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Analyse 2015 - 5éme

Iran : renaissance, sous haute surveillance, d’un empire

Mercredi, 15 avril 2015 - 10h07 AM

mercredi 15 avril 2015

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L’Iran, un empire depuis sa naissance il y a 25 siècles, a connu beaucoup de péripéties. Plusieurs fois vaincu et absorbé par d’autres empires - tantôt grec tantôt arabe ou mongol d’Asie centrale - parfois disparu de la carte, il renaissait de ses cendres après le passage de la tempête dévastatrice des conquêtes territoriales et s’affirmait encore et toujours comme l’empire d’antan.

Après l’assassinat de Nader Chah Afshâr(1), le roi conquérant, un jour de 1747, l’empire fut absent pendant presque deux siècles des enjeux mondiaux. Il fut même tronqué en 1828 de ses provinces caucasiennes du Daghestan, d’Arménie, de Géorgie, d’Azerbaïdjan du Nord par l’empire russe. En 1907, les Britanniques et les Russes ont partagé l’Iran : à l’Angleterre, une zone d’influence sur Chiraz et le Sud ; à la Russie, une suzeraineté sur le gros du pays - Téhéran, Tabriz, Ispahan, Machhad - qui durera jusqu’à l’effondrement du tsarisme.(1)

Vint ensuite le tour des coups d’état d’inspiration britannique, puis américaine contre le gouvernement légitime du docteur Mossadegh en 1953, la mise sous tutelle de l’Iran par les Etats-Unis jusqu’à l’avènement de la révolution islamique de 1979.

Trente six ans après, suite à une dizaine de guerres meurtrières dans la région provoquées ou soutenues par des puissances occidentales, en particulier américaine et britannique avec leurs alliés locaux et ceux qui sont venus d’ailleurs - des guerres qui continuent à dévaster l’Irak, le Liban, la Syrie, la Palestine, le Yémen, provoquant le massacre de centaines de milliers de citoyens, femmes, hommes et enfants, et des exodes massifs de la population - une nouvelle puissance militaire, l’Iran, refait surface et tente de reconstruire son glacis protecteur, sa zone d’influence, son marché, son empire.

Les puissances occidentales ont tout fait pour empêcher la renaissance et le rayonnement de la puissance militaire, scientifique, économique, culturelle de l’Iran qui misa, à son tour, sur le chiisme et la haine antioccidentale dans la région pour mobiliser la population au Liban, en Irak, en Afghanistan, en Syrie, à Bahreïn, au Yémen, voire en Arabie saoudite contre l’Occident et ses obligés locaux.

L’agression israélienne du Liban en 2006, les guerres civile en Syrie et en Irak ont apporté la preuve de la solidité de l’Iran et de ses milices du Hezbollah implantées dans la région.

Les administrations américaines avaient le choix entre la poursuite de la politique d’hostilité à l’égard de l’Iran, mise en place par l’administration de Georges Bush, ou changer radicalement de politique, étant donné la montée en puissance de l’Iran et de ses réseaux, devenus des acteurs majeurs sur la scène moyen-orientale.

Pendant près de deux ans, Barack Obama a poursuivi la politique d’ « endigment » de Georges Bush à l’égard de l’Iran, avant de modifier radicalement sa politique qui consiste actuellement à négocier avec l’Iran dans le but de résoudre - au profit des Etats-Unis et des puissances occidentales - des problèmes qui agitent toute la région, en particulier l’Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine, l’Afghanistan, le Yémen où l’Iran est fortement impliqué.

Le changement de la politique américaine à l’égard de l’Iran est une décision stratégique, prise sûrement au sommet de l’Etat, en rapport avec les intérêts vitaux du pays. En effet, les Etats-Unis font actuellement face à un danger, appelé par la presse occidentale le « djihadisme islamiste » d’obédience wahhabite qui vise à en finir, ni plus ni moins, avec l’hégémonie des puissances occidentales, en particulier américaine, au Proche, au Moyen-Orient et en Afrique. L’Arabie saoudite, promoteur du wahhabisme, est également dans la ligne de mire du djihadisme islamiste (d’obédience sunnite) qui lui reproche sa vassalité pro-américaine.

Au départ, les « djihadistes islamistes », imprégnés de wahhabisme, ont permis aux Etats-Unis de déloger feu l’Union soviétique de l’Afghanistan.

Une fois vainqueurs, lesdits « djihadistes » se sont retournés contre leur mentors saoudiens et américains. L’assassinat de Ben Laden et les assassinats ciblés de chefs djihadistes en Afghanistan et au Yémen, n’ont pas réussi à casser le dynamisme du mouvement islamiste antioccidental. Bien au contraire. Les islamistes d’obédience wahhabite continuent à proliférer et à se diversifier prenant même des formes encore plus violentes et esclavagistes telles que l’Etat islamique (EI) ou Boko Haram en Afrique de l’Ouest.

Autant que les Etats-Unis, l’Iran constitue également l’ennemi « hérétique » des djihadistes d’obédience wahhabite. La guerre contre l’ennemi commun a rapproché les Etats-Unis et l’Iran qui, actuellement, combattent ensemble (sans le dire) l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Contrairement aux Etats-Unis, l’Iran est en mesure de mobiliser des troupes au sol au Moyen-Orient : au Liban, en Syrie, en Irak, en Afghanistan et au Yémen. Ce qui confère un avantage certain à l’Iran sur les champs de bataille donc à la table des négociations. Il est à souligner que les déplacements de troupes et l’utilisation des armes lourdes par les milices pro-iraniennes contre les djihadistes de l’EI se fait en accord avec les Etats-Unis.

L’entente avec les Etats-Unis ne signifie donc pas la fin de la mésentente américano-iranienne. La progression vers le sud Yémen des Houthistes se fait sûrement suite à l’entente avec les Etats-Unis qui préfèrent la présence au voisinage du détroit de Bâb el-Mandeb de miliciens contrôlables - par l’Iran interposé - plutôt que celle d’un Al-Qaïda hors de tout contrôle et ennemi juré.

Parallèlement, il faut contenir la puissance militaire de l’Iran (nucléaire ou classique), réduire sa zone d’influence(2), arracher des concessions à la table des négociations en cours. Ceci n’est possible qu’en exerçant des pressions militaires sur les champs de batailles au Moyen-Orient. C’est le message envoyé par les Etats-Unis à l’Iran, via l’aviation saoudienne, lorsque celle-ci a lancé jeudi 26 mars son opération « Tempête décisive » en bombardant Sanaa, capitale du Yémen. Il est à souligner que l’armée saoudienne ne peut utiliser son aviation hors de son sol sans l’aval des Etats-Unis. Pour l’instant, l’aviation saoudienne évite de se rapprocher du détroit de Bâb el-Mandeb !

Le même son de cloche s’entend à Tikrīt en Irak où les pressions exercées par les Etats-Unis empêchent les miliciens chiites d’entrer dans la ville aux mains de l’EI. Certaines milices accusent la coalition (composée majoritairement de « pays sunnites ») menée par les Etats-Unis de vouloir leur « voler la victoire ». L’Iran, conscient de la faiblesse des forces de la coalition - 4000 membres des forces spéciales et de la police ont relancé l’offensive, jeudi, depuis Awja, au sud de Tikrīt - réagit à sa façon : « Des milices, dont la Ligue des vertueux, les Kataeb Hezbollah et les Brigades de la paix, ont annoncé boycotter la bataille, privant les forces au sol d’un tiers de leurs effectifs, estimés à 30 000 hommes. » Le Hezbollah irakien accuse même la coalition de viser ses troupes.(3)

La force - l’Iran ou les Etats-Unis - qui sortira vainqueur de la bataille de Tikrīt a toutes les chances de mener l’importante bataille pour libérer - puis mettre la main sur - la grande ville stratégique de Mossoul.

Le tournant « pro-iranien » de la diplomatie américaine n’est pas du goût de tout le monde, en particulier de certains milieux américains, iraniens et des Israéliens dont le premier ministre Benyamin Netanyahou qui a « délivré le réquisitoire le plus virulent jamais prononcé par un visiteur étranger au cœur de la capitale fédérale [américaine] contre les négociations avec l’Iran ».(4) Benyamin Netanyahou utilise exactement la même rhétorique que celle de l’administration de Georges W. Bush. Car le rapprochement américano-iranien affaiblit Israël qui perdrait du même coup sa position stratégique pour les Etats-Unis.

De son côté, la France (5) qui a perdu ses contrats pétroliers et son marché en Irak suite à l’invasion du pays en 2003 par les Etats-Unis, ne souhaite plus rester en rade lors de la réorganisation en cours des rapports géopolitiques au Moyen-Orient et à l’échelle mondiale. Elle adopte une position « intransigeante » pour grappiller quelques avantages. Pour l’instant, la firme Peugeot est la première firme occidentale à être retournée en Iran dont le marché automobile est très promoteur.

La discussion entre l’Iran et le groupe de pays 5+1 (les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, l’Angleterre, l’Allemagne) devrait consacrer la renaissance de l’ « empire iranien », militaire et - plus tard - économique (à la chinoise ?) et la réorganisation, discutée au sein d’un nouveau G7, des rapports interétatiques à l’échelle régionale, voire mondiale.

L’Iran s’affiche comme le grand gagnant de plus de 36 années de guerres qui continuent à ensanglanter le Proche et le Moyen-Orient. L’ « empire » renaissant aide l’empire américain à maintenir son hégémonie au Moyen-Orient ! Joli coup Monsieur Obama.

Les perdants sont déjà connus : Israël, l’Arabie saoudite et la Turquie.

1) Michael Barry. Le Royaume de l’insolence. Flammarion.
2) L’Iran et les Houthistes tiennent à l’intégrité territoriale du Yémen sous leur domination ; les Etats-Unis et l’Arabie saoudite sont pour la partition du Yémen.
3) Hélène Sallon - Le Monde du 28 mars 2015.
4) Gilles Paris- Le Monde du 25 mars 2015.
5) « Aujourd’hui, la France n’est plus autant moteur qu’elle l’a été. Depuis 2013, ce sont les Etats-Unis et l’Iran qui sont en première ligne », (Yves-Michel Riols - (Lausanne, Suisse, envoyé spécial) Le Monde du 31 mars 2015).

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