre mondiale a épargné à l’Europe la prise en charge des nombreux rescapés, facilitant la transition vers la paix, elle a permis aux puissances européennes et aux États Unis d’asseoir au Moyen-orient un allié fidèle. Les réfugiés syriens demandent à l’Europe ce qu’elle n’a pas eu à donner aux juifs, ils lui rappellent aussi combien l’ordre politique qu’elle a défendu au Moyen-orient était gangrené. La création de l’Etat d’Israël a produit un peuple de réfugiés et d’exilés, les Palestiniens, enfermés pour moitié dans des camps, dispersés dans une diaspora internationale pour l’autre, mais n’ayant pas remis en cause la stabilité européenne. Les Syriens qui débarquent chaque nuit sur les plages grecques somment l’Europe d’inventer pour son propre salut une politique autrement plus juste que celle qui a été mise en place pour les Palestiniens.

La fuite des Syriens en Europe jette une lumière crûe sur l’état catastrophique du Moyen-orient et modifie substantiellement le regard porté jusque là sur cette région, faisant de la ruine de la Syrie une menace non seulement pour le Moyen-orient mais pour l’Europe. Cet autre retournement qui conduit en quelque sorte le Moyen-orient à occuper l’Europe, dans tous les cas à remettre en cause son unité et sa stabilité, est lui aussi historique, au sens où il bouleverse les croyances et les perceptions et où ses effets sont encore incommensurables. Les Syriens entrent en Europe par ses marches les plus fragiles, par l’État que la communauté européenne n’a pas su préserver ni protéger, et auquel elle inflige un châtiment terrible. La Grèce laisse passer les réfugiés moyen-orientaux sur son sol, elle n’a pas le choix, mais nombreux doivent être les Grecs qui pensent que l’Europe devra payer avec les Syriens le juste prix de l’abandon qui leur coûte aujourd’hui si cher, à eux. Ces retournements, dont l’enchaînement paraît fou et logique à la fois, dont les connections se font brutalement et naturellement, apparaissent aujourd’hui comme une secousse accablante, parce que l’Europe a refusé de considérer dans le passé tous les signaux et les effets, dans un aveuglement imbécile.

L’égoïsme européen et l’état d’ignorance crasse dans laquelle elle se met, sont comme l’oeuf et la poule. Les gouvernements européens, hormis celui de Merkel, feignent encore de croire qu’il est possible d’ériger des barrières, d’instituer des quotas frontaliers et de se renvoyer la balle d’un État à l’autre, de faire supporter aux Est-européens le fardeau de cette catastrophe. Ils refusent de reconnaître qu’après la Syrie il peut y avoir le Liban, L’Irak et que sur les côtes méditerranéennes d’Afrique le pire est encore à venir. Les camps improvisés ou organisés, les cohortes de femmes, d’enfants et d’hommes qui traversent l’Europe, les ratonnades et les brigandages exercés à l’encontre des réfugiés, annoncent soit un raidissement par la ghettoïsation et l’exercice d’une violence de masse, soit un délitement progressif des sociétés européennes, soit un bouleversement politique dans le sens de l’ouverture et du partage. Les solutions ne sont pas faciles, ni évidentes mais l’aveuglement est pire. L’Europe a beaucoup de ressorts et de ressources, si elle persiste dans le choix de l’avarice et du repli, elle court à sa perte.