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Géopolitique - Analyse 2015/08 -

Accord entre l’Iran et les puissances du P5 + 1

Mercredi, 26 août 2015 - 6h58 AM

mercredi 26 août 2015

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Le 14 juillet 2015, date d’anniversaire de la Révolution française, est devenu également la date de la signature de l’accord nucléaire entre l’Iran et les six puissances du « P5 + 1 » (1). Une révolution ? Presque !

Il faut souligner qu’il serait naïf de croire qu’un pays peut vivre en paix, empêcher l’agression des puissances ennemies et assurer la sécurité de ses frontières sans s’armer adéquatement. L’Irak et l’Afghanistan, militairement faibles, ont été envahis par les Etats-Unis et leurs alliés venus du monde entier. Les puissances occidentales et Israël prévoyaient de renverser le régime syrien qui a finalement sauvé sa peau grâce au soutien de la Russie et de l’Iran. Pourtant, la Syrie, comme l’Irak, risquent la décomposition suite aux milliards de dollars investis par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour des djihadistes bornés, moyenâgeux et wahhabites, à la sauce « Etat islamique » ou Front Al Nosra, en contact permanent avec Israël. Par ailleurs, Israël soigne les miliciens blessés dans ses hôpitaux.

A l’origine, les puissances occidentales souhaitaient démanteler le programme nucléaire de l’Iran pour pouvoir lui faire subir le même sort que celui subi par l’Irak et l’Afghanistan. Les puissances colonialistes menaçaient sans cesse l’Iran de bombardements, en disant que « toutes les options sont sur la table » ! Les médias montraient l’entraînement des chasseurs israéliens qui se préparaient à bombarder les sites nucléaires iraniens. Faut-il rappeler que le réacteur nucléaire irakien d’Osirak fut bombardé une première fois par l’aviation israélienne le 7 juin 1981 puis par les Etats-Unis en 1991 ?(2) Israël et ses soutiens occidentaux sont les ennemis jurés de la souveraineté des pays du Moyen-Orient et de leur développement scientifique.

Contrairement à l’Irak, l’Iran constitue un « gros morceau » pour les colonialistes qui réfléchissent à deux reprises avant de l’attaquer. Ils n’ont pas réussi à casser l’Iran pendant la guerre meurtrière de 8 ans provoquée par l’Irak de Saddam Hussein, soutenu activement par les puissances colonialistes occidentales.

Le développement de la technologie nucléaire en Iran est étroitement lié à la survie du pays en tant que nation souveraine. Les ingénieurs et techniciens iraniens maitrisent actuellement cette technologie qui permet à l’Iran de se faire respecter. Selon les accords de Vienne, le programme nucléaire iranien ne sera pas démantelé et l’Iran continuera à enrichir de l’uranium, ( droit qui est inscrit dans le traité de non prolifération que les puissances occidentales refusaient de reconnaître à l’Iran !) certes à un taux fixé à 3,67 %, mais de l’enrichissement quand même. Cela signifie accepter l’Iran dans le concert des nations nucléaires donc souveraines. Un statut qui lui confère également le statut de « puissance du seuil » nucléaire, capable de développer, à terme, une arme nucléaire en cas de velléité d’agression émanant des colonialistes occidentaux et de leurs laquais locaux qui ne cessent de manifester leur hostilité à l’égard de l’Iran.

Contrairement aux vieilles civilisations (la Chine et l’Inde) ainsi qu’aux nouveaux pays fabriqués de toute pièce comme le Pakistan et Israël, l’Iran sera la seule vieille civilisation du Moyen-Orient dépourvue de la bombe. Pourquoi en est-on arrivé là ? Faut-il trouver la raison dans le réveil tardif de l’Iran qui, contrairement à l’Inde (1948) et à la Chine (1949), accéda à l’indépendance politique bien tardivement, en 1979 ?

Très indulgents envers l’Inde, le Pakistan et Israël, les puissances occidentales, détentrices de milliers de bombes, manifestent une extrême sévérité à l’égard de l’Iran. La position géographique de l’Iran et son influence grandissante au Moyen-Orient ont transformé ce pays en adversaire redouté et redoutable des puissances colonialistes qui ont intérêt à maintenir la pression sur l’Iran. Pour Laurent Fabius, « la question nucléaire iranienne ne concerne pas seulement Israël et les pays du Golfe : s’assurer que l’Iran ne puisse pas se doter de l’arme nucléaire est une préoccupation de toute la communauté internationale »(3) Alors que la même « communauté internationale » ne se préoccupe pas du tout des armes nucléaires d’Israël - pays hors la loi qui ne respecte aucune résolution de l’ONU et qui colonise illégalement la Cisjordanie - et du Pakistan, pays instable, soutien et hébergeur des talibans d’obédience wahhabite.

L’adversité de l’Iran envers les puissances occidentales peut expliquer la sévérité des sanctions occidentales « relatives aux missiles balistiques et aux importations d’armes offensives (…) idem pour la vente ou le transfert de certaines armes lourdes depuis et vers l’Iran, qui resteront interdits pendant cinq ans ». (3) Une sanction qui vise également l’industrie d’armement russe, grand fournisseur de l’Iran. Pendant ce temps-là, les armes les plus sophistiquées continuent à arriver aux mains des wahhabites saoudiens et des Israéliens. Des armes américaines en quantité qu’on trouve également entre les mains de…l’Etat Islamique !

L’embargo sur les armes ne signifie pas l’affaiblissement de l’Iran qui dispose de sa propre industrie d’armement conventionnelle et balistique. Il est à souligner que malgré les sanctions, l’Iran a pu développer son industrie nucléaire. L’embargo conduira l’Iran à s’approvisionner en technologie plus sophistiquée, au prix fort, sur le marché noir.

L’accord entre l’Iran et les puissances du P5 + 1 signifie également le retour gagnant de l’Iran, en tant que pays souverain, sur la scène internationale et l’échec (relatif) des plans américains. En effet, la victoire de la révolution islamique de 1979 a mis un terme à la domination politique des Etats-Unis sur l’Iran. Ce que les Américains et ses alliés occidentaux n’ont jamais accepté. Ils ont constamment songé à ramener l’Iran dans le giron occidental. Après l’Irak et l’Afghanistan, les complots contre la souveraineté de l’Iran n’ont pas cessé et Georges W. Bush a ouvertement annoncé l’ouverture d’une ligne de crédit consacrée à provoquer de l’agitation aux frontières de l’Iran. Les plans américains ont échoué.

L’accord entre l’Iran et les puissances 5 + 1 signifie également le début de la fin du vide créé par l’effondrement du régime du Chah d’Iran. En effet, après la chute du Chah, vassal des Etats-Unis, le Moyen-Orient a connu une période d’instabilité suivie d’une dizaine de guerre meurtrières, fomentées ou soutenues par les Etats-Unis. L’objectif inavoué des Américains : remodeler la région, décomposer les grands pays comme l’Iran, l’Irak, la Syrie, voire la Turquie et l’Arabie saoudite et créer le « Grand Moyen-Orient », composé de petits pays ethniques ou religieux, opposés les uns aux autres et à la botte des Etats-Unis. L’Iran sort renforcé de cette « guerre de 30 ans » qui continue à ensanglanter le Moyen-Orient ; il retrouve son influence d’antan, depuis l’Afghanistan jusqu’à la Méditerranée. Cela a modifié la nature du régime iranien qui ne peut plus être considéré comme un pays anticolonialiste.

Il faut avouer que les Etats-Unis, s’ils ont échoué en Iran et au Liban - où l’armée israélienne a subi une cinglante défaite en 2006 -, ils ont atteint leur objectif en Irak et en Syrie où règne en maître l’Etat islamique (EI), une créature du wahhabisme. Tout porte à croire que les Etats-Unis ne souhaitent pas l’échec total de l’EI, mais la limitation de ses velléités expansionnistes.

L’Iran poursuit les même objectifs que les Etats-Unis et dispose de troupes au sol (miliciens armés et entrainés, évalués à plus de 80 000 hommes) pour contenir l’extension de l’EI. Les objectifs communs ont rapproché les Etats-Unis et l’Iran qui ne cesse pourtant pas de clamer sa méfiance envers le « Grand Satan ». En effet, la résolution du contentieux nucléaire ne signifie pas la normalisation rapide des rapports entre les deux pays, puissances adversaires. Loin de là. L’hostilité à l’égard des Etats-Unis reste encore très vive en Iran, en particulier, dans les milieux fondamentalistes.

La bourgeoisie industrielle sort renforcée de l’accord au détriment des rentiers fondamentalistes, alliés de la bourgeoisie commerçante du Bazar, opposants farouches de l’accord sur le nucléaire. L’accord entre l’Iran et les puissances 5 + 1 pourrait accélérer le développement industriel du pays - grâce à la libération de dizaines de milliards d’avoirs iraniens, bloqués dans les banques étrangères - douzième producteur de voiture dans le monde avant le début des embargos.

Déjà très présents dans les pays voisins, les produits manufacturés iraniens vont « déferler » sur les marchés des pays du Moyen-Orient, certains pays africains et d’Amérique Latine et, peut-être, européens. Les milieux industriels occidentaux, en particulier français, ont déjà fait le voyage en Iran et les ministres français et allemand des affaires étrangères sont attendus à Téhéran. Le pétrole et le gaz iraniens intéressent beaucoup les puissances occidentales qui souhaitent réduire leur dépendance à l’égard de la Russie. Une tracée d’exportation des hydrocarbures iraniens est à l’étude via l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie vers la Mer Noire.

L’avenir s’annonce donc apaisé et agité : les protagonistes discuteront à la table des négociations pour finalement continuer à s’écharper sur le terrain militaire. Ce sont les peuples qui ne connaîtront pas la paix. Ainsi va le Moyen-Orient depuis plus de deux siècles.

cpjmo@yahoo.fr
http://geopolitiquedumoyen-orient.blogspot.com


1) Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne.
2) Osirak est le nom d’un ancien réacteur nucléaire expérimental de 70 MW situé en Irak dans le centre de recherche nucléaire d’Al-Tuwaitha au sud-est de Bagdad, construit par la France et destiné à des recherches civiles sur le nucléaire. Il fut détruit, d’abord partiellement par un raid de l’armée israélienne le 7 juin 1981 (opération Opéra), puis à nouveau, par l’armée américaine en 1991, lors de la guerre du Golfe. (Wikipédia)
3) Yves-Michel Riols - Le Monde du 15 juillet 2015.